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reprendre d'une main ce qu'on avance de l'autre ; une grande lâcheté de faire miroiter aux yeux du peuple l'attrait d'un mirage. La démocratie exige avant tout savoir la vérité. Elle en a besoin, plus que n'importe qui; et lorsqu'elle apprend l'erreur où elle fut jetée, sa déception la jette dans le plus profond découragement ou la plus violente révolte.

« Le point d'honneur, a dit Sir Stafford Northcote, est presque toujours un motif hors de proportion avec un acte aussi grave qu'une déclaration de guerre. » Pour un froissement d'amour-propre, comment oser maintenant déchaîner des armées, immobiliser l'activité vitale d'une nation et courir le risque d'une ruine irréparable?

Le traité pan-américain n'avait retenu que la seule réserve de l'indépendance.

Beaucoup d'auteurs admettent, il est vrai, cette réserve. Nous citerons dans ce sens MM. Bry, Chrétien, Dreyfus, Renault, Bonfils et Despagnet, mais il est nécessaire d'ajouter que la plupart d'entre eux se montrent nettement hostiles à la pratique des traités généraux d'arbitrage, ou du moins très sceptiques sur leurs conséquences pacifistes. « C'est le symptôme d'une bonne volonté; espérons qu'elle se maintiendra », dit en souriant M. Renault. Nous remarquerons que la bonne volonté aurait été sans doute capable de demeurer en l'absence de tout traité. L'entente cordiale n'a-t-elle pas eu une pre

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mière existence sous le règne de Louis-Philippe ? Nous assistons aujourd'hui à sa seconde jeunesse.

Nous croyons au contraire qu'il faut juger sévèrement une réserve sur le sens de laquelle il est impossible de s'accorder. Il serait intéressant d'écrire un volume entier en fixant à travers l'histoire l'évolution d'un sentiment en perpétuel devenir; mais lorsque l'auteur parviendrait à la conclusion, il resterait inhabile à en donner une définition limpide et vraie. A moins d'impudence, il n'oserait même prétendre que l'honneur n'a pas changé d'aspect au cours même du XIXe siècle.

Aujourd'hui, la France envisagerait-elle la possibilité d'une lutte contre l'Europe, ainsi qu'en 1840, parce qu'elle croirait de son honneur de soutenir un pacha, ou un sultan quelconque ? S'imaginerait-elle que sombrât sa dignité, comme en 1870, si un roi de Prusse refusait de se porter garant qu'un Hohenzollern ne monterait jamais sur le trône d'Espagne? Plus de craintes l'ont conduite à plus de sagesse. Elle vient avec raison d'accéder à une conférence, contrairement à son intention première; et, en signant l'accord franco-allemand le 28 septembre 1905 avec le prince Radolin, M. Rouvier et la France, derrière lui, n'ont pas cru avoir manqué à l'honneur national. Le gouvernement français, ayant su avec habileté se décharger du poids d'une lourde humiliation, tout en gardant la conviction qu'une rigidité d'es

prit, capable ensuite de broyer la vie d'une multitude d'hommes, est bien coupable et bien funeste, a conquis l'estime universelle et le droit au respect de toutes les nations civilisées.

Telle est donc cette réserve impondérable de l'honneur, qui échappe à l'analyse, dont le mérite odieux est de défier la conscience et la justice, et qui, enchâssée dans un acte de paix, constitue unc menace de guerre, avec des apparences de serpent charmé, prêt, quand le charme sera rompu, à de sanglantes morsures et au jet d'un venin fatal.

CHAPITRE IV

Les intérêts de tierces puissances.

il.

Il n'est pas de réserves dont on ait si peu parlé, et qui soit pourtant plus délicate. On n'est pas accoutumé à la rencontrer dans les traités généraux d'arbitrage. Elle s'est glissée ici en tapinois, et il convient de la sortir au grand jour de la discussion. Jamais il ne serait venu à l'esprit des négociateurs du traité de réserver les droits des puissances tierces. Il demeure bien évident en droit privé comme en droit international que les affaires de deux personnes ne sauraient léser les droits des autres. Res inter aliis acta aliis neque nocet neque prodest.

Mais par contre le bon sens constate que dans une société, de quelque nature qu'elle soit, une modification apportée à l'état d'un membre de cette société produira des conséquences réelles sur l'ensemble et l'individualité des autres êtres qui la constituent. Trop de rapports d'interdépendance unis

sent les atomes qui forment la molécule sociale pour qu'il en puisse être autrement.

Nous ne concevons guère qu'un arbitrage intervenu entre deux Etats n'ait pas sa répercussion sur la situation des voisins ou des alliés. C'est le phénomène du choc en retour. Il n'est incapable de se produire que pour de minimes difficultés, et encore n'en sommes-nous pas certains. Si le tribunal de La Haye n'accorde pas le droit d'arborer le pavillon français à des navires qui séjournent dans les eaux de Mascate, et si nous souffrons en quoi que ce soit d'une diminution quelconque d'influence en ces contrées, notre alliée, la Russie, s'en trouvera frappée, excessivement peu, c'est possible, mais enfin quelque peu. Il n'existe pas de causes, si chétives soientelles, qui n'engendrent des effets multiples.

En sorte que, si cette clause de nos traités était suivie avec rigueur, jamais un litige n'y échapperait, et le traité d'arbitrage serait absolument lettre morte.

Ce résultat absurde n'a pu être dans la pensée des négociateurs. Et comment prévoir à l'avance le jeu de l'incidence? De quelle façon apprécier les puissances dont les intérêts seront frappés, et la mesure de cette lésion?

Pour nous, il ne s'agit ici que d'une simple précaution oratoire, pour ménager les susceptibilités de tierces puissances, et surtout de la Russie. Un

Godefroy

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