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CHAPITRE IV

La politique diplomatique française.

Il est à remarquer que, jusqu'en 1903, aucun traité d'arbitrage n'a été conclu entre Etats européens. Il n'y a que l'Amérique qui ait usé de cette politique, et deux actes ont seulement été conclus entre les deux mondes.

Après la tension de Fachoda, la France se rapprocha peu à peu de l'Angleterre. Notre alliance russe ne nous parut pas offrir des garanties suffisantes en face de l'Allemagne, dont les progrès dans le commerce et l'industrie ont été si prodigieux depuis vingt-cinq ans. Une campagne d'entente fut menée dans les deux pays.

M. d'Estournelles de Constant, président du Groupe parlementaire français de l'arbitrage international, s'efforça de persuader au Gouvernement français qu'il lui appartenait d'inaugurer en Europe la conclusion de traités généraux d'arbitrage, et de mani

fester cette politique en réglant un accord francoanglais.

D'autre part, en Angleterre, M. Thomas Barclay, ancien président de la Chambre de commerce britannique à Paris, poursuivit des vues analogues. Dans un beau discours qu'il prononça le 27 mars 1901 devant les membres de la Société française pour l'arbitrage entre les nations, il peignit avec beaucoup de succès l'étroitesse des relations franco-anglaises.

<< Paris est devenu indispensable à l'économie sociale anglaise. La Côte d'Azur, la Normandie, la Bretagne sont chaque année le rendez-vous d'Anglais qui se comptent par dizaines de milliers. La France, de son côté, travaille avant tout, après avoir servi son propre marché, pour le marché anglais. Les Anglais et les Français gravitent vers les mêmes centres intellectuels, artistiques, littéraires. Et en ce qui concerne leurs sympathies réciproques, j'ose dire, sans aucune crainte de contradiction, que de tous les étrangers, les Français sont les plus aimés en Angleterre pour leurs qualités de cœur, d'esprit, de loyale franchise et de bon goût, comme j'ose dire que de tous les étrangers qui fréquentent la France, ce sont les Anglais dont au fond on estime le plus ici les qualités de solide amitié. L'Anglais a ses défauts, de grands défauts, mais il a une qualité au moins qui ne doit pas laisser froid: c'est son admiration pour le caractère français. Lisez nos romans, surtout

les plus récents, et voyez comme des auteurs, comme Gissing, Merriman et bien d'autres, parlent de la France, des Français et des Françaises, de ces femmes vaillantes qui combinent l'amour du travail et une aptitude unique pour les affaires, avec tout ce qui fait le charme et le bonheur de la vie de famille. »

M. Thomas Barclay présenta en 1902 aux membres de la Chambre des communes un rapport tendant à l'établissement d'une commission franco-anglaise, dont l'objet serait de régler les différends entre les deux pays sur les bases du traité anglo-américain de 1897. Sur cent-vingt chambres de commerce anglaises, quatre-vingts d'entre elles adoptèrent ce projet (1).

Les sympathies franco-anglaises continuèrent ensuite à s'affirmer davantage. La visite du roi d'Angleterre en France et les paroles échangées entre les deux chefs d'Etat leur donnèrent une solennelle consécration.

Au cours du voyage à Londres du président de la République, accompagné par M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, l'entente cordiale était affirmée et, dans le même mois de juillet 1903, M. Sinclair, membre de la Chambre des communes, déclarait qu'«après l'entente des chefs d'Etat, on voyait, pour la première fois, se réaliser l'entente de parle

1. Nous empruntons ces détails à la brochure si documentée de M. d'Estournelles de Constant: France et Angleterre.

ment à parlement, c'est-à-dire de peuple à peuple ». Le mercredi 22 juillet, un banquet fut offert au palais de Westminster par le « Commercial committce» aux délégués français du groupe de l'arbitrage international. Un discours mémorable y fut prononcé par M. d'Estournelles de Constant qui, après avoir passé en revue l'histoire moderne du pacifisme, exposa longuement son programme : « Nous n'empêcherons pas toutes les guerres, dit-il, mais nous essayerons de les rendre plus rares et plus difficiles. Loin d'affaiblir notre pays, nous prétendons le fortifier en le mettant à l'abri des aventures et en lui méritant l'estime de ses voisins; en contribuant à l'amélioration générale des mœurs internationales dont nous profiterons comme les autres; en développant sa prospérité morale et matérielle, son énergie par le travail dans la paix. Nous nous bornerons à ce qui est actuellement à notre portée : l'organisation, l'acclimatation de l'arbitrage. »>

M. Balfour, premier ministre, prononça un discours fort courtois, suivi de paroles très nettes de Sir Henry Campbell-Bannerman, leader de l'opposition, et de M. Chamberlain, ministre des Colonies. Celuici déclara : « Je crois à l'entente cordiale entre les deux pays, et cette entente dépend moins des conventions et des traités que d'une mutuelle sympathie entre les peuples. Cette sympathie existe; elle ne demande qu'à se produire. Nos deux pays sont voisins; nous pouvons aider à les rendre amis. »>

Ces phrases éloquentes trouvèrent un écho dans les deux pays. En France, soixante conseils généraux se prononcèrent à la session d'août en faveur de l'arbitrage.

Cependant les négociations diplomatiques se poursuivirent rapidement. Le 16 juillet 1903, M. Delcassé, ministre des Affaires étrangères, écrivait la lettre suivante à M. Paul Cambon, ambassadeur de la République française à Londres :

<< Par une lettre du 20 mai dernier, vous m'avez rendu compte d'un entretien que vous aviez eu avec le principal secrétaire d'Etat au sujet d'un traité permanent d'arbitrage entre la France et la GrandeBretagne.

« Depuis lors, cette question n'a cessé d'être agitée des deux côtés du détroit. De nombreuses adresses me sont parvenues dans lesquelles une entente de ce genre est réclamée avec insistance soit par des Chambres de Commerce, soit par des particuliers.

« Ce mouvement d'opinion n'étant pas moins marqué en Angleterre qu'en France, j'attacherais du prix à connaître de la façon la plus précise ce qu'en pense le ministre des Affaires étrangères du roi. Aussi vous serai-je obligé de saisir les premières occasions d'en conférer à nouveau avec Lord Lansdowne.

<< Je crois d'ailleurs utile de vous communiquer cijoint copie d'une formule qui a été déjà approuvée par le Conseil des ministres et qui paraît susceptible

Godefroy

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