Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

en effet, disent-ils, que des avantages multiples, sans qu'il soit possible de signaler à leur pratique aucun inconvénient.

Il eût été à redouter qu'un traité d'arbitrage enlevât à l'Etat signataire sa liberté d'action; mais cette crainte demeure illusoire; ce traité diffère d'une alliance offensive ou même défensive. Il n'entraîne pour les peuples qui se liguent aucune obligation de prendre part aux hostilités dans lesquelles l'un ou l'autre peut se trouver engagé. C'est une convention purement pacifique (1).

Il laisse chaque nation maîtresse de ses destinées. Il n'offre pas davantage les inconvénients de la fédération. Il n'édicte que le respect de la justice pour les voies de droit.

Si la juridiction installée est permanente dans son principe, elle demeure néanmoins momentanée dans son fonctionnement. En sorte que le tribunal d'arbitrage échappe aux critiques qu'on adresserait à un tribunal international suprême, organisé une fois pour toutes et qui serait rendu dangereux par l'importance que lui conférerait sa permanence. Ainsi une jurisprudence ne se constituera pas qui eût été capable, si elle avait été connue d'avance, de décourager les

1. Extrait d'une proposition de M. Fréd. Passy à la séance de la Chambre du 21 avril 1888 pour réclamer la conclusion d'un traité d'arbitrage entre la France et les Etats-Unis,

meilleures volontés et de leur faire préférer à tous autres modes de règlements la solution belliqueuse des litiges.

Ces considérants que nous venons d'exposer s'appuient sur une argumentation solide; mais nous prétendons déplacer la question de cet axe, pour tenir le raisonnement suivant, en l'enfermant dans ce dilemme :

Oui ou non, le traité d'arbitrage permanent rendra-t-il quelque service à la cause de la paix ? Si l'affirmative est exacte, il n'aura pas de plus obstiné défenseur que nous. Dans le cas contraire, nous le combattrons comme un trompe-l'oeil, une hypocrisie, une inutilité.

Nous n'avons pas l'intention de préjuger la réponse. Elle naîtra d'un examen approfondi. Bien que notre sujet nous commande de restreindre le débat à la politique française contemporaine, il déborde plus loin. Il engage tout un système juridique, toute une politique qui pourraient devenir mondiaux, et dont nous essaierons de montrer l'importance par un rapide historique.

Cette étude aura pour elle le mérite d'être sincère, exempte de parti pris et peut-être ainsi, c'est notre espérance la plus grande, saura-t-elle ouvrir les yeux, mettre à nu la vérité, souvent cachée des oripeaux de l'ignorance, et vaudra-t-elle comme thèse, soutenue avec conviction.

PREMIÈRE PARTIE

Historique des traités généraux d'arbitrage.

CHAPITRE I

De la clause compromissoire spéciale.

La source des traités d'arbitrage permanent se trouve être la clause compromissoire spéciale. Enserrée dans un traité, celle-ci oblige les deux Etats contractants à solutionner par l'arbitrage toutes les difficultés qui pourraient naître à l'occasion de ce traité. Elle n'a donc pas en quelque sorte d'autonomie. Elle est subordonnée à l'existence du contrat dont elle dépend et dont elle ne forme qu'une clause adjacente. Elle ne peut lui survivre, puisqu'elle a été créée en fonction de lui.

Le berceau de la clause compromissoire fut l'Italie. Dès 1873, M. Mancini la recommande dans des ter

mes très éloquents. Au Parlement il fait adopter la proposition suivante :

« La Chambre exprime le vœu que le gouvernement du roi, dans ses rapports avec l'étranger, s'efforce de rendre l'arbitrage un moyen accepté et fréquent de résoudre selon la justice les controverses internationales dans les matières susceptibles d'arbitrage; qu'il propose, lorsque l'occasion s'en présentera, d'introduire dans les traités une clause portant que les difficultés sur l'interprétation et l'exécution de ceux-ci seront déférées à des arbitres, et qu'il persévère dans l'excellente initiative prise par lui depuis plusieurs années pour la conclusion de conventions entre l'Italie et les autres puissances, en vue de rendre uniformes et obligatoires, dans l'intérêt des peuples respectifs, les règles essentielles du droit international privé. >>

La politique inaugurée par le célèbre ministre italien prend bientôt une large extension. La clause compromissoire ne reçoit que des éloges. Son principal mérite est de consacrer le recours forcé à l'arbitrage, et d'imposer le compromis avant la naissance du litige. Selon les mots de M. Mérignhac, elle protège les peuples contre leurs propres entraînements, et à défaut de sanction directe à l'égard d'un Etat refusant de donner suite à la clause compromissoire, la rupture du traité pour l'exécution duquel elle avait été stipulée représenterait une garantie

considérable de nature à obliger l'Etat récalcitrant à se conformer à l'engagement par lui pris.

Il est assez intéressant de remarquer que l'Italie admet en droit privé la validité du pacte compromissoire. Elle n'a donc pas eu de difficulté à transporter celui-ci sur le terrain du droit international. D'aucuns pensent qu'il devrait y rester cantonné, car il ne s'agit ici que de l'engagement en cas de conflit de créer une juridiction compétente, tandis qu'en droit privé on décide à l'avance de confier son affaire à la connaissance de juges pris en dehors du cadre de la magistrature. On élève une justice officieuse en face de la justice officielle des tribunaux et des cours. On est, dirions-nous si nous ne craignions d'être excessif, révolutionnaire tout en étant pacifique et doué des meilleures intentions. Dans le silence de notre loi française, la jurisprudence timorée s'est fixée dans le sens de l'interdiction depuis un arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 1855 (1).

Mais l'objection tirée de la coexistence d'une juridiction disparaît en droit international, puisque précisément la clause compromissoire a pour but de suppléer à l'absence de juridiction par la création,

1. Le droit romain plus large admettait la validité du pacte compromissoire, pourvu que la relation juridique, d'où devait naître le contrat à venir, fût clairement désignée. (Dig. De receptis, IV, 8).

« PreviousContinue »