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tions d'arbitres à plusieurs reprises. C'est ainsi qu'en 1263, Saint-Louis fut élu comme arbitre par compromis entre le roi d'Angleterre Henri III et ses barons. Il entendit les plaintes des deux parties avec cette belle conscience de justicier qui l'a rendu légendaire, ce qui n'empêcha pas, d'ailleurs, les vingt-quatre barons, maîtres du royaume par leurs forteresses, de refuser de les abandonner à Henri, ensorte que la lutte recommença.

En 1334, Philippe de Valois fit conclure la paix entre le roi de Bohême, les princes d'Allemagne et le duc de Brabant, comme juge traiteur et amiable compositeur 1. Pareillement encore, en 1444, Charles VII décida un échange de possessions entre le duc René d'Anjou et le comte Antoine de Vaudemont, notamment au sujet du duché de Lorraine 2. Louis XI lui-même remplit plusieurs fois le rôle d'arbitre: en 1463, prévoyant les guerres de Bourgogne, il fit réconcilier, au moyen d'un traité rédigé par l'évêque de Constance, l'ancienne Confédération avec le duc d'Autriche Sigismond. La même année, Louis XI se soumet lui-même à son tour. au jugement d'une assemblée d'évêques pour liquider tous ses différends avec le roi d'Angleterre Edouard VI.

Notre historien national Daguet rapporte qu'à cette époque on voyait les principaux magistrats de Fribourg et Berne, Nicolas de Diesbach, Pierre de Wabern, Jean de Praroman et Raoul de Wuippens, jouer le rôle de médiateurs à Montmélian et à Chambéry entre la duchesse régente, Yolande de Savoie, et ses beaux-frères Philippe de Bresse et le comte de Romont qui cherchaient à la renverser du trône. Même intervention officieuse des villes de Berne et de Fribourg, dans les conflits qui s'élevèrent ensuite entre la Savoie et le Valais. Outre ces arbitrages de souverains et de magistrats de l'ancien corps helvétique, on pourrait rappeler aussi les sentences rendues par les anciens parlements français. Ainsi en 1244, le parlement de Paris fut choisi pour arbitre par l'empereur Frédéric II et le pape Innocent IV. D'autres fois, on faisait appel à la science des universités. Les docteurs de Pérouse, de Bologne et de Padoue furent invités à donner leur avis quant aux droits de la maison de Farnese sur le trône de Portugal. Plus tard, d'autres jurisconsultes italiens devaient résoudre le conflit des ducs de Mantoue et de Savoie, au sujet du Montferrat. L'an

Dumont, Corps de droit diplomatique, Ire partie, 2, p. 142.

Dumont, III, Ire partie, p. 144.

3 Dumont, III, Ire partie, p. 500.

cienne Confédération et l'Espagne, pour clore des contestations relatives aux frontières de la Franche-Comté, se soumirent au jugement d'un conseiller au parlement de Dijon, nommé Jean Bégot. Sous François Ier, le parlement de Grenoble trancha un conflit entre deux princes qui se disputaient la possession du Milanais, et en 1613 ou 1614, on le voit encore rendre deux décisions dans le litige entre l'archiduc d'Autriche et le duc de Wurtemberg, au sujet du comté de Montbéliard '.

A cette liste d'arbitrages que nous venons de glaner dans le passé, on pourrait ajouter encore la riche moisson de toutes les décisions papales qui ne furent pas rendues en vertu d'un droit de souveraineté, ainsi que celles des empereurs sur des intérêts secondaires.

Sans doute, le mécanisme de l'institution n'était pas organisé comme de nos jours, la procédure était vague, l'équité incertaine, la compétence indécise; l'on ne savait même pas toujours s'il s'agissait d'un véritable arbitrage qui juge ou d'une simple médiation qui concilie, témoin l'édit de Nantes d'Henri IV, que des publicistes considèrent comme un édit d'arbitrage entre les factions. Il ne pouvait guère en être autrement à cette époque, vu l'absence des principes modernes du droit public.

A mesure que les relations et les affaires se multiplièrent; à mesure que les Etats furent forcés de se mettre d'accord en ce qui touche les personnes, les biens et les intérêts de leurs nationaux; que les principes de statut personnel, statut territorial et statut commun se développèrent et se précisèrent, le mécanisme de l'arbitrage s'adapta de mieux en mieux aux circonstances pour devenir d'un usage plus fréquent dans les contestations internationales.

On voit, par exemple, le traité de Westminster, de 1655, stipuler, entre la France et l'Angleterre, à titre de convention spéciale, le principe que le pavillon couvre la marchandise, et la nomination d'une commission mixte chargée d'examiner et d'évaluer les pertes réciproques du commerce depuis 1640; et, si l'on ne s'accordait pas, l'arbitrage était déféré à la république de Hambourg. A Nimègue, en 1638, les Etats généraux des Pays-Bas sont choisis par la France et l'Espagne comme arbitres à propos de déli

1 Exemples rapportés dans Dalloz, Répertoire méthodique: 1° Arbitrage, I, 16; 2o Daguet, Histoire de la Confédération, t. I, 361.

Histoire de France, d'Henri Martin, 12, p. 478.

mitations litigieuses de territoire. A Ryswick, c'est Louis XIV et Léopold Ier qui sont désignés pour prononcer dans le conflit entre l'électeur palatin Jean-Guillaume et la duchesse Elisabeth, au sujet du droit de succession. Les représentants des deux souverains ne s'étant pas mis d'accord, le pape Clément XI résolut la question comme surarbitre en 1701.

Dans cette énumération par ordre chronologique, nous n'avons mentionné que les arbitrages les plus importants. Bornons-nous à dire, en ce qui concerne l'époque contemporaine, qu'on en compte neuf de 1794 à 1848, quinze de 1848 à 1870, quatorze de 1870 à 1880 et vingt de 1880 à 1890'. Ces chiffres indiquent une pratique sans cesse croissante du procédé. Mais on ne saurait en inférer que la diplomatie ait pris par là une attitude nouvelle; on ne saurait pas davantage y voir la formation d'un droit public embryonnaire, annonçant l'éclosion d'une renaissance politique et sociale, où le recours aux procédés amiables de la médiation ou de l'arbitrage serait la loi absolue des nations.

Le congrès de Paris de 1856 a cru devoir formuler le principe que les Etats entre lesquels s'élèverait un dissentiment sérieux, eussent recours, autant que les circonstances l'admettraient, aux bons offices d'une puissance amie avant d'en appeler aux armes. Ce protocole signé au nom de leurs gouvernements par les ministres plénipotentiaires de l'Autriche, de la France, de l'Angleterre, de la Prusse, de la Sardaigne et de la Turquie n'a pas empêché les guerres de 1859, de 1864, de 1866, de 1870 et de 1878, ce qui montre suffisamment que la proclamation de principes abstraits ne pèse que faiblement dans l'histoire des temps modernes. Les pactes théoriques, comme celui de la Sainte-Alliance de 1815, qui ne sortent pas des régions du sentiment, qui ne reposent sur aucun lien réciproque, qui n'impliquent aucune obligation synallagmatique et dont l'inobservation ou la violation échappe forcément à toute sanction, resteront toujours lettre morte, do ut des étant la règle immuable de la diplomatie.

C'est l'importance exceptionnelle de la sentence arbitrale rendue en 1872, par le tribunal séant à Genève, dans l'affaire retentissante de l'Alabama, qui a fait tout le prestige de l'arbitrage. On vit dans l'issue pacifique de ce grand débat, l'inauguration d'une ère nouvelle.

Il est certain que la rivalité ardente des nations en conflit, l'ob

1 Conférence de M. Trarieux, sénateur.

jet du litige, la gravité des principes qu'on y a fixés, ont donné à l'arbitrage une force nouvelle et, par suite, ont contribué dans une large mesure à multiplier ses applications et à fortifier les espérances et les aspirations légitimes des peuples amis de la paix, bien que dans l'espèce, comme le fait observer M. Charles Secrétan, l'une des parties sentant son tort et trouvant du péril à le soutenir, ait cherché un manteau décent pour couvrir sa défaite '.

En 1874, le traité de Berne sur l'Union postale universelle, statuait qu'en cas de dissentiments entre deux ou plusieurs membres de l'Union, relativement à l'interprétation du traité même, la question en litige devrait être réglée par jugement arbitral; suivaient quelques dispositions de procédure y relative. Un exemple plus probant de la renaissance de l'idée de l'arbitrage permanent, est celui qui se manifesta dix ans après l'affaire de l'Alabama. Dans son message du 4 septembre 1882, le président des Etats-Unis ayant déclaré que l'ère de paix lui semblait proche, un projet de traité d'arbitrage permanent, tendant à soumettre à un tribunal arbitral toutes les difficultés qui pourraient naître entre eux, pendant la durée de trente ans, fut conclu entre les Etats-Unis et la Confédération suisse. M. le conseiller fédéral Frey qui, à ce moment-là, était ministre à Washington, reçut des pouvoirs spéciaux pour conclure ce traité au nom de la Suisse. La mort de M. Frelinghuysen, secrétaire d'Etat, vint arrêter le cours des négociations, mais le projet ne fut nullement abandonné. En 1888, c'est la France et l'Equateur qui, dans un traité de paix et d'amitié perpétuelle, conviennent, dans le cas où un différend de nature à troubler les bons rapports des deux pays viendrait à s'élever et ne pourrait être réglé à l'amiable, de soumettre le litige à une puissance amie. Mais de beaucoup le plus important de ces traités est celui de Washington, du 18 avril 1890, conclu par le Congrès panaméricain, où les plénipotentiaires des dix-sept républiques du Nord, du Centre et du Sud, signèrent solennellement leur adhésion au principe de l'arbitrage avec des plumes d'or. On crut que la paix perpétuelle était inébranlablement établie dans la moitié du monde. Peu de temps après, des coups de fusil succédèrent aux loyales signatures pacifiques, la guerre civile éclatait à BuenosAyres et le Salvador et Guatemala s'armaient l'un contre l'autre. M. Blaine avait notifié diplomatiquement le texte du célèbre traité

1 Les droits de l'humanité, p. 313.

de Washington à tous les Etats de l'Europe et appelé leur attention sur la faculté que leur réservait un certain article 19, en vertu duquel ils pouvaient entrer dans le contrat moyennant une simple déclaration d'adhésion. La France déclara qu'elle était entièrement favorable, sans toutefois sortir du vague. La Russie objecta que la question n'était pas mûre; seule la Suisse montra des dispositions moins froides. En somme, aucune nation n'y a encore adhéré, très probablement parce qu'on se rappelait qu'à l'origine deux projets avaient été en présence: un de fédération, l'autre d'arbitrage permanent, et que le second seul avait été admis par le Panamérian Américain.

L'arbitrage de l'année dernière, sur l'affaire des pêcheries de Behring, semble avoir été un grand succès pour ceux qui ont foi en la vertu toute puissante d'une juridiction internationale facultative. Et si l'on se rappelle que pendant que le tribunal de Paris se livrait à ses travaux, l'Angleterre prenait l'initiative de transformer en principe ce qui n'a été jusqu'ici que la solution pratique de quelques-uns de ses différends avec les Etats-Unis, on comprendra aisément que les théoriciens de l'arbitrage entonnent des chants d'allégresse. Il est même fort possible que d'ici peu, le premier traité d'arbitrage permanent soit signé par le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique. Seulement, i importe de remarquer que lorsque les Américains et les Anglais, qui ne sont séparés par aucun de ces différends insolubles comme on en rencontre sur le continent, se querellent, c'est sur des questions d'intérêts qui ne valent ordinairement pas une guerre.

Si donc les Etats européens ne redoutaient pas les résultats inconnus d'une semblable réforme, il faut croire qu'ils n'hésiteraient pas à l'adopter.

Mais, quelque progrès que l'on fasse, l'arbitrage sera toujours limité, parce qu'il y aura toujours des questions qui resteront en dehors des compromis, le droit de compromettre ne pouvant s'y appliquer. Questions d'existence en premier lieu: « La vie des Etats, dit Montesquieu, est comme celle des hommes. Ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de défense naturelle, ceux-là ont droit de faire la guerre pour leur propre conservation.

» Dans le cas de la défense naturelle, j'ai droit de tuer, parce que ma vie est à moi comme la vie de celui qui m'attaque est à lui; de même un Etat fait la guerre parce que sa conservation est juste comme toute autre conservation. »

Ainsi, quand il s'agira de l'indépendance ou de l'intégrité d'une

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