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raient une classification du corps électoral, qui assurât une représentation à la grande propriété, sans en priver tout-à-fait la moyenne. Le système des grandes corporations avait aussi ses partisans. Mais le président du conseil voulait, par-dessus tout, le renouvellement intégral et la septennalité, ou du moins la quinquennalité de la chambre, comme le plus sûr moyen d'obtenir une majorité fixe, de calmer l'agitation générale, et ďachever, sans contradiction, l'établissement du gouvernement représentatif, système conciliatoire où les partis ne voyaient que l'intention de les tromper, et de s'assurer la perpétuité du pouvoir.

Tandis que le conseil flottait entre ces opinions diverses, M. le garde des sceaux partit pour Nice, le 26 janvier. Ce départ, motivé sur l'état de sa santé, trop affaiblie pour soutenir les fatigues de la tribune, fut encore attribué par quelques-uns à des contradictions éprouvées dans les discussions du conseil. Quoi qu'il en soit, son absence, pendant laquelle le portefeuille de son département fut remis à M. le comte Siméon, avec le titre de sous-secrétaire d'Etat, ne suspendit point la délibération du projet qui tenait tous les esprits dans l'attente, et sa présentation était à l'ordre du jour de la chambre des députés, lorsqu'un déplorable attentat vint redoubler les embarras du ministère et changer la situation des partis.

CHAPITRE II.

Assassinat de Monseigneur le duc de Berry. Détails sur sa mort. - Discussion dans les deux chambres et adresses à ce sujet. — Chambre des pairs constituée en haute cour de justice pour juger l'assassin Louvel.- Demission de M. le comte Decazes et changemens dans le ministère. - Agitations publiques. Funérailles du Prince.

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(13 février.) Ox était dans les jours consacrés, par un antique usage, à la joie; LL. AA. RR. le duc et la duchesse de Berry s'étaient rendus à une représentation extraordinaire de l'Académie royale de musique, le dimanche 13 février. Sur la fin du deuxième acte du ballet (le Carnaval de Venise), vers onze heures du soir, madame la duchesse ayant témoigné le désir de se retirer, le prince voulut la reconduire jusqu'à sa voiture; à l'instant même où il Jui donnait la main pour y monter, en lui assurant qu'il allait la rejoindre, et comme il se retournait pour rentrer au spectacle, un homme, se frayant brusquement un passage entre le grenadier de faction, et l'un des gentilshomme de service (M. de Clermont Lodève), et saisissant le prince par l'épaule gauche, lui enfonça dans le sein droit un fer qu'il laissa, en se sauvant, dans la plaie. C'était un instrument grossièrement façonné en poignard tranchant et aigu, de six pouces de longueur, emmanché dans une poignée de buis.

La première idée qui vint au prince, comme à tous ceux qui l'accompagnaient, fut qu'il avait été heurté par quelque curieux indiscret; mais dans le moment on le vit chanceler, il s'écria: « Je suis assassiné, je tiens le poignard. » Il le retira de sa plaie et le remit lui-même au comte de Menars, en tombant dans ses bras.

A ce premier cri, la duchesse s'était élancée hors de sa voiture où on s'efforçait en vain de la retenir, et se jetant sur son époux, elle fut toute couverte du sang qui jaillit d'abord de sa blessure;

elle ne voulat plus le quitter. On le porta dans le salon de la loge du Roi, où les premiers chirurgiens qu'on put trouver lui administrèrent les secours de l'art, sans que dans la salle de spectacle où le ballet continuait, on eût la moindre idée du malheur qui venait d'arriver.

Au moment même où ce coup affreux avait été porté, deux des officiers du prince, MM. de Choiseul et de Clermont, des adjudans de police et plusieurs soldats de la garde s'étaient précipités sur les traces de l'assassin, qui s'était enfui du côté de l'arcade Colbert; retardé dans sa course par un fiacre, et croisé par un garçon de café, nommé Paulmier, qui se débattit un instant avec lui, il fut arrêté par le soldat de la garde royale Desbies, tout à l'heure de faction à la sortie du prince, et par les militaires qui le suivaient. L'assassin fit peu d'efforts pour leur échapper... On lui trouva, outre la gaîne du poignard dont il venait de frapper S. A. R., une alêne de sellier, également affilée et munie de sa gaîne. Amené au bureau de police du théâtre, et interrogé successivement par le commissaire de police du quartier, par le préfet de police et le procureur du Roi, en présence du ministre de l'intérieur, M. le comte Decazes, il répondit qu'il s'appelait LouisPierre Louvel, qu'il était né à Versailles, âgé de trente-six ans et demi, employé comme garçon sellier, pour le compte du sieur Labouzelle, sellier du Roi, et domicilié aux petites-écuries, place du Carrouzel. Aux questions qu'on lui fit, sur les motifs qui l'avaient porté à ce crime et sur les complices qu'il pouvait avoir, il déclara qu'il le méditait seul depuis six ans, qu'il avait voulu délivrer son pays des Bourbons, qui en étaient dans son opinion les plus cruels ennemis, en commençant par le plus jeune, par celui qui semblait devoir perpétuer leur race, et que son dessein avait été, s'il eût échappé cette fois, d'assassiner successivement les autres princes et le Roi lui-même, qu'il avait voulu tuer en 1814.

Tandis que l'assassin faisait, avec sang-froid, ces horribles. aveux, les gens de l'art, déjà réunis autour de sa victime, ayant reconnu qu'on ne pouvait sans danger faire reconduire le prince dans son palais, on le porta du salon de la loge du Roi dans la

salle de l'administration, où on lui fit dresser à la hâte un lit composé de mêmes matelas sur lesquels (par une fatalité singulière remarquée depuis) S. A. R. avait couché la première nuit de son débarquement sur les terres de France, à Cherbourg, en 1814.... Ils appartenaient à M. Grandsire, aujourd'hui secrétaire de l'Académie royale de musique, qui, se trouvant à cette époque à Cherbourg, avait prêté ses meubles pour l'appartement destiné au prince. Le spectacle venait de finir, et la foule s'écoulait sans qu'aucun des spectateurs eût le moindre soupçon du crime que le jour devait révéler, et de la scène qu'offrait alors le salon, où parvenaient, au milieu des douleurs, les derniers sons d'une musique qui ne devait plus retentir dans cette enceinte.

On avait porté aux Tuileries la nouvelle de cet attentat, sans pourtant oser informer le Roi du danger qui menaçait la vie du prince; bientôt arrivèrent LL. AA. RR. MONSIEUR, 'à qui l'on voulait vainement dérober ce spectacle; MADAME, Mgr. le duc d'Angoulême, les ministres, les grands officiers de la couronne, les maréchaux de France et une foule de personnages les plus distingués de la cour et de la ville, plusieurs encore dans les habits de bal où l'affreuse nouvelle les avait surpris....

Aux gens de l'art, déjà rassemblés autour du prince (MM. Drogart, Blancheton, Delacroix, Thercin, Cazeneuve, Dubois et Bougon, chirurgiens de S. A. R., etc.), se joignit encore M. Dupuytren, qui, demeurant fort loin de l'Opéra, n'avait pu y arriver qu'à une heure. Dès qu'il vit la blessure du prince, qui éprouvait alors des défaillances et des vomissemens, il en reconnut le danger; après une courte consultation avec ses confrères, et sur leur avis commun, il fit des scarifications profondes; le sang jaillit en abondance de la plaie élargie; la poitrine parut se dégager; on eut un moment d'espérance. Le duc seul, souffrant cette opération douloureuse avec un courage héroïque, disait au docteur :

Je suis bien touché de vos soins, mais ils ne sauraient prolonger mon existence, ma blessure est mortelle. » Il en avait eu le pressentiment; à ses premières douleurs, il avait demandé sa fille MADEMOISELLE, et son aumônier Mgr. l'évêque d'Amyclée (évêque

de Chartres.) Le prélat s'y rendit; la petite princesse lui fut amenée, il la couvrit de baisers et de pleurs; il témoigna ensuite le désir de voir deux filles naturelles qu'il avait eues en Angleterre... Il les pressa dans ses bras en les recommandant aux bontés généreuses de la duchesse qui savait tout et qui les adopta. Ensuite il fit sa confession au prélat, et dans l'impossibilité où il se trouvait de recevoir le saint viatique, à cause des vomissemens qui reprirent avec plus de violence, M. le curé de Saint-Roch lui administra l'extrême-onction.

Nous n'entreprendrons point de peindre, après le plus brillant écrivain de nos jours (1), la situation d'une épouse et d'un père, d'une sœur et d'un frère, contraignant leur désespoir, étouffant leurs sanglots autour de ce lit de mort. Il ne manquait au tableau des douleurs d'une famille royale, que la présence de son auguste chef. Dès qu'on eut perdu toute espérance, il en fut averti; il voulut voir le prince, il arriva à cinq henres.

A l'entrée de S. M., le mourant parut revivre. Les premiers mots qu'il dit, en baisant la main du monarque, furent pour lui demander la grâce de l'homme, car c'est ainsi qu'il nommait son assassin, et il revint à plusieurs fois sur cette demande. Un moment après, comme épuisé par le dernier effort qu'il venait de faire pour jouir de la présence du monarque, il sentit approcher une défaillance; il s'écria : C'est ma fin. « En effet, dit M. de Ch., « les symptômes devenaient plus alarmans, le découragement des « médecins était visible, la mort arrivait. Le prince demanda à « être tourné sur le côté gauche, les médecins s'y refusèrent d'a<< bord; il insista; il n'y avait plus rien à refuser.... En un ins<< tant, ses facultés intellectuelles s'évanouirent. Il expira le 14 « février à six heures et demie du matin... »

Au mouvement qui se fit alors dans les spectateurs, la malheureuse princesse, qu'on venait d'arracher à l'horreur de ce dernier

(1) M. de Châteaubriant; Mémoires touchant la vie et la mort de S. A. R. Mgr le duc de Berry; ouvrage anquel nous n'avons pas craint d'emprunter quelques traits qu'il est aisé de reconnaître.

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