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CHAPITRE V.

Procès de la reine. Détails préliminaires. — Arrivée et réception de la reine en Angleterre. Propositions d'accommodement. Message du roi au parlement. Enquête faite à la chambre des lords. -- Proposition du bill des peines et amendes.—Acte d'accusation porté contre la réine.--Interrogatoires des témoins.-Plaidoyers des avocats.-Délibérations de la chambre. Question du divorce. -Retrait du bill des peines et amendes: - Effets et résultats de ce procès.

IL importe, avant d'entrer dans l'histoire de ce procès fameux, de rappeler à la mémoire du lecteur les antécédens, les circons tances qui l'ont amené, d'après des documens dont la vérité n'a été contestée, ni par les amis, ni par les ennemis de la reine.

Caroline-Amélie-Élisabeth, reine d'Angleterre, seconde fille du duc de Brunswick-Wolfenbuttel, tué à la bataille de Jéna, et d'Augusta d'Angleterre, sœur aînée de George III, est née à Brunswick, le 17 mai 1768; elle fút mariée au prince de Galles, George-Frédéric-Auguste, son cousin, le 8 avril 1795. Ce mariage, désiré par le roi George, s'accomplit, dit-on, avec quelques regrets de la part de son fils. Ce prince ne céda qu'à des considérations politiques et aux ordres de son père, qui avait promis, en faveur de son obéissance, d'éteindre toutes ses dettes, et de lui assurer un revenu considérable. Celui de la princesse fut fixé par le parlement à 50,000 livres sterling. L'union des augustes époux ne tarda, pas à être troublée : quelques mois après la naissance de la princesse Charlotte, leur fille, arrivée le 7 janvier 1796, des discussions d'une nature délicate amenèrent une séparation à l'amiable, sollicitée d'abord par le prince de Galles.

Les dix années qui suivirent cet arrangement ne présentent rien d'important. En 1806, des rapports injurieux pour la princesse de Galles s'étant répandus dans le public, le roi ordonna qu'il fût fait une enquête-sur la véritéde certaines déclarations communiquées à S. M. par la princesse de Galles, et qui tendaient à faire croire que la princesse aurait eu des liaisons avec le capitaine Manby, l'amiral sir Sidney Smith, etc., et qu'enfin elle avait été mère d'un enfant mâle. Les commissaires nommés pour cette enquête, dési gnés sous le nom de la délicate investigation, furent le lord chancelier, lord Grenville, lord Erskine, le comte Spencer et lord Ellenborough. De nombreux témoins, parmi lesquels se trouvait le duc de Kent, furent entendus, et le résultat du rapport fait à S. M. par les commissaires fut que la princesse de Galles était absoute de l'accusation de grossesse et d'accous

chement, et que l'enfant connu sous le nom de Billy Austin, maintenant William Austin, était le fils d'une pauvre femme de Deptfort, que S. A. R. avait pris sous sa protection; mais en même temps les commissaires décla→ rérent que l'enquête leur avait présenté quelques particularités sur la conduite de S. A. R., telles qué d'après la dignité de son rang, elles donneraient nécessairement lieu à des interprétations peu favorables...

Cependant M. Spencer-Perceval, qui avait cessé à la mort de M. Pitt 'de faire partie du gouvernement, et qui était alors à la tête de l'opposition, fut le défenseur de la princesse, et publia un ouvrage sur toute la procédure. Le ministère de lord Grenville et de lord Grey ayant été dissous, M. Perceval devint, sous le duc de Portland, ministre dirigeant. Il fut résolu alors que le recueil de la procédure, ainsi que la défense de la princesse, par M. Perceval, qui allaient paraître, seraient supprimés. Comme il importait à la famille royale, et mème aux intérêts de l'Etat, que l'innocence de cette princesse fût reconnue d'une manière solennelle, le roi lui fit une visite de cérémonie à sa résidence de Blackheath, et combla publiquement S. A. R. d'attention et d'égards. La princesse reçut de pareilles visites des princes ses beaux-frères, parut à la cour et à l'Opéra, accompagnée du duc de Cumberland, l'un de ses plus zélés défenseurs. Une grande partie du public témoigna beaucoup de satisfaction de la voir sortir victorieuse des accusations que l'on disait avoir été portées contre elle par sir John et lady Charlotte Douglas.

Sous le ministère de M. Perceval, une décision du conseil d'Etat, nonseulement confirma l'absolution de la princesse, mais ajouta même que les témoins dont les dépositions avaient entaché sa conduite de soupçons de légèreté, n'étaient pas dignes de confiance, ce qui emportait une disculpation complète. Les choses restèrent dans cet état pendant six années. Le prince et la princesse vivaient séparés, d'après des arrangemens convenus dès 1 96, et chacun d'eux gardait, sur ce qui s'était passé, le plus profond silence, à peine interrompu par quelques écrivains indiscrets qui, de temps à autre, osaient annoncer une publication prochaine du fameux livre (The Book), et placardaient les rues de l'affiche du roman relatif à l'investigation royale. Cet heureux calme fut troublé tout à coup, et la question reportée devant le public par une démarche inattendue de la princesse de Galles.

Le 14 janvier 1813, S. A. R. adressa au prince-régent, son époux, des plaintes générales sur sa situation particulière, sur l'éducation de la princesse Charlotte, et principalement sur l'espèce de séparation que l'on aggravait chaque jour en rendant moins fréquentes les visites de la jeune princesse à sa mère. Cette lettre fut envoyée deux fois à Carlton-House, et en fut deux fois renvoyée sans avoir été ouverte. La troisième fois elle fut reçue, et bientôt après rendue publique, au grand étonnement de tout le monde. La rédaction en fut attribuée à M. Brougham, conseiller de la princesse.

Cette lettre produisit une sensation prodigieuse dans le public: on fut étonné et affligé de l'indiscrétion que commettaient les conseillers de S. A. R., en la portant à renouveler des discussions dont tant de motifs de délicatesse auraient dù la détourner. Tous les paragraphes en furent discutés el réfutés dans les papiers publics. Plusieurs membres du parlement se pré

paraient à faire des motions à ce sujet, lorsque le prince-régent jugea à propos de soumettre aux membres du conseil privé de S. M. la lettre de S. A. R., et la totalité des documens et pièces, en demandant leur avis. Les membres du conseil privé, après avoir examine toutes ces pieces, pensèrent unanimement que les imputations faites à la princesse étaient calomnicuses; mais en même temps que les restrictions mises aux communications de S. A. R. avec la princesse Charlotte devaient être maintenues ils justifièrent ainsi les mesures prises par le prince-régent.

La princesse de Galles crut alors devoir demander, par une lettre qu'elle adressa à l'orateur de la chambre des communes, à être jugée publiquement. De grands débats suivirent la lecture de cette lettre, et après plusieure séances orageuses, les ministres firent écarter les diverses motions; tandis que, de leur côté, sir John et lady Douglas déclaraient par des pétitions à la chambre des communes, qu'ils étaient prêts à soutenir devant une cour de justice la vérité de leurs premières accusations....

De tous les membres de la famille royale, nul n'avait paru plus indulgent pour la princesse de Galles que le monarque son beau-père, ou par affection de famille, ou par conviction de son innocence, ou pour la consoler d'un mariage commandé par la politique. Mais à mesure que la guétison de sa maladie mentale devint moins probable, la situation de la princesse se trouva plus pénible. En 1814, à l'arrivée des souverains alliés, elle eut la mortification de n'en point recevoir la visite. Enfin, des difficultés relatives au projet du mariage de la princesse Charlotte sa fille avec le prince d'Orange, la décidèrent à écrire au prince-régent une lettre (du 25 juillet 1814), où, après avoir exposé ses griefs, elle communiquait à S. A. R. la ferme résolution qu'elle avait prise de s'en retourner à Brunswick, son pays natal, d'où elle pourrait ensuite voyager en Italie et en Grèce, déclarant en même temps qu'elle n'acceptait pour son traitement que 35,000 liv. sterl, sur les 50,000 que la générosité du parlement avait votés pour elle.

La réponse à cette lettre ne se fit point attendre. Lord Liverpool eut ordre de déclarer à la princesse que S. A. R. le prince-régent ne mettrait jamais aucun obstacle à ses intentions actuelles ou futures relativement au lieu qu'elle voudrait choisir pour sa résidence.

Voilà comme la princesse de Galles avait quitté l'Angleterre (9 août 1814) pour aller à Brunswick, d'où elle ne tarda point à faire les voyages qu'elle avait annoncés. Elle visita successivement l'Allemagne, l'Italie, la Grèce, la Turquie, la Palestine et les côtes de Barbarie, et revint établir sa résidence alternativement dans deux maisons de campagne qu'elle avait achetées sur le lac de Come et à Pesaro. Sa suite, organisée comme une petite cour, était composée en grande partie d'Italiens. D'après quelques rapports peu favorables sur sa conduite avec un Italien nommé Barthelemy Pergami, entré à son service en qualité de courrier;

mais qu'elle avait élevé subitement au rang de chambellan, de baron, et de chevalier grand-maître d'un ordre de Sainte-Caroline, institué par S. A. R. dans son voyage de Jérusalem, il avait été envoyé secrètement à Milan, des commissaires chargés de recueillir les preuves du commerce adultère qu'on imputait à la princesse, Nous n'entrerons ici dans aucuns détails à ce sujet; nous ne rappellerons ni les dégoûts et les affronts que la princesse s'est plaint d'avoir éprouvés de la part des gouvernemens étrangers ou des agens anglais, ni les tentatives faites, s'il faut en croire quelques soupçons trop vagues pour être rapportés, contre la sûreté de sa personne. Tous ces détails se retrouveront dans l'histoire du procès ou dans la série des documens à l'appui.

Il nous suffira de dire que de la part du gouvernement anglais, toutes les précautions semblaient alors se borner à retenir la princesse dans un état privé, et surtout à l'empêcher de revenir en Angleterre; mais maintenant si elle se décidait à faire cette démarche, il n'avait que deux partis à prendre envers elle; il fallait la recevoir en reine épouse ou la traiter en femme coupable.

A la nouvelle de la mort du roi George III, que la princesse, devenue reine, reçut à Livourne le 10 février, au retour d'un voyage qu'elle venait de faire en France, elle résolut de retourner en Angleterre. Après une dernière visite à Rome, elle fit ses préparatifs, et quitta Pesaro le 19 avril, avec une partie de sa cour italienne, composant cinq voitures aux armes royales d'Angleterre, et voyageant avec la plus grande diligence par l'Italie occidentale, les Alpes et la France, sans entrer même à Paris, dont elle traversa les boulevarts extérieurs, S. M. arriva le 1er juin à Saint-Omer, où elle congédia sa cour italienne, ne gardant de tous ceux qui l'avaient accompagnée dans ses voyages que le jeune W. Austin dont elle ne s'était jamais séparée.

Dès que la résolution et le retour de la reine concertés avec ses amis d'Angleterre avaient été bien assurés, l'alderman Wood et lady Hamilton étaient partis pour la devancer et lui offrir leurs services; ils l'avaient trouvée à Montbar, et dès le lendemain, d'après une consultation tenue avec eux, S. M. avait envoyé,

de

Villeneuve-le-Roi (29 mai) à Londres, un courrier porteur de lettres pour lord Liverpool, afin qu'il lui procurât une résidence digne de son rang et pour lord Melville, afin qu'il lui envoyât à Calais un yacht de la marine royale, le samedi 3 juin. On ne répondit point à ces dépêches.

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Jusqu'ici le gouvernement anglais avait encore paru douter de la résolution de la reine; mais à la nouvelle qu'il en reçut, il sentit les dangers de sa présence, dans un moment où les radicaux' et les mécontens ne cherchaient qu'un prétexte de troubles et de ralliement, et il se résolut à traiter avec elle. Lord Hutchinson fut chargé de la part du roi de voir à cet effet M. Brougham, conseiller de la reine, et la médiation s'ouvrit de l'aveu même de la reine. Dès qu'on sut positivement qu'elle arrivait à Saint-Omer, les médiateurs s'y rendirent (3 jain ), et lord Hutchinson lui fit connaître à son arrivée qu'il avait une proposition à lui faire de la part du roi. La reine répondit d'abord qu'elle n'en écou terait que lorsqu'elle serait arrivée en Angleterre; mais ensuite elle consentit à les recevoir par écrit, et à les attendre jusqu'à cinq heures du soir.... Le message n'étant arrivé que peu de minutes auparavant le terme fixé, S. M. ne fit qu'y jeter un coup d'œil, elle y vit qu'on lui offrait de lui faire allouer par le parlement une pension de 50,000 liv. st., sous la condition de rester en pays étranger, et de ne prendre ni le titre de reine, ni aucun autre appartenant à la famille royale d'Angleterre, en lui insinuant que si elle était assez mal conseillée pour venir dans aucune partie du royaume-uni, tout arrangement sc-❤ rait rompu et qu'il serait procédé contre elle dès qu'elle mettrait le pied sur le rivage britannique. A la lecture de cette note, la reine ordonna à M. Brougham de répondre à lord Hutchinson qu'il était impossible d'accepter ces propositions, et monta sur-lechamp en voiture pour se rendre à Calais, où ne trouvant point le yacht royal qu'elle avait demandé, elle descendit à bord du paquebot anglais le prince Leopold, sans que les autorités françaises fissent honneur à son arrivée, ni obstacle à son départ.

Le paquebot où S. M. passa la nuit, mit le lendemain à la voile

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