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son indignation. » M. de Saint-Aulaire s'écrie qu'il n'a que cette seule réponse à faire à M. Clausel de Coussergues: Vous éles un calomniateur!..... Mais celui-ci déclarant qu'il persiste dans son dessein, rédige et remet incontinent sur le bureau une proposition tendante à mettre M. le comte Decazes en accusation, comme coupable de trahison, aux termes de l'article 56 de la charte (non plus comme complice de l'assassinat de Mgr le duc de Berry); proposition dénaturée dont quelques orateurs du côté gauche réclamèrent plus d'une fois la poursuite, mais que son auteur retira le 25, après la retraite de M. Decazes. Au reste, cette scène n'aboutit qu'à faire approuver la rédaction du procès verbal. Mais elle était à remarquer par les haines qu'elle manifesta contre le président du conseil. Lui-même entra peu après dans la salle pour proposer une nouvelle loi d'élections.

Peut être serait-il utile de donner ici l'analyse de ce projet et celle des deux lois d'exception, présentées le même jour aux deux chambres pour bien faire entendre le système et la position du ministère d'alors; mais l'inconvénient de ramener nos lecteurs aux mêmes sujets nous force à renvoyer ces détails aux chapitres qui doivent en offrir l'ensemble.

Aux attaques violentes, faites au sein de la chambre des députés et dans quelques journaux, contre M. Decazes, à l'appui que le côté droit semblait prêter à ses accusateurs, tandis que, par les trois projets de loi présentés, il se mettait en guerre ouverte avec Pautre, il était aisé de voir qu'il ne pouvait rester long-temps au timon des affaires. « Il n'y avait plus, disaient ses ennemis, de majorité possible avec lui... » Il était réduit à la faire dissoudre ou à se retirer...... Il remit son portefeuille au Roi, le 18 février au soir.... Et après deux jours d'incertitude, sur l'acceptation de sa démission, il fut remplacé, le 20 février, dans la présidence da conseil, par M. le duc de Richelieu, et le 21, par M. le comte Siméon, dans le ministère de l'intérieur dont on détacha l'administration départementale et la police, pour en donner la direction générale à M. le baron Mounier, pair de France. comte Portalis fut en même temps chargé du portefeuille de la

M. le

justice, pendant l'absence de M. de Serre, avec la qualité de soussecrétaire d'Etat.

Quoi qu'on soit autorisé à penser du vrai motif de la démission de M. Decazes, elle fut acceptée en considération du mauvais état de sa santé. Mais S. M. voulant lui donner une preuve de la satisfaction de ses services, lui conféra le titre de duc, de ministre d'État et de son conseil privé, et quelques jours après, les fonctions d'ambassadeur auprès de S. M. Britannique. Il partit presque immédiatement pour Libourne, sa patrie, où son séjour prolongé donna lieu de penser, aux uns, qu'il était tombé dans une disgrâce complète, aux autres, qu'il allait être remis avec plus de faveur que jamais à la tête des affaires, à tous, qu'il ne se rendrait pas à son ambassade conjectures qui furent également trompées. Il revint à Paris, d'où il partit pour Londres, le 10 juillet, après avoir été comblé de bontés toutes particulières du Roi.

Cette nouvelle révolution ministérielle ne diminua rien de la défiance et des haines qui s'envenimaient tous les jours davantage, à l'occasion des poursuites faites ou à faire dans le procès de Louvel. Il avait été conduit du théâtre de son crime à la conciergerie. On lui mit la camisole (1), on prit toutes les précautions possibles pour l'empêcher d'attenter à ses jours. Il fut vingt-quatre heures sans vouloir prendre de nourriture; mais ensuite il parut se résigner à son sort. Amené, le 15, au Louvre, dans l'appartement du gouverneur, (M. d'Autichamp), où l'on avait apporté le corps du prince, ni l'aspect de la victime royale, qu'il venait d'immoler à son fanatisme politique, ni la présence des magistrats, ni la vue de la fuueste blessure, qui fut subitement découverte à ses yeux, n'ont paru lui causer un instant d'émotion. De nouveau interrogé, s'il avait des complices, il persista, comme dans son premier interrogatoire, à se reconnaître seul coupable de son crime.-En effet, on n'avait trouvé sur lui, ni dans son logement, aux écuries du Roi, rien d'où l'on pût inférer que son attentat était l'effet d'un com

(1) Espèce de vêtement sans manches qui ôte au prisonnier l'usage de ses bras.

plot..... Cependant, plusieurs individus, que l'on savait ou qu'on supposait avoir eu des relations avec lui, d'autres qui avaient tenų des propos séditieux ou injurieux à la famille royale, à la nouvelle de l'assassinat du duc de Berry, furent arrêtés, interrogés, confrontés avec Louvel, sans qu'on pût en tirer d'indices de cette complicité dont on faisait la recherche avec ardeur.

Aussitôt après le second interrogatoire de Louvel, on procédą à l'ouverture du corps du prince, en présence des premiers méde+ eins ou chirurgiens de la capitale. Ils reconnurent que l'instrument avait pénétré de six pouces entre les cinquième et sixième côtes, et qu'il avait atteint le péricarde.

Le 16, le corps embaumé fut exposé sur un lit de parade, la tête découverte; et peu de jours après, dans la chapelle ardente, disposée au Louvre, avec une magnificence funèbre, inconnue depuis la révolution. Toute la galerie méridionale était tendue de draperies noires, et éclairée par des candelabres antiques, et dans la chapelle ardente, le catafalque fut élevé entre deux autels, où Fon célébrait le matin, la messe, et la nuit, l'office des morts.

Pendant sept jours, où les spectacles et divertissemens publics furent interrompus, les pairs, les députés, les juges de tous les tribunaux, les chefs de tous les corps civils et militaires, les officiers de la garde nationale, et toutes les classes du peuple, furent admis à rendre les derniers devoirs au prince. C'est le neuvième jour après sa mort, qu'il fut porté du Louvre à Saint-Denis.

Arrivé à cette dernière demeure des rois, le corps du prince y resta exposé dans une chapelle, jusqu'au 14 mars, jour marqué pour les funérailles. Le Roi, toute la famille royale, excepté l'auguste veuve que sa douleur retenait encore renfermée au château de Saint-Cloud; le corps diplomatique, les autorités de la capitale, et tout ce que la cour et la ville offrent de personnages distingués, yassistèrent. La messe fut célébrée par Mgr l'archevêque de Paris; l'oraison funèbre prononcée par son coadjutenr, Mgr de Quélen. On n'essaiera point de donner une idée de cette pompe funèbre, où il y avait tant de grandeur, a dit M. de Châteaubriant, qu'on aurait cru assister aux funérailles de la monarchie. »

Quelques jours après, les entrailles du prince furent portées à Lille, comme il en avait exprimé le désir, en reconnaissance des sentimens que les habitans lui avaient témoignés pendant son séjour dans cette ville. Son cœur resta provisoirement à Saint-Denis, pour être déposé au château de Rosni, dans une chapelle destinée à l'hospice fondé au même endroit, et dont madame la duchesse de Berri a voulu poser la première pierre, le 4 novembre, jour de la Saint-Charles, patron de son malheureux époux.

Entre les témoignages de la douleur publique, donnés à l'occasion de cette catastrophe, il faut citer la sonscription qui s'ouvrit pour l'érection d'un monument à la mémoire du prince, au lieu où il avait été assassiné; car on décida dès lors que cet édifice ne servirait plus aux représentations théâtrales, (on a même dit que la promesse en avait été faite, la nuit de l'assassinat, au prélat qui vint y administrer les derniers sacremens à S. A. R.) Cette souscription, remplie par des fonctionnaires et des citoyens de tous les rangs, s'élevait, à la fin de l'année, à 530,000 fr. Au milieu de la consternation publique, une espérance s'éleva pour les amis de la monarchie, que l'auguste veuve portait dans son sein un rejeton du sang de saint Louis; espérance que chaque jour confirmait, et que le 29 septembre a vu réaliser.

Il est superflu de dire, que de toutes les parties de la France, il arrivait au pied du trône, des adresses de condoléance respectueuse, dont quelques-unes ajoutaient au sentiment de la douleur commune, des accusations et des voeux où se montrait l'irritation de parti, dont toute l'histoire de cette année offre la triste empreinte.

CHAPITRE III.

Lois d'exception.-Discussion et adoption de la loi sur la liberté individuelle.

Les deux lois d'exception dont nous avons à parler, furent proposées le même jour; l'une (sur la liberté individuelle), à la chambre des députés ; l'autre (celle des journaux), à la chambre des pairs. Elles y furent discutées simultanément et adoptées presqu'en même temps. Mais l'ordre des délibérations exige que nous les considérions l'une après l'autre ; nous commencerous par celle qui excita les plus violens débats et la plus forte opposition.

( 15 février. ) M. le baron Pasquier, ministre des affaires étrangères, en soumettant le premier projet à la chambre des pairs, ne dissimula point que c'était une mesure d'exception suspensive d'une des premières maximes du droit public des Français, mais il fit observer que la charte l'autorisait.

• Les pouvoirs extraordinaires demandés par les ministres, dit S. Ex., ne sont point inutiles; ils furent déjà accordés au gouvernement par la loi du 12 février 1817, et les circonstances étaient alors bien moins graves. La fermentation des partis était apaisée; on espérait des jours tranquilles et sereins. Mais depuis un an cette fermentation s'est renouvelée et accrue jusqu'à un degré auquel elle ne s'était jamais élevée : nous venons d'en recueillir le fruit trop amer.

Cet attentat n'est-il que le crime d'un fanatique aveugle et égaré par les opinions perverses qui se publient chaque jour avec impunité, parce qu'elles ne sont, dit-on, que des opinions, comme si les opinions ne pervertissaient pas les esprits? ne se lie-t-il à aucun complot ? sommes-nous assez heureux pour qu'au milieu de tant d'exaltation et d'erreurs il n'y ait qu'un seul fanatique ? ne sommes-nous pas trop suffisamment avertis par ce coup imprévu qu'il nous faut veiller à la conservation de ce trône antique et sacré dont une main sacrilége vient d'abattre le plus jeune rejeton? Le ministère n'hésite pas à le croire, et c'est d'après ces considérations qu'il demande de pouvoir faire arrêter, sans qu'il soit besoin de le traduire en justice, tout individu prévenu de complots ou de machinations contre la personne du Roi, la sûreté de l'Etat ou les membres de la famille royale.....

<< Nous souhaitons de n'avoir pas l'occasion d'en user; mais nous devons en être investis pour ne pas rester désarmés devant des opinions, des complots et des crimes de nature semblable qui pourraient avoir les mêmes sources et qu'il faut que nous puissions détourner et prévenir.

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