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est menacé de deux maux, il est besoin de deux remèdes; que la licence des journaux était parvenue à un excès que tout le monde semble reconnaître, et qu'indépendamment de l'événement du 13 février, la loi relative aux journaux aurait dû être proposée. Quant à la suspension de l'art. de la charte sur la liberté individuelle, it démontre que la charte n'a pas interdit à la loi de donner des pouvoirs hors du droit commun.... Il cite les précédens contraires, l'exemple tiré de la république romaine, le caveant consules, et en Angleterre, celui de la suspension de l'habeas corpus, ordonnée dix fois en moins d'un demi-siècle. Il ajoute, que la société ne se soutenant que par une communauté d'intérêts, pour la conservation desquels chaque membre a dû faire quelques sacrifices, la liberté individuelle est elle-même soumise à cette condition inhérente à l'existence sociale; que d'ailleurs, ce sacrifice devant être adouci le plus possible, le gouvernement a proposé toutes les précautions pour rassurer les esprits droits, les bons citoyens, sur la faculté qu'ils demandent, et à cet égard: il ne craint pas d'invoquer l'exemple du passé, de la loi de 1817; elle détourna le mal que l'on voyait poindre et que l'on voulait prévenir. Comme alors, la loi demandée ne peut devenir un instrument de vengeance.

- Quant aux circonstances qui la rendent nécessaire, le ministre demande si la France n'a pas ses conspirateurs, ses factieux et ses radicaux....« Avons-nous de vaines terreurs, dit-il? vous allez en juger.... »

Ici S. Exc. assure qu'à Paris un certain nombre d'individus ont tenu des propos approbatifs de l'assassinat de Mgr le duc de Berry « en désirant et promettant de semblables propos qui, tout menas cans qu'ils soient, ne sont pas punissables d'après les lois actuelles, w

« Ce n'est pas à Paris seulement que se montrent ces symptômes. Quelques autres avaient paru dans les départemens, et se sont augmentés depuis le commencement de 1819, et aggravés à la fin de cette année. Après le 13 février, on a laissé échapper des témoignages d'une joie féroce On a proféré les plus coupables imprécations, exprimé les voeux les plus atroces contre les personnes les plus augustes. Ces ́imprécations, ces souhaits execrables, se sont presque partout présentés sous la même forme, comme s'ils étaient la

suite d'une idée commune, et partis d'un centre commun dans les classes où l'on voudrait chercher des ennemis au gouvernement.

« Cette sorte d'identité dans les expressions séditieuses se retrouve encore plus dans les nouvelles alarmantes répandues sur tous les points de la France, et répétées comme à l'envi avec les seules variations nécessaires pour leur donner plus d'accès auprès des personnes de différentes classes et dans les différens pays.

«Ainsi, parmi les hommes des classes moins ignorantes, on a répandu le bruit d'intrigues tendantes à attaquer les droits de la dynastie, lesquelles seraient soutenues par l'Autriche, la Prusse, et même l'empire de Russie.

■ D'un autre côté on répand le bruit tantôt du débarquement de Napoléon' en Espagne, tantôt de sa présence en Amérique, tantôt on annonce qu'une guerre va éclater sur les bords du Rhin, tantôt que des troupes vont être envoyées en Espagne, d'autres fois que tel ou tel département est insurgé. Sur plusieurs points des annonces mystérieuses, des prophéties construites de manière à produire une vive impression sur le vulgaire, ont annoncé la destruction de la famille royale dans le cours de 1820.

A cela s'est joint la multiplication des signes et des emblèmes du dernier gouvernement; des chansons qui en rappellent le souvenir. Ces chansons à demi-voilées, pour leur donner l'attrait d'une sorte de mystère, sont devenues un véritable moyen d'action contre le gouvernement.

« On a cherché à introduire la corruption parmi les troupes en proposant soit la santé de M. Du Rocher, soit celle de l'ami commun. On a entendu, on a reconnu les mêmes phrases, les mêmes expressions qui circulaient aux approches du 20 mars.

On a répandu des bruits alarmans sur le rétablissement si faux, si impossible, de la dime et des droits féodaux, et sur la reprise des biens nationaux. Il est constant que dans beaucoup de départemens un grand coup avait été annoncé pour le mois de février ou le mois de mars. La procédure qui s'instruit fera connaitre le réste.

Voilà, Messieurs, le résultat des informations qui nous sont parvenues; voilà les traces des machinations qu'il faut découvrir. Il faut armer le gouvernement d'un pouvoir extraordinaire, mais dont il fera un usage modéré, C'est ce que vous avez jugé nécessaire en 1817, et nous espérons que vous le jagerez encore. »

Plusieurs membres du côté droit et du centre demandérent l'impression de ce discours dont plusieurs traits sont importans à recueillir pour l'histoire du temps; elle fut vivement contestée par le côté gauche, mais sur l'observation du président, que l'article 97 du règlement s'y opposait, la proposition n'eut pas de

suite.

MM. Basterrèche et de la Bourdonnaye, inscrits dans l'ordre de la parole pour combattre ou appuyer le projet, insistèrent par-ticulièrement, celui-là sur la violation des droits constitutionnels

acquis aux Français «qui ne seraient pas assez lâches, dit-il, pour tendre les épaules au knout et pour accepter le fatal cordon; » celui-ci sur une conspiration manifeste et flagrante contre la dynastie royale << et sur la concordance de l'élection scandaleuse d'un régicide avec le crime d'un assassin fanatique et d'autres faits simultanés : concordance qui, si elle n'était que l'effet du hasard, serait plus étonnante, plus désastreuse que la conspiration elle-même, puisqu'elle prouverait la dépravation générale des esprits. Faisons ce que commandent les circonstances, dit M. de la Bourdonnaye, et rapportons-nous-en, pour l'exécution de là loi, à la sagesse du monarque, car nous ne verrons plus la perfidie auprès du trône.»

M. Benjamin Constant, alors appelé à la tribune, répondant d'abord à ce que le ministre de l'intérieur vient de dire de la fermentation qui existe depuis un an, demande où en est la preuve ?

« Il y a un an, il y a peu de mois, dit-il, aucune fermentation n'agitait la France. Une amélioration calme et progressive se faisait partout remarquer: Une vie animée, telle que la crée une véritable et sage liberté, circulait activement dans toutes les parties de ce superbe royaume; l'espoir. remplissait toutes les ames; l'attachement aux institutions pénétrait dans tous les esprits. Des plaintes s'élevaient sans doute encore contre des abus de détail; mais ces plaintes, inséparables de la condition humaine, inséparables surtout d'un gouvernement représentatif, ne troublaient ni l'ordre public ni les esperances générales.

« Tout à coup des ministres qui prenaient l'exercice des droits nationaux pour des révoltes, et nos oppositions constitutionnelles pour des projets de bouleversement, ont déclaré la guerre à toutes nos garanties. Alors, en effet, la France s'est alarmée. L'on a pu remarquer d'une extrémité du royaume a l'autre une fermentation douloureuse. Mais comment cette fermentation s'estelle manifestée ? Par la chute de l'industrie, par l'interruption des speculations, par la baisse de la valeur vénale des propriétés, enfin par des pétitions respectueuses trop peu écoutées. Qu'ont de commun ces symptomes d'inquiétude avec l'exécrable assassinat d'un prince étranger à toutes les questions politiques; d'un prince séparé du trône, suivant la marche de la nature, au moins pour bien des années encore; d'un prince enfin dont la mort déplorable, en le rendant l'objet du regret juste et profond de quiconque admire la bonté, la générosité, le courage, ne servait, grâces au ciel, aucun des criminels systèmes auxquels on voudrait l'attribuer?

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« Quant à la loi présentée, cette mesure comme les deux autres qu'on nous présente simultanément, fait partie d'un système, médité, rédigé, annoncé d'avance, d'un système qui ne tend à rien moins qu'à renverser tout le gouvernement actuel, à déchirer la charte, à substituer à nos institutions la monarchie absolue. C'est à part d'un souvenir déplorable que vous devez

examiner ce système, et le sang précieux, le sang à jamais regrettable qui a été versé ne saurait servir de prétexte à donner des fers à une nation innocente, irréprochable, qui a reculé d'horreur devant ce forfait.

Les amendemens proposés par la commission, ils sont insuffisans, nuls et dérisoires : les mots ne changent rien au fond des choses, et quand l'arbitraire est au fond des choses, je voudrais être préservé du moins du subterfage de mots; la loi projetée est la ruine non-seulement de la liberté, mais de la justice, de la morale, du crédit et de la prospérité de la France... L'abime de la contre-révolution va s'ouvrir : on voit arriver un système qui attaquera successivement tous les droits, toutes les garanties que la nation voulait en 1789, et qu'elle avait obtenus en 1814. Le régime de 1788, tel qu'il existait par les trois lois qu'on vient de proposer en même temps, c'est-à dire, les lettres de cachet, l'esclavage de la presse, des organes donnés au peuple contre son choix et sans son aveu....... L'expérience de tous les temps, celle surtout d'une révolution désastreuse à plus d'une époque, nous apprend que lorsqu'un gouvernement cède à un parti, ce parti ne tarde pas à le subjuguer. Je prends acte de ce que je dis ici, à cette tribune aujourd'hui..... Oui, Messieurs, la digue qu'oppose avec indécision et mollesse à la contre-révolution imminente le ministère actuel, cette digue cède, s'ébranle, elle est sur le point d'être brisée. Le ministère lui-même ne le prévoit peut-être pas encore; mais toutes les lois que Vous allez faire, la contre-révolution en profitera, et j'applique ce principe à la loi actuelle, comparée à celle de 1817........... Autant la loi de 1817 a été exécutée, je ne dis pas avec justice, la justice n'a rien de commun avec de telles lois, mais avec réserve, autant celle-ci sera exécutée avec violence et rigueur..... Ce qui en 1817 n'était qu'irrégulier, en 1820 sera terrible; ce qui en 1817 n'était vicieux qu'en principe, en 1820 sera effroyable en application.....

« J'ai toujours regardé comme digne d'envie le sort des amis de la liberté qui, lors du commencement des fureurs révolutionnaires, ont été les premiers frappés. Cette destinée les a préservés d'être les témoins d'autres fureurs encore plus affreuses. Le sort de ceux qui seront les premières victimes de la contre-révolution, si elle s'opérait, me semblerait également digne d'envie; ils ne verront pas cette contre-révolution dans toutes ses borreurs.

< Messieurs, deux routes vous sont ouvertes depuis deux ans : lors même que les ministres se sont égarés, les représentans de la nation ont marché dans la ligne constitutionnelle : voulez-vous rentrer dans les lois d'exception!.... La Convention, le Directoire, Bonaparte, ont gouverné par des lois exceptionnelles: où est la Convention? où est le Directoire? où est Bonaparte ? »

Plusieurs autres discours mériteraient d'être cités pour leurs beautés oratoires. D'un côté, MM. Bonald et de Villèle défendirent encore le projet, le premier par de nouvelles considérations sur la nécessité des garanties dues à la société, d'une législation sévère et Annuaire hist. pour 1820.

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sur la différence de la loi naturelle et de la loi positive; le second,

par des digressions sur les dangers de la licence des journaux, des doctrines révolutionnaires et des conséquences que les libéraux veulent tirer de la charte. De l'autre côté de la chambre, MM. Lainé de Villevêque et de la Fayette combattirent le projet comme subversif de tout ordre, de tout droit et de toutes franchises de la nation. Le dernier orateur rappela les effets de la faiblesse de la convention quand elle vota la loi des suspects, les malheurs qui s'en suivirent et qui menacent encore la France...... Ces discours exprimaient plus ou moins heureusement les mêmes pensées; mais ici le ministère était plus personnellement attaqué, sa position nouvelle donne plus d'intérêt à sa défense; c'est surtout lui qu'il faut entendre.

(8 mars.) Ainsi M. Pasquier répondant à la fois à plusieurs des orateurs qui l'avaient précédé, et défendant le projet dans son intégrité, sans les amendemens proposés par la commission, annonce qu'il abordera la question franchement et avec toute sa défayeur.

<< Oui, je demande l'arbitraire, dit-il, mais pour deux motifs : le premier, parce que quand on sort de l'égalité, ce ne peut être que pour un but important, pour un grand objet à remplir. L'arbitraire ne peut être justifié que par la nécessité des circonstances, nécessité déjà suffisamment démontrée par M. le comte Siméon; le deuxième, parce que nul inconvé–› nient n'est plus grand que celui de l'arbitraire déguisé, introduit dans un gouvernement libre; c'est alors véritablement la corruption de toutes les constitutions: au contraire, l'arbitraire nettement exprimé peut être un remède salutaire dans de grands périls. Les hommes ne sont pas les maîtres de reculer devant les lois d'exception: parce que les lois sont commandées par des circonstances d'exception, qui se produisent malgré eux et en dépit de leur volonté. Il faut encore ajouter que les lois d'exception n'appartiennent qu'aux gouvernemens libres, et qu'eux seuls ont le droit d'en avoir, si je puis me servir de cette expression. Qu'arrive-t-il enfin dans les gouvernemens plus ou moins absolus? La puissance publique y est si terriblement armée, même dans l'état le plus ordinaire, qu'elle n'a jamais rien de nouveau à demander à la législation; mais dans les gouvernemens libres, la puissance publique est constituée de manière à porter un tel respect à la liberté des citoyens, que quand viennent les événemens extraordinaires, elle doit demander secours à la législation. Voilà, Messieurs, le principe et l'histoire des lois d'exception.

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Ici le ministre orateur cite de nouveaux exemples pris dans

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