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distance, le 31 août, une bataille dont l'issue ne fut pas favorable à l'armée d'Ali, puisqu'elle se retira en toute hâte sur Janina. Alors il ne semblait plus rester de ressources au pacha naguèr si redoutable; la plupart de ses troupes, enivrées par l'appât du pillage, se débandèrent après la défaite du 31 août. La ville de Janina n'était pas tenable; le château de la presqu'île même, séparé d'elle par quelques retranchemens faits à la hâte et dominés par la position de Litharitza, ne semblait pas devoir opposer une longue résistance. Cependant Ali-pacha n'hésita pas à s'y renfermer avec ses trésors et ses ôtages, sept à huit cents hommes et deux cents pièces de canon.

Jusqu'ici nous n'avons pour connaître la campagne dirigée contre Ali, que des récits venus au hasard de quelques observateurs étrangers ou des Grecs intéressés à la querelle, car la PorteOttomane n'en a rien fait publier. Mais dès que le pacha s'est enfermé dans sa citadelle où il est bloqué par l'armée ottomane, les renseignemens deviennent plus vagues et plus incertains: il paraît seulement qu'en arrivant à Janina', les assiégeans détruisirent une partie de la ville et en chassèrent les habitans pour s'y fortifier', et qu'Ali se vit forcé de détruire l'autre pour les en déloger : elle fut réduite en cendres et mise au pillage. On s'attendait à chaque instant à voir Ali se rendre à discrétion, mais il avait fait murer les portes de la forteresse; il promettait à ses soldats le partage de ses trésors, et était décidé à s'ensevelir avec eux sous ses ruines, D'un autre côté, l'appât de ses riches dépouilles animait les assiégés à sa perte. Cependant, soit qu'ils manquassent d'artillerie et de munitions, soit qu'il y eût entre eux des divisions, et qu'Ali-pacha eût trouvé moyen d'y pratiquer des intelligences à force d'or et d'artifices, la forteresse, que des hommes de l'art ne jugeaient pas en état de tenir huit jours, résista plusieurs mois. Pelhiyan-pacha vint à mourir empoisonné, a-t-on dit, par Paschobey, qui le soupçonnait d'avoir été gagné par Ali. Le commandement de l'armée fut donné à un autre (Hassan-pacha ou Chorschidpacha) qui ne fut pas plus heureux. En vain le grand-seigneur témoigna-t-il plusieurs fois son mécontentement de la lenteur des

opérations du siége; la défiance avait passé d'une armée dans l'autre. Les Turcs, affaiblis par les désertions et déjà manquant de vivres et de munitions, se retirèrent, vers le commencement de décembre, à Arta, pour y attendre des renforts; et l'habile Ali, vainqueur dans plusieurs sorties, profitant de ses premiers succès, trouva moyen de ramener à lui un corps de six mille Souliotes ou Albanais, avec lesquels il se préparait, à la fin de l'année, à reprendre ses avantages contre des ennemis déjà menacés sur d'autres points d'une révolte à laquelle il n'était sans doute pas étranger.

Constantinople même était depuis plusieurs mois remplie de troubles et d'inquiétudes. La fièvre s'y était déclarée vers la fin d'août et y fit beaucoup de ravages parmi les Turcs et les Juifs. Il y eut dans le même temps ( 20 août) des mouvemens séditieux de la part des Arméniens grecs contre leur patriarche, qu'ils accusaient de vouloir rapprocher sa secte de la religion catholique, et reconnaître le pape en qualité de chef de l'église arménienne. Comme il s'était enfui de son hôtel pour se soustraire à leur fureur, ils se rendirent le lendemain (21 août) à la Porte pour demander sa déposition; mais loin d'avoir égard à leur demande, on confirma le patriarche dans sa place, on lui donna une garde de sûreté, on fit arrêter une trentaine des séditieux, et on ordonna une enquête suivant la procédure ottomane, contre quelques Arméniens soupçonnés d'être la cause de ces mouvemens. De nouveaux désordres s'étant manifestés entre les Arméniens schismatiques et catholiques, au mois d'octobre, la commission chargée de l'enquête commença par faire appliquer à la question ceux qui étaient le plus compromis dans cette affaire, et par suite de cette instruction, elle a fait décapiter trois évêques, pendre à la porte du patriarcat deux Arméniens des plus notables du parti, et exiler plusieurs banquiers ou négocians, dont elle a confisqué, au profit du grand-seigneur, la fortune, qui se montait à plus de vingt millions de piastres turques..

Cette affaire, qui n'intéressait aux yeux des Ottomans qu'une secte toujours méprisée malgré ses richesses, fit moins de sensation qu'une violence commise alors par des soldats turcs sur l'hôtel de

la légation russe. Dans la soirée du 26 septembre, trois jamacks (soldats de la garnison des forteresses situées à l'entrée de la Mer Noire) étant ivres, déchargèrent en passant leurs pistolets contre les portes de cet hôtel à Bujukdéré, en poussant des cris qui jetèrent l'effroi dans tout le quartier. Sur les ordres que donna le comte de Strogonoff, le janissaire de garde à son hôtel, entreprenant d'exécuter un de ces furieux, il s'ensuivit une lutte où un' janissaire fut tué et un jamack arrêté; mais bientôt, cinquante de ceux-ci, complétement armés, se rassemblèrent devant le palais de la légation, et demandèrent qu'on remît leur camarade en liberté, menaçant, sur le refus qu'en fit le comte de Strogonoff, de tailler en pièces tout ce qui leur opposerait de la résistance et d'incendier le village. Déjà, ils se mettaient en mesure d'exécuter leurs menaces, et ils avaient forcé l'entrée du palais, lorsque des agas, que le comte de Strogonoff avait appelés à son secours, arrivèrent: il fit rendre à ceux-ci le prisonnier qui fut encore mis en liberté et ramené en triomphe. A cette nouvelle, la Porte envoya des patrouilles nombreuses de bostangis, qui bivouaquèrent plusieurs jours devant l'hôtel de l'ambassadeur russe. Elle s'empressa de lui faire présenter des excuses, d'abord par le chef des bostangis, ensuite par une lettre du drogman; mais le comte de Strogonoff, non content de ces démarches, exigea qu'un des grands officiers se rendrait chez lui pour lui faire cette réparation. Il s'éleva alors quelques difficultés sur le rang de cet officier, parce que la Porte aurait désiré diminuer, autant que possible, l'espèce d'humiliation à laquelle elle devait se soumettre. Il fallut enfin céder, et le 6 octobre le tschauschi-baschi (grand-maréchal de l'empire) se rendit chez le ministre, lui fit des excuses au nom de S. H., en lui offrant les présens d'usage en fleurs, en fruits et en confitures.

En même temps le nazir de Fanaraki, commandant général des forteresses, fut destitué. Plusieurs des principaux officiers des jamacks ont éprouvé le même sort, et dix soldats ont été étranglés.

Cet événement, survenu au milieu des négociations qui avaient été reprises pour l'exécution du traité de Bucharest, et des bruits

sur une alliance plus étroite avec l'Angleterre, en faveur de laquelle on venait d'alléger beaucoup la rigueur du tarif des douanes turques, jeta des inquiétudes sérieuses dans le peuple. Ces négociations, dont la Porte avait chargé le prince Callimachi en qualité de drogman, avaient pour objet de fixer définitivement l'interprétation du traité de Bucharest, et le degré d'influence qu'il donne à la Russie sur l'administration des princes de Valachie et de Moldavie. Il était question d'accorder aux vaisseaux de guerre russes le passage éventuel de la Mer Noire dans la Méditerranée, et surtout d'arranger, sous la médiation russe, appuyée par l'Autriche, les affaires de la Servie, médiation à laquelle le fanatisme et l'orgueil musulman, manifestés par l'événement de Bujukdéré, opposaient plus d'obstacles que la volonté de la Porte-Ottomane.

Au milieu de ces difficultés, les Serviens, excédés des vexations du gouvernement turc, ne cessaient de demander un hospodar de leur nation, en offrant de continuer à reconnaître la souveraineté de la Porte, et de lui payer un tribut plus considérable, et, à la fin de l'année, l'un des anciens généraux de Czerni Georges, Milosch, paraissait disposé à poursuivre cette demande les armes à la main.

Barbaresques. La peste, la piraterie, une petite guerre dont les faits seraient peu intéressans à raconter, composent cette année l'histoire de Tunis et d'Alger, dont les corsaires ont été plus audacieux que jamais.

Une révolution, dont les détails ne sont guère mieux connus, a éclaté dans l'armée de l'empereur de Maroc, vers la fin du mois de mai; elle paraît avoir eu pour cause ou pour prétexte, la guerre entreprise l'année dernière contre une tribu d'Arabes (les Bereberes) mécontens des impôts. Cette guerre fatiguait les troupes. Une partie de la garde impériale a tout à coup refusé de marcher, et s'est déclarée en faveur de Muley Ismaïl ou Ibrahim, neveu de l'empereur régnant, qui s'est fait proclamer et couronner à Fez, où il a établi sa résidence.

CHAPITRE XII.

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ETATS-UNIS D'AMÉRIQUE. Session du congrès. Débats relatifs au traité de cession des Florides et à l'admission de l'état du Missouri dans la fédération américaine.-Budget de 1820.-Difficultés avec la France. -Ouverture de la session nouvelle. -Message du président. -SAINT-DOMINGUE. Etat des partis sous la domination de Christophe et de Boyer. - Fin de l'insurrection de Goman. - Révolte à Saint-Marc et au Cap contre Christophe.-Défection de ses troupes et sa mort. - Entrée de Boyer au Cap. - Réunion des deux Etats en une seule république.

La session du congrès des États-unis, ouverte le 8 décembre 1819, a offert deux questions d'un haut intérêt pour la confédé`ration américaine.

La première, relative à l'admission de l'Etat de Missouri dans l'Union, déjà composée de vingt-deux Etats par l'accession récente du Maine, des Illinois et de l'Alabama, a donné lieu à des débats extrêmement longs et presque toujours animés. La chambre des représentans pensant qu'on ne pouvait recevoir le Missouri dans l'Union, à moins qu'il ne renonçât expressément à l'esclavage des nègres, encore existant dans cet Etat, n'avait adopté le bill d'admission qu'avec cette restriction. Le sénat, plus favorable aux intérêts et au vœu de cet Etat, avait d'abord rejeté cette clause, mais dans le désespoir d'y faire renoncer la chambre des représentans ; et pour pallier cette contradiction évidente de principes, le sénat proposa ensuite une rédaction qui rendait l'exception plus vague, en remplaçant la restriction par une clause portant que l'esclavage serait prohibé dans les territoires des Etats-Unis situés à 36 degrés au nord,et même dans tout le territoire cédé par la France aux Etats-Unis, sous le nom de Louisiane. Le bill représenté avec cet amendement à la chambre des représentans dans un moment où plusieurs opposans à l'esclavage étaient absens, fut enlevé comme par surprise, et les habitans du Missouri, admis comme

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