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Un cas complexe d'astasie-abasie

ASTASIE-ABASIE HYSTÉRIQUE.

MARCHE SUR LES GENOUX ET SUR LES COUDES ET AVANT-BRAS. EXAGÉRATION CONSIDÉRABLE DES RÉFLEXES PATELLAIRES SANS TRÉPIDATION ÉPILEPTOÏDE NI PHÉNOMÈNE DU PIED. AVANT-BRAS ET DES MAINS SANS ANESTHÉSIE.

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PARESSE DES DURÉE DE L'AFFECTION : GUÉRISON " INSTANTANÉE" COMPLÈTE ET DURABLE PAR

Par M. le Dr TERRIEN, des Essards (Vendée)

L'astasie-abasie n'est pas une manifestation très rare de l'hystérie. J'en ai déjà rencontré plusieurs cas dans ma clientèle, dont l'un, assez remarquable, que j'ai publié dans les Archives de Neurologie numéro 82 (Hystérie en Vendée). Celui que je vais rapporter ici offrira, je crois, un certain intérêt pour des raisons multiples. Il y aura d'abord la physionomie particulière du malade, l'aspect sous lequel il se présentera à ma consultation, son mode de progression, la difficulté du diagnostic par suite de la présence de certains symptômes susceptibles d'égarer le clinicien, exagération considérable des reflexes, par exemple, coexistence d'une parésie des deux avant-bras et des mains, sans troubles de la sensibilité, la durée de l'affection, quatre ans, la guérison subite et durable de tous les accidents présentés par le malade et cela, après une simple suggestion faite pendant l'hypnose. Ce sont là autant de caractères qui font de notre astasie-abasique un cas intéressant au premier chef, et utile par conséquent à signaler.

P..., 38 ans, cultivateur, hérédité névropathique et arthritique. Père rhumatisant, mère très nerveuse, très impressionnable. Pas d'antécédents personnels. Ni alcoolisme, ni syphilis. Santé toujours excellente, jusqu'au jour où éclatèrent les premiers symptômes de l'affection, mais tempérament nerveux, notre homme se préoccupait pour les choses les plus futiles et avait les colères faciles.

Il y a quatre ans, le malade éprouve des fourmillements dans les jambes, puis de la lassitude. Il croit qu'il va être paralysé. De fait, il lui est bientôt impossible de se tenir debout, de marcher. De même il a un peu de faiblesse dans les mains.

Cet état dure un mois environ, puis la force revient et P... se reprend à marcher. Mais cette amélioration est de courte durée. Au bout de quinze jours, il retombe dans le même état que précédemment, état qui a persisté pendant quatre ans. C'est à ce moment, après ces quatre années d'une vie misérable, qu'il se présente à mon cabinet, après avoir consulté de nombreux médecins, après avoir absorbé force médicaments et cela, sans avoir jamais éprouvé le plus léger soulagement. Il était condamné, nous dit-il. C'est dans cette disposition d'es

prit qu'il se présente à nous, il est persuadé que, pas plus heureux que mes confrères, je n'arriverai à l'améliorer, mais il veut, avant de cesser tout traitement, avoir mon avis.

Examen direct. Homme fort, bien constitué, de taille au-dessus de la moyenne, légère asymétrie faciale, a pris beaucoup d'embonpoint depuis le début de sa maladie. On le descend de voiture avec les plus grandes difficultés, car c'est une masse absolument inerte, bras et jambes ne peuvent lui servir en rien dans cette manœuvre. Une fois à terre, il se traîne dans mon cabinet, sur les genoux et sur les mains, ou plus exactement, sur les genoux et les avant-bras, les mains, nous le verrons tout à l'heure étant paralysées. C'est ainsi qu'il marche depuis quatre ans. On le soulève de terre péniblement pour l'asseoir sur une chaise. Assis, si je lui commande de se dresser debout, il ne peut m'obéir. Il faut mon aide et l'aide de sa femme présente à la consultation. Debout, si on cesse de le soutenir, il s'affaisse aussitôt.

Force dynamométrique normale aux membres inférieurs, très diminuée aux mains 4 à gauche, 8 à droite. — D'ailleurs le malade déclare qu'il ne peut s'alimenter lui-même. On est obligé de lui porter la nourriture à la bouche, car couteau et fourchette s'échappent involontairement de ses mains.

Les réflexes patellaires sont très exagérés aux deux membres, tellement exagérés que, persuadé avant de procéder à cet examen, que j'avais en face de moi une manifestation hystérique, je fus un instant égaré. Ma première impression, qui était en faveur de la névrose, allait être ébranlée. Car cette exagération des réflexes était absolument nette, ce n'était point un réflexe tendineux illégitime, psychique, mais un réflexe tendineux légitime, réel. Je refais plusieurs fois l'expérience, le malade ayant les yeux fermés, les muscles des membres inférieurs placés dans le plus grand relâchement, les muscles des membres supérieurs contractés, j'obtiens toujours le même résultat. Est-ce qu'il y aurait altération du système pyramidal? Nous verrons tout à l'heure qu'il n'en est rien et que par conséquent l'exagération des réflexes rotuliens n'implique nécessairement une lésion matérielle des cordons latéraux, qu'un trouble dynamique seul suffit. D'ailleurs, constatation qui a son importance dans la circonstance, pas de trépidation épileptoïde et le phénomène des orteils fait complètement défaut.

Dans les membres supérieurs, le réflexe radial n'est pas exagéré, il serait plutôt diminué.

Pas de contraction. Pas d'atrophie musculaire, sous une surcharge graisseuse assez notable. L'excitabilité électrique est normale. Pas de troubles des sphincters. L'examen de la sensibilité est négatif. On ne note aucun trouble de la sensibilité générale. Les sensations tactiles, douloureuses, thermiques sont absolument normales sur toute la surface cutanée aussi bien aux membres supérieurs, aux avant-bras qui sont parésiés qu'aux membres inférieurs. Pas d'hypéresthésie; aucune zone hystérogène. Pas d'anesthésie.

Aucun trouble de la vision. Pas de rétrécissement concentrique du

champ visuel, pas de dyschromatopsie, simplement quelques bourdonnements, quelques sifflements dans les oreilles et une légère anesthésie de la muqueuse bucco-pharyngée.

Voilà en quelques mots toute la symptomatologie présentée par notre malade.

Quel diagnostic étais-je dès lors autorisé à poser? Devais-je croire avec les nombreux confrères à une affection organique de la moelle? Je ne le pensais pas. Il y avait bien cette exagération des réflexes du réflexe rotulien qui ne laissait pas d'être embarrassante puisque cette exagération, quand elle est réelle, est ordinairement l'indice, M. Babinski dit toujours, d'une lésion spinale. Mais par ailleurs la trépidation épileptoïde n'existait pas et je constatais l'absence du phénomène des orteils, ce signe dont, n'en déplaise à certains détracteurs systématiques, il est impossible aujourd'hui de nier l'importance. C'est là, du moins mon humble avis, mais qui s'appuie déjà sur un nombre respectable de faits, que je me permettrai peut-être de résumer sous peu de jours. J'ajouterai enfin pour terminer que mon malade n'avait point la démarche d'un médullaire et c'est ce qui en premier lieu me frappa. Et puis, ce défaut d'énergie musculaire qui défendait la station debout était plus apparent que réel, puisqu'au repos, il n'existait que dans un lit ou dans une chaise le malade indiquait aux jambes du moins, une force normale au dynamomètre. Je posais donc le diagnostic d'hystérie sous la réserve cependant qu'avec l'hystérie il pouvait y avoir une affection organique associée. Je faisais mentalement cette réserve, précisément à cause de cette exagération réelle, non factice des réflexes patellaires, et à cause de cette parésie très accentuée des membres supérieurs au niveau de l'avant-bras et de la main. Je déclarais que c'était de l'astasie-abasie hystérique, malgré l'absence de stigmates, mais, nous le savons, l'absence de stigmates est ordinaire dans l'astasie-abasie, cette manifestation étant presque toujours monosymptomatique. Dans le cas actuel, il y avait bien, il est vrai, une parésie des deux avant-bras, mais parésie sans troubles sensitifs et cette constatation dès lors n'était pas faite pour jeter une vive lumière sur le diagnostic, bien au contraire.

Cependant j'ai eu raison de croire à la névrose car le résultat heureux obtenu par le traitement psychothérapique est venu confirmer pleinement le diagnostic. C'était de l'hystérie, rien que de l'hystérie. Les troubles, dans la marche étaient bien de l'astasie-abasie hystérique, cette parésie des membres supérieurs sans troubles sensitifs était bien de la parésie hystérique.

Je plonge en effet le malade dans le sommeil hypnotique, je lui commande de se lever, il se lève immédiatement, sans efforts, comme mû par un ressort, je lui ordonne de marcher, notre homme étant toujours dans le sommeil, il marche, je lui dis qu'une fois réveillé il pourra regagner sa voiture. Je le réveille, il est d'abord tout surpris de se trouver debout, sans appui et très solide sur ses jambes mais, j'avais oublié la parésie des membres supérieurs. J'endors à nouveau le malade, je lui commande de me serrer fortement la main, il le fait;

qu'il pourra boire, manger seul et travailler. Une fois réveillé P... s'empresse de courir à la voiture, il y monte seul, sans aide. Rentré chez lui, il fait des promenades et huit jours après il commençe les travaux du labour, à la grande stupéfaction de l'entourage, habitué depuis si longtemps à voir notre malade assis dans une chaise ou rampant.

Ainsi que nous avons pu le constater dans le cours de cet exposé, ce cas offre plusieurs particularités intéressantes sur lesquelles il n'est pas inutile d'insister.

1o Ordinairement les astasies-abasiques restent au lit, c'est la forme vulgaire, mais notre malade, un cultivateur, un homme des champs, plutôt que de rester inactif à la maison, au lit, a choisi le seul mode de locomotion qui était laissé à sa disposition, la marche sur les genoux et sur les avant-bras, les mains.

2o Tous les astasies-abasiques, que j'ai rencontrés, n'avaient que de l'astasie-abasie. Ici le cas est plus complexe. En même temps que cette manifestation de la grande névrose, nous constatons chez notre malade une parésie des deux avant-bras et des mains (c'est pour cela que dans la marche il prenait son point d'appui sur le coude) parésie. sans troubles de la sensibilité et cependant manifestement de nature. hystérique, puisque la suggestion l'a fait disparaître aussitôt.

3° L'exagération des réflexes patellaires peut exister dans l'hystérie, sans qu'il y ait lésion médullaire, altération des faisceaux pyramidaux. Je suis donc ici en désaccord avec mon maître M. Babinski; car comme je l'ai indiqué dans ce travail, cette exagération si considérable des réflexes n'était pas psychique, mais bien réelle. Cette perturbation des réflexes dans l'hystérie pour moi est indéniable; plus fréquente dans le sens de la diminution chez certains hémiplégiques hystériques par exemple (j'en ai rencontré plusieurs exemples) elle peut exister dans le sens de l'exagération, ainsi que le démontre d'une façon irréprochable, je crois, l'observation de notre malade. Ce fait est très rare, ce n'est pas douteux, mais il peut se produire, ce qu'il était utile de démontrer.

4° Il est utile de faire remarquer à nouveau, comme je l'ai fait maintes fois dans mes publications sur l'hystérie en Vendée (1) et l'hystérie infantile en Vendée (2) la puissance de la suggestion sur ces gros accidents hystériques. J'ai dit, et cet exemple vient encore à l'appui, qu'il fallait un traitement psychique à une manifestation purement psychique et les manifestations de l'hystérie sont de celles-là. Non loin de notre malade habitait une femme que j'ai vue à ma consultation et qui était atteinte de tabes dorsal spasmodique. Au début de son affection elle se traînait, m'a-t-elle déclaré, sur les genoux et sur les mains. Je suis, à me demander (il est évident que c'est là une simple supposition, mais supposition très admissible) si cette dernière malade n'a pas été pour quelque chose dans la manifesta

(1) Archives de Neurologie, an. 93, n° 82: Hystérie en Vendée.

(2) Archives de Neurologie an. 97, n° 22 et 23: Congrès de Toulouse 97, Hystérie infantile en Vendée.

tion hystérique de notre homme. Ils n'habitaient pas loin l'un de l'autre, ils se connaissaient. On peut fort bien voir là non pas une simple coïncidence, mais une relation de cause à effet.

N'ai-je pas raconté dans les Archives de neurologie, l'épidémie de coxalgie hystérique à laquelle j'ai assisté, quand j'ai eu mis dans un appareil une jeune fille atteinte de coxalgie ou plutôt, je me suis aperçu plus tard de mon erreur, de pseudo-coxalgie hystérique ?

N'ai-je pas cité au Congrès de Toulouse le cas de cet enfant qui a fait de la paralysie hystérique en regardant son frère atteint de parésie diphtéritique?

L'hystérique copie très aisément et involontairement ce qu'il voit. Le voisinage de cette tabétique a pu fort bien entraîner par un phénomène d'auto-suggestion chez notre malade ces divers accidents dont j'ai parlé.

5° Il est utile d'employer l'hypnose quand il y a doute sur la nature d'une affection paralytique. Je confesse que, plus d'une fois, c'est dans le but de m'éclairer que j'ai fait usage de la suggestion. Après l'expérience on est le plus souvent fixé, d'après précisément le résultat obtenu. Dans le cas présent, je soupçonnais certes fort l'hystérie, mais enfin, en raison de la complexité des symptômes et de l'absence de stigmates il planait cependant quelques doutes dans mon esprit. Le résultat de l'expérience devait les faire tomber aussitôt, l'hystérie pouvait seule, absolument seule, à mon sens bénéficier de ce mode de traitement.

6o Il y a encore un point sur lequel je me permets d'appeler l'attention. J'ai dit ailleurs dans mes travaux sur l'hypnose que la suggestion faite à l'état de veille pouvait suffire le plus souvent pour amener la disparition des accidents hystériques, mais il est des circonstances où il serait téméraire de croire à son succès. Je suis absolument convaincu que dans le cas actuel le résultat eût été nul. Notre malade en venant chez moi était trop persuadé de l'incurabilité de son affection, dix médecins le lui avaient dit, d'ailleurs son état allait toujours en s'aggravant. Dire à cet homme absolument incrédule que tel médicament allait le guérir ne pouvait suffire pour entraîner sa conviction et assurer dès lors l'effet psychothérapique, la guérison. Dans le sommeil, la puissance de la suggestion est plus forte, le malade offre peu ou pas de résistance, sa volonté est annihilée en partie du moins, il croit aisément ce qu'on lui dit de croire, il fait aisément ce qu'on lui dit de faire. Il ne peut se tenir debout depuis quatre ans, n'importe, on lui commande de se lever, qu'il le peut, il se lève, qu'il peut marcher, il marche.

Pour terminer, il est remarquable que cet homme, infirme des membres inférieurs et supérieurs depuis quatre ans, ait pu se mettre à marcher presque sans hésitation, sans tâtonnement et cela après une seule séance d'hypnotisme.

Aux adversaires de la psychothérapie, s'il en existe encore, je leur soumets ce cas-là.

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