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L'hypnotisme peut devenir un élément de diagnostic, peut être utilisé pour le diagnostic. Il m'est arrivé assez fréquemment d'avoir des doutes sur la nature d'une hémiplégie par exemple. Est-elle d'origine organique? Est-elle due à l'hystérie? Malgré les nombreux points de repaires signalés encore tout dernièrement d'une façon si magistrale par mon savant maître M. Babinski, il peut arriver cependant qu'on soit parfois embarrassé. Et quand je ne citerai que ce dernier cas d'astasie-abasie et de paralysie des mains, où à cause de l'exagération considérable des réflexes et de l'absence de troubles sensitifs il planait des doutes dans mon esprit sur la nature réelle de l'affection? et bien la suggestion devait lever tous ces doutes, en supprimant les accidents. Il devenait de toute évidence que la lésion médullaire, que l'on pouvait avec quelques droits, suspecter, n'existait pas.

J'en ai dit assez pour montrer le rôle de l'hypnotisme, la place importante qu'il devrait avoir en thérapeutique nerveuse, place que certains médecins se refusent encore systématiquement à lui aceorder.

DISCUSSION

BÉRILLON. On a souvent prétendu, bien à tort, que les neurasthéniques ne sont pashypnotisables. La vérité est qu'ils ne le deviennent qu'après un certain entrainement. Nous avons soumis à la Société d'hypnologie un certain nombre de faits qui démontrent la grande efficacité de la suggestion hypnotique dans le traitement de la neurasthénie pure. La plupart des neurasthéniques que nous avons traités avec succès ne se sont montrés hypnotisables qu'après un certain nombre de séances (de cinq à dix).

Pour déclarer qu'un malade n'est pas hypnotisable, il ne faut pas se contenter d'un seul essai, ni se laisser rebuter par un premier échec. Nous avons constaté très fréquemment que des neurasthéniques qui s'étaient montrés tout d'abord absolument réfractaires à l'hypnotisme devenaient par la suite d'excellents dormeurs. Nous avons également constaté qu'ils n'entraient dans la voie de la guérison que dès qu'ils commmençaient à devenir hypnotisables. Tant qu'ils n'étaient traités que par la suggestion à l'état de veille, aucune amélioration ne se manifestait dans leur état. La suggestibilité chez les neurasthéniques n'est pas abolie, elle est simplement un peu plus difficile à révéler et à utiliser que chez les autres névropathes

De plus le traitement de la neurasthésie par la suggestion hypnotique demande à être prolongé pendant une durée assez longue. Dans certains cas, le traitement a duré plusieurs mois. Cette persévérance a porté ses fruits et les malades ont obtenu une guérison complète et durable.

La suggestion religieuse

Par M. le Dr Charles BINET-SANGLÉ
Professeur à l'Ecole de psychologie

Le docteur Binet-Sanglé a publié, en septembre 1901, dans les Archives d'anthropologie criminelle dirigées par le professeur Lacassagne un discours sur la suggestion religieuse, composé à l'occasion du deuxième Congrès international de l'hypnotisme. Nous allons en donner l'analyse.

Le docteur Binet-Sanglé commence par définir la suggestion religieuse :

<< Si vous intimez l'ordre à une personne de tenir une pensée pour vraie en l'empêchant d'y réfléchir, et si elle la tient en effet pour vraie, elle a reçu cette pensée sans le vouloir, vous l'avez soumise à cette pensée, vous avez fait entrer cette pensée dans son esprit par insinuation, vous avez fait une suggestion.

« Si, par exemple, je vous propose le jugement suivant:

« Jésus-Christ est né d'une Vierge »

en vous permettant d'étudier la question et d'y réfléchir, je ne fais pas de suggestion. Mais si je vous dis :

<< Jésus-Christ est né d'une vierge. Il faut le croire. Vous êtes tenu de le croire bien que ce soit absurde, et même parce que c'est absurde (quia absurdum). Si vous ne le croyez pas, vous serez condamné à tous les supplices de l'enfer », je fais ou plutôt je commets une suggestion.

<< Mais, objectera-t-on, la suggestion ainsi comprise est un phénomène de tous les instants. Que d'idées sont ainsi imposées et reçues ! »> Eh! Messieurs, qui le nie? C'est par suggestion que se propagent et se perpétuent les règles de la morale courante, qui n'est rien moins que morale. C'est par suggestion que se forment nombre de partis politiques et nombre d'écoles d'art. Et le jour où ce phénomène sera compris par l'élite, ce sera pour l'humanité un progrès immense. »

L'auteur explique ensuite par quel mécanisme physiologique une idée, qui est en contradiction avec les données de l'observation et du raisonnement, peut être tenue pour vraie, et s'imprimer comme telle dans le cerveau.

Selon lui, ce phénomène résulterait de la propriété qu'ont les neurones de pouvoir se rétracter, et s'isoler les uns des autres. Ceux où se clichent les images et les idées religieuses pourraient ainsi fonctionner à part, et en quelque sorte à l'abri de ceux qui ont été impressionnés au cours de l'observation ou du raisonnement. Le cerveau

n'est en effet qu'une colonie susceptible de se dissocier. Cette dissociation, fréquente chez les hystériques, est surtout marquée dans l'état d'hypnose.

« Or les propagandistes religieux emploient la suggestion, mais de plus ils s'aident de l'hypnose, ou mieux de la sous-hypnose; ils font de la suggestion sous-hypnotique.

« Tout d'abord il est bien évident que les pensées qu'il font tenir pour vraies ne sauraient être reçues après réflexion.

«En effet elles sont en contradiction avec tous les systèmes d'ondulations nerveuses apportés au cerveau par les conducteurs sensoriels. Les unes sont des absurdités, les autres des erreurs flagrantes, les autres des hypothèses gratuites et contradictoires non seulement de doctrine à doctrine, mais dans une même doctrine.

« Considérons par exemple la doctrine la plus répandue en France, la doctrine catholique. Voici les dogmes qu'elle défend :

«1° Il existe un Dieu unique et en trois personnes. Qu'il existe un Dieu, c'est là une hypothèse indémontrable. Mais que ce Dieu soit à la fois unique et en trois personnes, c'est là une absurdité qui ne diffère en rien de celles que nous entendons émettre par les fous dans nos asiles.

« 2o Le premier homme commit, en accomplissant le coït, un péché qui devait retomber sur toute sa postérité.

« C'est là une pétition de principe. Mais de plus cette pétition de principe est en contradiction avec le dogme de la justice divine, car d'une part les organes génitaux auraient été, d'après la même doctrine, donnés à l'homme par Dieu qui l'aurait créé à son image; et d'autre part il eût été profondément injuste que la postérité du premier homme subit la peine du péché ancestral.

«< 3o Dieu s'est incarné dans la troisième personne de sa trinité. Cette troisième personne incarnée est Jésus-Christ.

«La première phrase contient une absurdité, la seconde une erreur. Le juif Ieschou (1) que les chrétiens appellent Jésus-Christ était, selon toute aparence, un dégénéré atteint du délire des grandeurs. Vous savez, Messieurs, qu'en Orient les fous ont eu de tout temps un caractère sacré, et qu'on rencontre encore dans l'Inde et en Egypte des saints très analogues aux saints catholiques de la décadence latine et du Moyen âge, les uns et les autres n'étant que des psychopathes. Si les saints sont devenus si rares dans le monde civilisé, c'est qu'on les enferme. J'ai eu l'occasion d'entendre récemment daas un asile un délirant mystique d'une éloquence rare, et qui eût eu à n'en pas douter, un succès considérable au temps des apôtres. Qu'on ait fait un Dieu de Jeschou, comme on fit un prophète des Mohammed, lequel était un épileptique et un halluciné rien là qui soit étonnant pour qui est au courant des mœurs orientales.

« 4° Le but de Dieu en s'incarnant en Jésus-Christ était de racheter les péchés des hommes. Ceci est en contradiction avec les dogmes

(1) Contraction de Iehoschoua, leschoua. En grec Iliésous.

de la toute-puissance et de la justice divine, car Dieu étant tout-puissant, il lui eût été facile de faire les hommes incapables de pécher, et, s'il ne l'a pas fait, c'est qu'il manquait de justice ou de toute-puissance. D'ailleurs, d'une façon générale, cette conception du rachat du péché des hommes par la crucifixion de la troisième personne de Dieu incarnée a tous les caractères d'une conception délirante.

«Je n'insiste pas.

« Et maintenant, Messieurs, demandons-nous comment de telles absurdités, de telles erreurs et de telles hypothèses peuvent être tenues pour des vérités indubitables par un si grand nombre de per

sonnes.

« C'est d'abord que l'instruction est encore relativement très peu répandue, tout au moins en ce qui a trait à la science des religions, et qu'ainsi les systèmes d'ondulations nerveuses correspondants à ces dogmes ne trouvent pas, dans la plupart des cerveaux, de systèmes contraires.

«Toutefois l'ignorance recommandée par les propagandistes religieux, partisans de la clôture monacale, de l'isolement érémitique, du silence et de la proscription des livres, l'ignorance ne fait pas comprendre comment deux dogmes contradictoires dans une même doctrine peuvent être tenus pour vrais par des sujets d'une moyenne intelligence.

« Il y a là un phénomène surprenant, mais qui, grâce à vos travaux, Messieurs, n'est plus inexplicable. Son explication réside dans la suggestibilité humaine ou, pour être plus précis, dans la motricité de la cellule nerveuse, car je rapporte même à cette motricité la suggestibilité à l'état de veille complète. »>

L'auteur, entrant de nouveau dans des considérations physiologiques, explique ensuite par quel mécanisme la crainte et l'admiration favorisent les' suggestions religieuses.

Ainsi le propagandiste religieux suggestionne par la crainte et par l'amour.

« J'ai dit qu'il s'aidait aussi de la sous-hypnose.

«En effet passons en revue les procédés qu'on emploie pour endormir:

« 1o On peut obtenir le sommeil naturel ou la somnolence en faisant l'ombre et le silence autour du sujet. C'est ainsi qu'on endort un enfant ou un malade en fermant les rideaux de son lit ou de sa chambre, en éteignant la lumière, et en interceptant les bruits qui peuvent lui parvenir.

« Or l'ombre a toujours empli les maisons divines, et il est de règle d'y observer le silence.

« 2° Un premier procédé pour obtenir l'hypnose consiste à faire fixer au sujet un foyer lumineux. L'effet produit ne résulte pas tant de l'intensité absolue du foyer que de la différence d'éclairage entre l'espace qu'il occupe et l'espace environnant. De telle sorte que l'effet cérébral d'une puissante source lumineuse exposée au grand jour,

sera moins marqué que celui d'une source lumineuse plus faible mais tranchant sur l'ombre.

«Or cette dernière condition se trouve remplie par les artifices. d'éclairage de la plupart des temples. Dans les églises catholiques, le luminaire de l'autel et les vitraux du chevet où convergent tous les regards, produisent à la longue une sorte de subfascination.

« 3o Un deuxième procédé hypnotique consiste à soumettre le sujet à des sensations visuelles rythmiques, lentes et monotones. Je crois en effet que les passes des anciens magnétiseurs n'agissaient pas autrement.

<< Or cette condition est remplie par les évolutions et la mimique spéciale des officiants autour de l'autel.

« 4° Un troisième procédé consiste à faire entendre au sujet, soit un bruit violent et soudain, soit un bruit rythmique et monotone, soit un bruit prolongé, grave et monotone. Ce dernier moyen est couramment employé par les nourrices pour endormir leurs nourrissons.

«Or le bruit violent et soudain nous est donné par le gong des pagodes, employé aujourd'hui par les hypnotiseurs, le bruit rythmique et monotone par les cloches des églises, le bruit prolongé, grave et monotone par les orgues, les harmoniums, les voix des chantres, le ton des prédicateurs, et par ces puissantes et sublimes berceuses que sont les airs religieux. Leur effet est d'ailleurs renforcé par l'acoustique spéciale des nefs.

« Au demeurant l'hypnotisme scientifique pourra tirer parti de l'étude des rites. Ce ne sera point la première fois que les expérimentateurs se seront laissé guider par les empiriques, On a déjà commencé à étudier les effets hypnotiques de l'encens (1).

<< Il est certain que ces divers procédés n'ont pas, employés séparément, un effet très marqué chez les sujets normaux. Mais il n'en est plus de même lorsqu'ils sont employés ensemble, et il suffit, pour s'en convaincre, d'assister à une grande cérémonie catholique, de préférence à l'une de celles qui se donnent le soir. On se trouvera bientôt dans un état cénesthétique particulier. C'est une sorte de somnolence qui ne permet que la rêverie, une torpeur inquiète et admirative qui est bien décrite dans les romans de Joris-Karl Huysmans :

« L'entrée dans la cathédrale immense et ténébreuse, dit-il, était toujours étreignante, et instinctivement l'on baissait la tête et l'on marchait avec précaution, sous la majesté formidable de ses voûtes (1).

« Comme ces procédés se retrouvent, avec des modifications de détail, dans toutes les religions, je crois qu'il m'est permis de dire que tous les prêtres, à quelque confession qu'ils appartiennent, ombiasses de Madagascar, gones de Ceylan, nambouris du Malabar, brahmanes de l'Inde, lamas thibétains, talapoins de Siam et de Pégu, bonzes chinois et japonais, abysses kalmoucks, nadabs, mages,

(1) Et, ajouterai-je aujourd'hui, à associer la musique au protoxyde d'azote pour provoquer le sommeil.

(2) JORIS-KARL HUYSMANS. La Cathédrale, 389.

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