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qu'elle est encore enseignée à Nancy, qui est un des titres d'honneur de la sylviculture française.

Il était temps de mettre en harmonie les règlements déjà anciens de la forêt avec ces nouvelles méthodes. Un arrêté ministériel du 7 mai 1842 institua à Haguenau une Commission d'aménagement composée de Talotte, Meynier et Nanquette, ce dernier le futur directeur de l'Ecole de Nancy, auxquels furent adjoints Barré pour les travaux topographiques et Georges pour les délimitations. Les travaux de Barré aboutirent à un plan aux cinq millièmes, dont l'exactitude parfaite a été depuis reconnue. Sur ce plan furent répartis plus de 500 kilomètres de lignes d'aménagement, traduisant l'établissement du parcellaire, opération préliminaire qui consiste à déterminer sur le terrain des étendues homogènes pouvant servir d'unités pour l'inventaire des produits et l'assiette des coupes. Ces parcelles furent distribuées en 30 séries d'exploitation, dont 25, d'une contenance de 13.900 hectares, devaient être traitées en futaie régulière par la méthode du réensemencement naturel et des éclaircies, et les 5 autres, 875 hectares, en taillis sous futaie.

Nous ne suivrons pas notre auteur dans la critique, très rigoureuse qu'il a faite de cet aménagement de 1843, critique qui lui est inspirée par les progrès réalisés depuis dans la pratique forestière. Il nous est facile maintenant de constater que le parcellaire était trop minutieux, le nombre des séries trop considérable, et que le système alors en honneur de ce que l'on appelait les «< affectations périodiques » avait de graves inconvénients. Nos anciens, à la suite de leur maître Lorentz, ce grand idéaliste, avaient l'ambition d'assurer pour un avenir lointain, 150 ans et plus, une régularisation des peuplements qui les entraînait à de fâcheux sacrifices par des exploitations prématurées de bois qui eussent été avantageusement conservés sur pied. A la poursuite de cette chimère de « l'état normal », ils oubliaient trop volontiers les intérêts du présent, et ils avaient trop confiance dans l'immutabilité des conditions économiques, dont la transformation incessante rend presque toujours vaines des prévisions à si longue échéance. Nous sommes devenus beaucoup plus modestes: au lieu de vouloir régler d'avance tout ce qui doit arriver pendant la durée d'une révolution séculaire, nous nous bornons à des règlements d'exploitation pour des périodes très restreintes, 25 ou 30 ans, heureux encore quand des événements imprévus ne viennent pas imposer des révisions au cours de leur application. Au surplus, quelque bien fondées que soient ces critiques de l'aménagement de 1843, qu'a dû faire le professeur d'aménagement de l'Ecole de Nancy, l'essentiel est que, malgré les imperfections de l'instrument mis entre leurs

mains, les bons forestiers qui se sont succédé à l'inspection de Haguenau ont su s'en servir pour réaliser toutes les améliorations prévues dans la forêt dont la gestion leur était confiée. Lorsque le régime français fut interrompu par la guerre de 1870, elle présentait une suite de peuplements magnifiques provenant des régénérations naturelles, et un très riche matériel, notamment en chênes de la plus grande valeur.

Dès leur prise de possession de l'Alsace, les Allemands entreprirent les études d'un nouvel aménagement de la forêt. Ces études furent poursuivies avec l'infatuation de soi-même qui est le propre du caractère prussien et un souverain mépris de l'expérience acquise par leurs prédécesseurs. Au parcellaire français, trop compliqué sans doute, mais dont la simplification était facile, ils substituèrent une division en districts rectangulaires uniformes, établis uniquement en considération des voies de vidange, avec des tranchées ouvertes nord-sud et est-ouest, un vrai damier, comme dans leurs forêts de Pomeranie, très commode pour la chasse, beaucoup moins pour un traitement rationnel des peuplements existants. Quant aux séries d'exploitation, au lieu de se borner à en diminuer le nombre, ils les supprimèrent tout à fait, partageant simplement la forêt en deux cantonnements ou unités de gestion, est et ouest, d'une étendue infiniment trop considérable pour que le contrôle des exploitations pût y être efficace. Toute la forêt dut être traitée en futaie pleine, même ces parties basses auxquelles l'aménagement français avait réservé un traitement spécial, et qui, à la suite de coupes excessives, ne devaient pas tarder à se transformer en de mauvais taillis simples. Supprimant le système français des affectations périodiques, qu'il eût été facile de modifier avantageusement, les aménagistes allemands élaborèrent, pour calculer la possibilité, un plan d'exploitation très compliqué, suivant la méthode classique prussienne, vrai « cassetête chinois » que leurs agents d'exécution ne s'inquiétèrent guère d'ailleurs de suivre, en anticipant largement sur ses prévisions: ainsi, en 1913, le cantonnement est se trouvait en avance de plus de 55.000 mètres cubes, soit plus de trois fois le volume de la coupe annuelle normale.

Méconnaissant les beaux résultats obtenus pour la régénération naturelle par les coupes successives de la méthode française, ils érigèrent en principe la nécessité des repeuplements artificiels, en usage dans leurs sablonnières du Brandebourg, au prix de dépenses considérables et parfaitement inutiles, surtout dans les massifs résineux où le pin sylvestre se reproduit tout seul, au point de devenir envahissant par cette routine, les intrus de 1870 ont fait faire à la sylviculture locale un bond en

arrière qui les ramenait à l'enfance. Et surtout, autre vice capital, ils abandonnèrent entièrement les éclaircies françaises ayant pour but de dégager les cimes du peuplement principal. Ce sont des opérations délilicates, fatigantes, dont leurs agents se sont dispensés, préférant s'en tenir au précepte que donnait, il y a 130 ans, leur vieil Hartig, qui consiste à ramasser simplement les arbres morts ou dominés, et que l'on continue à enseigner dans leurs académies.

Sous ce régime allemand, la forêt de Haguenau, qui n'avait cessé de s'améliorer durant l'application de l'aménagement de 1843, s'est considérablement appauvrie. S'il est vrai que le matériel sur pied ait peu varié comme quantité, il n'en est pas de même pour la valeur : tel est le résultat de la disparition de ces chênes de toute beauté, de 1m, 150 de diamètre et plus à hauteur d'homme, qui formaient la richesse et la gloire de la forêt, autrefois sans rivale à cet égard dans toute l'Europe. La grande guerre de 1914-1918 et la victoire de nos armes sont arrivées à temps pour mettre un terme aux déprédations des Vandales.

Le 20 juin 1919, une promotion de l'Ecole de Nancy, conduite par le professeur d'aménagement de cette Ecole, avait la grande joie de visiter la forêt de Haguenau, et ce professeur était le sous-directeur, M. Huffel, dont nous avons essayé, dans les pages qui précèdent, d'analyser le livre. Sans doute notre résumé est très incomplet, et surtout nous craignons de n'avoir pu rendre l'impression très forte que donne ce récit, dans lequel l'auteur, enfant de Haguenau, raconte simplement, avec l'émotion de l'Alsacien qui vient de retrouver sa patrie perdue, l'histoire d'une forêt qui,à beaucoup d'égards,doit être chère à tous les forestiers français. Elle nous rappelle les noms de nos maîtres, Lorentz, Parade, Nanquette, Mathieu, Bagneris et tant d'autres, qui avaient fait de Haguenau leur champ d'études, qui ont conduit là quarante promotions de l'Ecole forestière française, et dont les survivants de cette époque lointaine n'ont pas oublié les leçons. Nous voudrions seulement que notre compte rendu donne à tous nos camarades le désir de lire ce livre que M. Huffel a composé pour eux, et nous souhaitons qu'ils trouvent à sa lecture autant de plaisir que nous en avons éprouvé nous-même.

CH. GUYOT.

Nancy, mai 1920.

JURISPRUDENCE

COUR DE CASSATION (Chambre civile). 9 décembre 1919.

Prise à partie.

Maire et adjoint.- Refus de concourir à une visite domiciliaire. Art. 505, C. proc. - Dol ou fraude. - Déni de Justice.

Le fait, par un maire et un adjoint, de refuser d'accompagner un garde forestier dans une visite domiciliaire, à la suite d'un délit commis dans un bois particulier, donne lieu à l'application de l'art. 505 C. proc. civ. sur la prise à partie, sans qu'il soit nécessaire au préalable de faire les deux réquisitions prévues à l'art. 507 du même Code, cet article, concernant les dénis de justice, étant uniquement applicable aux juges, et non aux officiers de police judiciaire.

DUC D'ORLÉANs c. Delahaye et Lefebvre

LA COUR : Ouï, en l'audience de ce jour, M. le Conseiller Feuilloley en son rapport, MM. Baily et Jouarre, avocats des parties, en leurs observations ainsi que M. Blondel, avocat général, en ses conclusions, et après en avoir délibéré en la chambre du Conseil, conformément à la loi ;

Vu l'article 505, paragraphe 4, du Code de procédure civile ;

Attendu que si les règles de la prise à partie s'appliquent en principe non seulement aux juges proprement dits, mais à tous ceux qui, par les fonctions dont ils sont investis, appartiennent à l'ordre judiciaire, soit qu'ils concourent à l'action de la justice comme chargés du ministère public ou de l'instruction, soit qu'ils agissent comme officiers de police judiciaire ou comme auxiliaires du ministère public, elles ne concernent que les juges proprement dits lorsqu'il s'agit d'un déni de justice; que cela résulte des art. 506 et 507 du Code de procédure civile, qui, à propos du déni de justice, visent les juges refusant de répondre des requêtes ou des réquisitions faites aux juges en la personne des greffiers et énumèrent les juges de paix, les juges de commerce et les autres juges;

Attendu que la prise à partie engagée par le duc d'Orléans contre Delahaye et Lefebvre tendait à les faire condamner à des dommages-intérêts pour avoir, en qualité de maire et adjoint de la commune de Saint-Léger-aux-Bois, par conséquent d'officiers de police judiciaire et auxiliaires du ministère public, refusé, en violation de l'art. 162 du Code forestier, d'obtempérer à la réquisition des gardes particuliers de les assister dans des perquisitions aux fins de recherche et de saisie aux domiciles des délinquants présumés d'arbres coupés et enlevés dans les bois confiés à leur surveillance ;

Attendu que l'arrêt attaqué a déclaré la demande non recevable sous le prétexte que, si les faits paraissaient constituer un déni de justice et par consé

quent entraîner la prise à partie,il n'avait pas été procédé par le duc d'Orléans aux formalités prescrites par l'art. 507 du Code de procédure civile, c'est-àdire aux deux réquisitions sans lesquelles la prise à partie n'est pas recevable;

Qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article susvisé ;

Pour ces motifs, casse et annule l'arrêt rendu entre les parties par la cour d'appel de Rouen, le 29 mars 1912; renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens. Du 9 décembre 1919. - Cour de cassation (Chambre civile). M. Sarrut, premier président.

(Communication de M. Ernest Maire, inspecteur en retraite. Observation. D'après l'art. 505 C. proc., il peut être procédé à la prise à partie : s'il y a dol ou fraude (1er paragraphe); s'il y a déni de justice (3 paragraphe du même article).

Il y a dol ou fraude lorsque sciemment, dans l'intention de nuire, les fonctionnaires contre lesquels sont dirigés les poursuites ont refusé de faire acte de leurs fonctions judiciaires. Ceci peut s'appliquer non seulement aux juges, mais aussi aux simples officiers de police judiciaire: par exemple, comme dans l'espèce ci-dessus, lorsqu'un maire et un adjoint ont rendu, par leur abstention volontaire, une visite domiciliaire impossible, sachant qu'ils empêchaient ainsi le propriétaire de la forêt d'obtenir la preuve d'un délit.

Quant au déni de justice, résultant du refus de juger, il ne peut concerner que les juges proprement dits, comme le montre suffisamment le texte de l'art. 506. Il en résulte que les formalités qui, d'après l'art. 507, doivent être remplies en cas de déni de justice (deux réquisitions faites aux juges et signifiées de trois en trois jours, etc.), ne sauraient être étendues aux officiers de police judiciaire, contre lesquels la prise à partie a pour fondement le 1er paragraphe de l'art. 505.

Voir, sur la prise à partie, notre Cours de droit forestier, tome Ier, n° 254 et suivants.

CH. GUYOT.

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