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LA CONVERSION DE LA FORÊT DOMANIALE

DE MONTIERS-SUR-SAULX

D'une surface de 1960 hectares, la forêt domaniale de Montierssur-Saulx est située dans le département de la Meuse, sur le territoire de la commune du même nom. Elle s'étend, à l'altitude moyenne de 350 mètres, sur un plateau coupé par la vallée profonde de la Saulx et par quelques vallonnements. Son sol est profond et frais, de composition argilo-calcaire.

Il correspond à l'étage du néocomien; le portlandien apparaît dans les vallonnements.

Avant 1868, la forêt a été traitée en taillis sous futaie, aux révolutions de 25 à 30 ans; un premier aménagement, en 1845, la divisait en 8 séries de taillis à la révolution de 30 ans, mais il n'a jamais été appliqué.

Des changements fréquents dans la composition des séries et la marche des exploitations, des dérogations formelles ou tacites aux prescriptions de l'aménagement avaient peu à peu provoqué des irrégularités dans la série des âges, dans l'ordre et la disposition des coupes, de façon qu'en 1868 il fût procédé à un nouvel aménagement général de la forêt; mais nous verrons qu'il n'eut pas un meilleur sort que les précédents.

Les aménagistes de 1868 trouvèrent à l'hectare les proportions d'essences suivantes :

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Ils remarquèrent, dans les jeunes coupes, au milieu des cépées, un assez grand nombre de brins de semences de chêne, hêtre et charme ; dans les coupes d'âge moyen et dans les grands bois, le nombre des brins diminuaient de plus en plus et ceux qui arrivaient à l'âge d'exploitation des taillis étaient trop grêles pour êtres réservés par suite de la densité du taillis et de la vigueur des essences inférieures. La principale origine des réserves provenait de l'obligation, imposée aux ad

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judicataires, de replanter en sujets vigoureux de franc-pied l'emplacement des vieilles réserves.

«En résumé », concluaient-ils, avant de proposer leur nouvelle forme d'aménagement, « en ne tenant compte que de la croissance des peuplements considérés en masse, l'exploitation en taillis ne paraît pas avoir exercé, jusqu'à présent, une influence bien nuisible, mais il n'est pas possible d'admettre la même conséquence si l'on étudie la composition de ces mêmes peuplements. Ainsi il est constant que dans ces forêts le chêne et le hêtre disparaissent de plus en plus devant les envahissements des essences inférieures des bois tendres et des morts-bois. Dans les mêmes coupes où l'on rencontre des anciens et des modernes de belle venue, les sujets propres au balivage, surtout les chênes, deviennent de jour en jour plus rares ou se présentent dans des conditions tellement mauvaises que l'on ne peut fonder sur eux aucun espoir pour l'avenir; parfois, ils font complètement défaut.

«La futaie qui surmonte ces taillis se compose principalement d'arbres venus sur souches. Les taillis n'ayant jamais été soumis à des éclaircies, les brins de semis qui parviennent à se maintenir pendant toute une révolution sont, par suite, presque toujours trop faibles pour pouvoir à l'exploitation être réservés comme baliveaux. On est donc obligé de les recéper et ce n'est qu'à la révolution suivante qu'ils fournissent des sujets assez vigoureux pour pouvoir faire partie de la réserve. >>

On constatait donc un contraste frappant entre l'excellente qualité du sol et la composition du peuplement forestier qui allait en s'appauvrissant. Les méthodes de culture, employées jusqu'alors, étaient directement en cause: il était nécessaire de les modifier.

Les aménagistes de 1868 proposèrent une conversion du taillis sousfutaie en futaie pleine. Ils adoptèrent une révolution de 144 ans et la divisèrent en 4 périodes de 36 ans, correspondant, dans chaque série, à 4 affectations sur le terrain; la première affectation était parcourue, à neuf ans d'intervalles et parcelle par parcelle, par deux coupes de régénération; la première consistait en une large éclaircie destinée à provoquer le repeuplement naturel; la deuxième avait le caractère d'une coupe secondaire et portait sur le taillis resté sur coupe neuf ans auparavant et sur les réserves inutiles ou nuisibles. Ces coupes de régénération devaient être suivies par des coupes d'amélioration et des éclaircies les aménagistes faisaient remarquer tout particulièrement l'importance des premières.

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Nous ne pouvons trop insister disaient-ils, « sur la nécessité

absolue d'entreprendre des dégagements de semis, non seulement aussitôt qu'on aura pu en constater l'opportunité, mais encore de les répéter tous les 6 ans jusqu'à l'âge de 18 ans, et, en tout cas, jusqu'à ce que tous ces brins soient suffisamment élevés au-dessus du taillis pour qu'il n'y ait plus lieu de craindre que celui-ci vienne à les dominer. Sans ces dégagements, le succès de la conversion pourrait être gravement compromis, car c'est le seul moyen d'arriver à modifier les peuplements actuels et d'y introduire le chêne et le hêtre, dont la rareté, dans les vieux taillis exploitables, est due évidemment à l'absence de toute opération de cette nature. Il suffit, en effet, de parcourir attentivement la série des coupes pour acquérir la conviction que les semis de chêne et de hêtre, même dans les coupes les mieux repeuplées, ne tardent pas, à mesure que les rejets s'élèvent et que les taillis grandissent, à disparaître sous le couvert du jeune recru, dont la végétation est bien plus rapide. Il est même facile de constater cette disparition graduelle et progressive depuis les coupes nouvellement exploitées jusqu'aux taillis de 18 à 20 ans. »

Les 2o, 3o et 4° affectations étaient traitées en taillis sous-futaie à la révolution de 36 ans, avec accroissement progressif de la densité de la futaie et avec des dégagements de brins et des nettoiements de bois tendres.

S'il est parfaitement justifié dans le but à atteindre, cet aménagement paraît un peu compliqué dans son application et un peu brutal dans ses méthodes ; il ne semble pas qu'il ait suffisamment tenu compte de la difficulté que l'on éprouve à éliminer les cépées avec leur régénération par rejet. Quoi qu'il en soit, il n'a été appliqué que peu d'années, puis abandonné dans ses principales prescriptions, sans qu'il y ait eu de révision de ménagement.

A l'heure actuelle, on traite la forêt en taillis sous-futaie à la révolution de 36 ans, en se contentant de charger la réserve et sans opérer aucun dégagement de semis. Le résultat en est déplorable; l'état de la forêt a sensiblement empiré depuis 1868. Ce n'est pas apparent à première vue; car la futaie de vieilles réserves est, en général, très belle, elle a été accrue de tout ce qu'il a été possible de conserver dans les martelages successifs; sur de nombreuses parcelles elle couvre le sol au point d'étioler les cépées. Mais un examen plus attentif de la forêt rend évident que cette futaie ne pourra pas être remplacée par le vieillissement des baliveaux et que l'on tend peu à peu au taillis simple surmonté de réserves sans aucune valeur. Le nombre des baliveaux atteint parfois à peine le taux réglementaire ou lui reste même infé

rieur; ailleurs, si le nombre est suffisant, la qualité laisse à désirer et il semblerait que les griffages ont simplement eu pour but de marquer un nombre déterminé de sujets, quels qu'ils soient. Ces indications sont précisées dans les tableaux suivants, dont les données proviennent des balivages effectués pour les exploitations de l'Armée pendant la guerre.

TABLEAU no 1. - Nombre de baliveaux par hectare.

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L'examen de ces tableaux rend évident que l'on arrive difficilement ou même que l'on ne parvient pas à trouver le nombre suffisant de baliveaux chêne et hêtre, pour constituer ultérieurement même une pauvre réserve de modernes et d'anciens, et que l'on essaye de se tromper sur le résultat du balivage en martelant un nombre élevé de baliveaux sans aucune valeur. L'avenir de la forêt est perdu.

Cette constatation est d'autant plus regrettable que, si le chêne réussit assez bien dans la forêt de Montiers, la qualité du hêtre y est tout à fait exceptionnelle. Les aménagistes de 1868 l'avaient déjà fait remarquer :

<< Le hêtre », disaient-ils, « paraît prospérer, dans ces forêts, d'une manière toute spéciale; il y acquiert de bonne heure des dimensions remarquables en diamètre et en hauteur, à tel point que, malgré la grosseur des réserves, les arbres dépassant 120 ans, c'est-à-dire 4 révo

lutions, sont très rares et les arbres de 150 ans y sont exceptionnels. Croissant lentement dans les premières années, il ne commence son développement qu'après qu'il a été isolé comme baliveau, c'est-à-dire vers l'âge de 30 ans. Il s'élance alors et grossit considérablement de manière à acquérir à 60 ans, un diamètre triple de celui qu'il avait à 30 ans et à 90 ans, un diamètre presque quintuple ». Si on désigne par le diamètre à 30 ans, il est de 3 à 60 ans de 4,70 à 90 ans, de 5,90 à 120 ans et de 7 à 150 ans. A 120 ans, les arbres atteignent 2 mètres à 2 m. 20 de circonférence avec 22 à 25 mètres de hauteur totale, dont 7 de fût età 140 ans, 2 m. 50 à 2 m. 60 de circonférence, avec 25 à 30 mètres de hauteur totale.

Les observations faites en 1868 ont été confirmées dernièrement. Ayant acquis par l'étuvage des qualités remarquables, le bois de hêtre. a été recherché pendant la guerre pour la fabrication des hélices d'avions et, seule, la qualité de premier choix pouvait être employée à cet usage; toutes les billes de pied de hêtre de la forêt de Montiers pouvaient être réservées pour l'aéronautique dans les dimensions demandées, à quelques exceptions près représentées par des tiges fourchues ou de fibre torse, qui auraient pu être éliminées du peuplement à l'âge de moderne. Le cœur rouge y est exceptionnel chez des arbres de 100 ans; très rare chez ceux de 140 à 150 ans ; le bois est parfaitement sain, d'une couleur pâle et uniforme, d'un frain fin et brillant. La qualité du bois est si remarquable que l'on distinguait à première vue sur un banc de scie les pièces provenant de la forêt de Montiers de celles produites par la forêt domaniale toute voisine de Trois-Fontaines. On est en droit d'affirmer que la forêt de Montiers peut rivaliser avantageusement avec tout autre pour la valeur de ses hêtres et aspirer à prendre, parmi les massifs de hêtre, la place de la forêt de Tronçais parmi ceux de chêne.

Le traitement actuel de la forêt rend impossible un pareil rôle. Plus encore qu'en 1868, la régénération du hêtre et du chêne est compromise. La prolongation à 36 ans de la durée de la révolution du taillissous-futaie, l'abandon de tout dégagement, empêchent complètement le maintien des brins de ces essences 1. Les semis ne manquent cependant pas la faînée de 1916 a été si abondante qu'il s'en est pro

1.- Dans la région de la Meuse et des départements avoisinants, les révolutions de taillis sous futaie ont été genéralement allongées, le rendement en bois de chauffage a été accru, mais il semble qu'il faille chercher là les difficultés que l'on éprouve à trouver des baliveaux d'essence précieuse. Ce fait serait rendu particulièrement frap pant par la comparaison entre les forêts particulières du Val (Haute-Marne) à courte révolution et futaie de chêne se régénéraut avec abondance et la forêt domaniale contigue des VI arpents à longue révolution et à tutaie appauvrie. L'allongement de la révolution exige des dégagements et perd par là son intérêt.

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