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tombée à 20,000. Donc le réservoir des forces augmente régulièrement.

2° L'effectif permanent, qui atteint 500,000 hommes, défalcation faite du cadre de carrière (officiers et sous-officiers), ne dépasse pas l'effort maximum, 1 p. 0/0, à imposer à la population. Et comme ce chiffre de 300,000 ne peut guère être dépassé sans porter tort à la valeur de l'armée et à la richesse budgétaire, il en résulte que l'accroissement de la population permet d'alléger les charges du service militaire.

Nous n'avons pas craint d'inscrire ces chiffres en tête de cette étude. Ils doivent frapper l'attention. Mais leur clarté statistique ne met en lumière que la corpulence et la force brute de cette armée. Nous la synthétiserons volontiers, comme le statuaire, en une sorte de soldat symbolique, mais bien vivant, dont le corps enferme une àme plus difficile à saisir et à connaître, mais qui mérite qu'on essaie de la pénétrer.

Voyons d'abord comment fonctionne l'organisme, comment ce grand corps est articulé, comment la circulation intérieure y prépare les efforts suprêmes du sanglant sacrifice.

L'armée allemande est articulée en 22 corps d'armée : 17 Prussiens, 3 Bavarois, 2 Saxons. Ces corps d'armée découpent le territoire en autant de régions nourricières, qui les alimentent en tous. temps. C'est la décentralisation intelligente du recrutement régional Comme l'a dit fort bien von der Goltz, chaque corps d'armée est ainsi l'armée d'un petit pays.

La garde prussienne forme un 23° corps, dont les éléments sont choisis dans tout l'Empire, soldats d'élite qui représentent autour de l'empereur l'unité allemande dans sa plus mâle floraison.

Chaque corps d'armée se forme et fonctionne dans sa région conformément aux lois générales de recrutement et d'organisation. Il reçoit et libère chaque année le contingent. Il incorpore les entrants dans la forte armature de son cadre permanent, et attache aux partants le lien qui les maintient en contact avec lui jusqu'à la consommation de leurs obligations militaires.

Jeunes et anciens, échelonnés de dix-sept à quarante-cinq ans, hommes de l'active, de la landwehr, de la landsturm, - dans chaque province et chaque État, Prussiens, Poméraniens, Silésiens, Brande

bourgeois, Hanovriens, Saxons, Bavarois, etc, sont accoutumés à regarder le numéro de leur corps d'armée comme une des enseignes de leur milieu familier. Ils y servent de père en fils; les traditions, soigneusement entretenues, les associent dans un commun esprit de corps. Ainsi l'institution militaire se lie étroitement à l'institution politique et administrative. Et dans un État où l'autorité du gouvernement est fortement affirmée et respectée, cette division en corps d'armée provinciaux, correspondante à l'organisation administrative et sociale, est la formule naturelle de la Nation armée.

C'est donc dans le corps d'armée que se déroule la vie du soldat allemand. En étudiant rapidement la vie de cette cellule de l'organisme, nous en pénétrerons facilement le fonctionnement général.

A dix-sept ans, le jeune Allemand, appelons-le Michel', entre légalement sous la tutelle de l'autorité militaire. Mais la loi allemande, quoique moins sentimentale qu'ailleurs, apprécie la valeur physique de cet adolescent, et, si elle le place à côté de l'homme mur dans l'échelonnement des devoirs patriotiques, elle n'impose à l'un comme à l'autre que la défense du sol contre l'envahis

seur.

Jeunes adultes de dix-sept à vingt ans, hommes faits de trenteneuf à quarante-cinq ans forment la partie sédentaire de la Nation armée et montent la garde en l'absence des armées active et landwehrienne.

Get appel à l'adolescent, qui semble lui dire « Ta main tient déjà la charrue et l'outil, prends aussi un fusil », cet appel est peut-être le trait le plus fort, sinon le plus rigoureux, de l'idée moderne de la Nation armée.

La vingtième année sorne! Les communes dressent la liste de leurs wehrpflichtig3.

Le commandant militaire du district et le landrath passent, contrôlent, revisent, exemptent, ajournent, classent les jeunes gens. Une deuxième commission, dite supérieure, avec la double autorité d'un général de brigade et d'un haut fonctionnaire civil, revoit le travail de la précédente, parcourt le district, contrôle, revise à son tour, arrête les diverses catégories et répartit le contingent par arme et corps de troupes.

1. Michel est le nom familier du Bauer allemand.

2. Deuxième ban de la landsturm.

3. Les imposés du sang, à rapprocher de l'ancien Wehrgeld, le prix du sang!

Michel, 500,000 unité de cette masse que la prolifique Allemagne offre chaque année à l'empereur, est reconnu apte au service et digne de servir. Il regarde s'éloigner les exemptés définitifs, impotents et invalides, les ajournés, malingres et chétifs, les soutiens de famille et dispensés, peu nombreux, les camarades de deuxième qualité classés à l'Ersatz Reserve comme moins bons ou comme supplémentaires. Michel fait partie du contingent à incorporer. Il entend qu'on l'affecte à une arme. S'il est petit, bon marcheur et bons yeux, il sera fantassin. Avec de la souplesse et de l'agilité, ou s'il est aspirant garde-forestier, il aura l'honneur de servir aux chasseurs à pied. Grand et solidement bâti, muskelkräftig, la Commission l'inscrit cuirassier; habitué aux chevaux, bonne recrue pour la cavalerie et l'artillerie. Les corps spéciaux, pionniers, artilleurs, troupes de chemins de fer, réclament les ouvriers d'art. Mais voici un gars superbe, de 1 m. 70 à 1 m. 75, körperlich und geistig, intelligent, bien conformé, étiqueté comme exemplaire, von untadelhafter Führung, par les autorités locales et l'estime publique, retenu pour la Garde!

Entre temps Michel a tiré au sort, antique opération qui donne encore l'illusion du bon numéro. Mais la chance est singulièrement réduite avec des contingents incorporés de 225,000 hommes, qui absorbent tout ce qui est de bonne qualité. Les quelques-uns, qui restent pour compte, attendent dans l'Ersatz Reserve d'être rappelés pour combler les vides, car Sa Majesté impériale et royale n'admet pas que son armée lui fasse tort d'un homme, et elle a raison, puisque son peuple lui en donne plus qu'il n'en faut.

Le recrutement a fait sa sélection. Notre jeune Allemand connaît l'étendue de ses obligations militaires trois ans dans l'armée active (das stehende Heer), quatre ans dans la réserve, douze ans

1. Le nombre des inscrits s'élève annuellement à 550,000 jeunes gens. 50,000 environ échappent au recrutement. Par suite des ajournements, très largement prononcés, on n'incorpore que des hommes absolument bons, àgés en moyenne de 21 et 22 ans, 225,000 environ sur 1,200,000 examinés chaque année!

2. L'Ersatz Reserve, réserve de recrutement, comprend, outre le reste du contingent reconnu très bon pour le service, les dispensés comme soutiens de famille et une catégorie d'hommes bons éventuellement, en tout 80,000 environ. Les hommes de l'Ersatz Reserve sont appelés de temps à autre et reçoivent quelque instruction, mais le nombre des appelés a été fort réduit ces dernières années. Il y a lieu de croire qu'en temps de guerre ils seraient versés dans les dépôts et utilisés comme renforts éventuels des troupes d'opérations.

Le Nach Ersatz comprend une proportion d'hommes en plus du contingent, 8 à 9 p. 0/0, qui sont incorporés en même temps pour tenir toujours l'effectif à l'étiage normal.

dans la landwehr (cinq ans au 1er ban, sept ans au 2o ban), enfin six ans dans la landsturm.

Les districts de recrutement rassemblent les recrues dans la première quinzaine d'octobre et les dirigent sur leurs garnisons avant le 15 octobre. L'hiver est déjà rude à cette époque dans la plus grande partie de l'Allemagne, l'instruction est hâtée pour compenser les pertes de temps des mois de brouillards. Les recrues sont endurantes, mais lourdes à dégrossir, et nos jeunes soldats de France, vifs et alertes, incorporés un mois plus tard que leurs similaires d'outre-Rhin, sont prêts à la guerre avant eux.

Si le débrouillage de Michel est pénible, les débuts et le passage surtout de la vie civile à la vie militaire lui sont adoucis de deux façons. D'abord il ne s'éloigne guère de son clocher, sa garnison est souvent la ville voisine, son régiment est celui qu'il connaît, où ont servi son père, son frère, ses cousins. Et puis il porte l'uniforme avec ce plaisir orgueilleux qui est au fond des cœurs allemands. Cet uniforme, il le connait, comme le régiment il est de la province.

Dans la tunique bleu foncé à boutons jaunes et pattes d'épaule, passepoils, collet et parements rouges, le pantalon de même couleur rentré dans la botte, sur la tête le casque à pointe légendaire en cuir bouilli, orné de l'aigle prussienne, le fantassin, ou l'artilleur à peu près pareil, ne jalouse pas l'éclatant cavalier aux costumes. variés, cuirassier blanc, hussard rouge, dragon bleu, hulan à la schapska légère. Ce sont gens du même terroir, parés d'uniformes divers, mais qui échangent les mêmes idées dans le même idiome, autour des chopes pareilles, remplies de la bière locale, et des choucroutes dont la vapeur aimée se mêle à la fumée des pipes particulariste.

Ainsi s'ouvre pour l'Allemand, armé du fusil ou de la lance, la vie du régiment. Il en sait déjà les légendes glorieuses, les titres, les noms héroïques ou princiers accolés à son numéro d'ordre. Il y comptera pendant sept ans.

Libéré du service actif, après deux ans' s'il est fantassin, après trois et quatre ans s'il appartient aux armes à cheval, il entre dans la réserve jusqu'à complément de ces sept années. Il fait désormais partie de ce Beurlaubtenstand (effectif en congé), qui embrasse

1. Le service de deux ans a été essayé dans l'infanterie allemande et parait devoir être maintenu, par suite des nombreux rengagements de sous-officiers et de soldats qui forment un noyau solide et constant.

réserve, landwehr et landsturm. Et il revient, pour n'en plus sortir, sous les ordres du commandant d'un des 288 districts de landwehr, qui sont les chevilles ouvrières du recrutement et de la mobilisation allemande.

C'est un personnage important, ce herr Landwehrsbezirks Kommandeur, officier supérieur retraité, à qui incombent l'administration, le contrôle, la surveillance, l'appel, le rassemblement de 28 classes cantonales. Il est assisté de plusieurs officiers subalternes également retraités, auxquels on adjoint un officier de l'active, et d'un nombreux personnel. Son district est divisé en circonscriptions, qui correspondent aux chefs-lieux administratifs, et où sont établis à poste fixe des sergents majors de district (Bezirksfeldwebel) 1, intermédiaires et informateurs à la fois du commandant du district et des wehrpflichtigen! Ainsi se maintiennent les anneaux de la chaîne militaire par cette intervention, cette présence constante de l'organe purement militaire dans le milieu civil. En attendant qu'il donne le solennel appel aux armes du peuple allemand, il ne lui permet pas d'oublier ses devoirs. Et quand l'Allemand atteint les quarante-cinq ans qui effacent son nom sur le registre du district, s'il n'est pas de ces pays polonais ou alsaciens-lorrains aux cœurs irréductibles, ou si la révolte socialiste ou anarchiste n'a pas détruit en lui le loyalisme monarchique et impérial, il garde de sa longue obligation militaire un attachement confus à la double institution, dont l'alliance étroite est si bien marquée en Allemagne par l'union de ces deux mots das Volk in Waffen.

Tel est sous les armes le grand corps allemand, körperlich und geistig. Le muscle est vigoureux, les articulations sont souples, le sang circule bien, la main tient bien le fusil, le sabre, la lance. Cet organisme vit, il est capable d'effort, que valent la tête et les nerfs? La tête, l'empereur! les nerfs, les officiers!

Lorsqu'ils proclamèrent à Versailles le roi de Prusse « empereur allemand », les rois et princes allemands étaient à ce moment-là plus chefs d'armée que chefs d'État, et ce fut bien l'armée allemande victorieuse, en face de l'ennemi, qui fit l'unité impériale.

1. En France, la gendarmerie joue le même rôle, mais ses attributions sont si complexes et son rôle est si marqué de police et de force publique que le service de recrutement n'y trouve pas toujours, malgré sa bonne volonté, l'aide qu'il devrait en attendre.

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