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dommage causé par un quasi-délit, tel qu'il résulte des définitions du Code Napoléon (1383 à 1386).

Nous avons eu occasion déjà de poser ces règles (suprà, n. 552); mais la question n'a été qu'indiquée et c'est ici le lieu de lui donner les développements qu'elle exige pour être bien comprise.

2009. Le 31 mai 1853, un commissionnaire de roulage déposait dans les magasins du sieur Requillard un ballot contenant deux pièces de tapis, destinées au sieur Braquenié, faisant le même commerce dans la même rue. L'erreur ne fut reconnue que lorsque les tapis étaient déjà vendus. Le sieur Braquenié assigna en conséquence le sieur Requillard devant le tribunal civil, en restitution de marchandises et en dommages-intérêts.

L'incompétence ayant été proposée, le tribunal repoussa le déclinatoire le 16 nov. 1853: « attendu, dit le jugement, que la demande formée par Braquenié contre Requillard est basée sur le tort que celui-ci, par son fait, aurait causé à Braquenié. Que cette action ne rentre pas dans les cas prévus et formulés par les art. 631 et s., C. comm.; qu'elle est purement civile et soumise aux principes posés par les art. 1382 et s., C. Nap.; qu'il suit que le tribunal est compétent pour en connaître. »

La Cour de Paris confirma le jugement: « aux termes de l'art. 631, porte l'arrêt, les tribunaux consulaires ne connaissent pas de toutes les contestations qui peuvent s'élever entre commerçants, mais seulement de celles relatives aux engagements et transactions entre eux, et entre toutes personnes, de celles qui constituent des actes de commerce. Considérant, en fait, que la remise et la conservation entre les mains de Braquenié, de marchandises expédiées à Requillard ne se rattachent ni directement ni indirectement à aucune opération commerciale entre les parties en cause; que s'il en peut résulter une action en responsabilité et réparation d'un dommage causé, cette action ne dérive ni d'un contrat ni d'un quasicontrat, dont l'appréciation appartienne aux tribunaux de com. merce » (1).

(1) Paris, 10 mars 1854 (J.P.55.1.546).

La Cour de Lyon consacrait le même principe, et disait, dans un de ses arrêts : « il est de principe que le commerçant qui, dans l'exercice de ses fonctions commerciales, commet un fait qui n'est pas commercial, ou qui n'est pas la conséquence directe et nécessaire d'un fait commercial, doit pour ce fait ordinaire être renvoyé aux tribunaux ordinaires »> (1).

Les engagements résultant d'un quasi-délit, alors même que l'acte a été commis par un commerçant au préjudice d'un commerçant, sont donc étrangers à la compétence commerciale (2); mais ce principe doit recevoir exception, si le fait qui sert de fondement à l'action intentée est survenu à l'occasion même du commerce du défendeur, se rattache à l'exercice de ce commerce, et a pour but d'y subvenir.

2010. La question s'est présentée devant la Cour de Rouen on disait d'un côté, que le quasi-délit ne peut donner naissance qu'à une action en dommages-intérêts, action essentiellement civile, et comme telle devant être portée devant les tribunaux civils. Que le quasi-délit ait été commis par un commerçant ou par un non-commerçant, peu importe; il n'y a pas à distinguer, l'action ne change pas de nature : elle reste ce qu'elle a toujours été, une action civile. Toutes les fois qu'il ne s'agit pas d'une convention, d'un engagement contracté, d'une obligation intervenue, la juridiction consulaire est incompétente.

On soutenait, d'un autre côté, que toutes les fois, au contraire, qu'il naît entre commerçants un lien de droit, un engagement à l'occasion d'opérations commerciales, qu'il prenne sa raison d'être dans la convention ou dans le fait de l'homme, c'est toujours, et sans distinction aucune entre ces diverses natures d'obligations, aux tribunaux de commerce qu'appartient la connaissance des difficultés qu'elles peuvent soulever.

La Cour a admis cette règle, au moins dans une certaine mesure, et jugé que le mot engagements devait être entendu dans le sens général et absolu qui lui appartient en droit; et qu'ainsi il peut s'appliquer, non-seulement aux engagements

(1) Lyon, 2 août 1855 (J.P.55.2.607).

(2) Cass., 11 vend. an 13 et 13 oct. 1806; Pardessus, n. 53.

résultant des conventions des parties, mais encore aux engagements formés sans convention, mais sous la condition expresse, toutefois, que le fait dommageable se soit produit à l'occasion de rapports commerciaux existant entre les parties. Dans l'espèce, le défendeur avait fait tort au demandeur en achetant des marchandises à un tiers qui les tenait de celuici (1). Cette règle a été appliquée à l'action purement civile en contrefaçon, et les tribunaux de commerce ont été déclarés compétents, lorsque la contestation existe entre deux commerçants (2).

Cette distinction semble encore avoir été consacrée par la Cour de cassation, dans une espèce où il s'agissait d'un aubergiste appelé en garantie par un voiturier actionné lui-même, à raison de la perte des marchandises qui lui avaient été confiées; l'arrêt a admis la compétence des juges consulaires; «< attendu, porte le considérant, que l'obligation contractée par un aubergiste envers les voituriers qu'il reçoit dans son auberge, et dont il garde les marchandises qu'ils transportent, constitue un engagement commercial qui soumet l'aubergiste, pour l'exécution de ses engagements, à la juridiction commerciale» (3).

2011. A la différence des délits et des quasi-délits, les faits que la loi civile a appelés quasi-contrats sont parfaitement licites (C. Nap., art. 1371).

Le Code Napoléon en donne pour premier exemple la gestion volontaire des affaires d'autrui sans mandat du propriétaire (C. Nap., art. 1372 à 1375); cette gestion est assimilée à celle qui résulte d'un mandat, et sera commerciale dans les mêmes circonstances que le mandat exprès; entre commerçants, la présomption est que l'acte est commercial.

Il peut y avoir plus de doute, «<lorsqu'une personne, qui par << erreur se croyait débitrice, a acquitté une dette » (C. Nap., art. 1377); et acquiert ainsi le droit de répétition contre celui qui a indûment reçu. « Cette action, dit M. Orillard, est de droit

(1) Rouen, 13 avril 1853 (S.V.53.2.695).

(2) Colmar, 30 juin 1828; Aix, 5 août 1842 (S.V.43.2.137); Cass., 17 mai 1843 et 26 fév. 1845 (S.V.43.1.702 et 45.1.660).

(3) Cass., 27 fév. 1854 (S.V.54.1.538); Nouguier, t. 2, p. 354; Orillard, n. 207; Bourges, 23 fév. 1844 (S.V.45.2.527).

civil, puisqu'elle prend sa source dans une obligation naturelle, érigée en loi par le droit civil. La qualité de celui qui a payé et de celui qui a reçu le paiement ne peut modifier la nature de cette action >> (1). Nous ne pouvons admettre ce principe; la qualité des personnes lorsqu'il s'agit d'une somme d'argent, de marchandises ou de toute autre chose, qui peut être l'objet d'une transaction commerciale, nous paraît suffire pour déterminer la juridiction consulaire; il n'y aurait exception que s'il s'agissait d'un immeuble, par exemple. M. Orillard convient que le tribunal de commerce, étant seul compétent pour statuer sur toutes les opérations d'un compte courant entre commerçants, s'il y a eu erreur, devra ordonner qu'elle sera réparée, et par voie de conséquence prononcer la restitution de la somme indûment allouée (2). Comment entre commerçants, le paiement ou l'encaissement d'une somme ne donneraient-ils pas lieu à des écritures et à des articles de compte? et pourquoi donc, dans ce cas unique, le commerçant débiteur ne serait-il pas appelé par le commerçant créditeur devant la juridiction naturellement appelée à connaître de toutes leurs contestations? D'ailleurs, le point de savoir si le paiement devait être fait, ou même a été fait, appelle l'examen de livres et d'opérations commerciales. Un arrêt de cassation, qui pourrait être plus explicite, est conforme à notre opinion (3).

Pour rester fidèle à la réglé établie par la première partie de l'art. 631, il faut donc décider qu'entre commerçants, les tribunaux de commerce sont toujours compétents, à moins que l'objet de la contestation n'ait évidemment rien de commercial ou qu'une loi spéciale n'en ait attribué la connaissance à une autre juridiction.

Cette règle n'est pas modifiée par cette circonstance, qu'au moment où l'action est intentée, le défendeur avait cessé d'être commerçant, s'il s'agit d'une obligation qu'il a contractée, lorsqu'il était encore dans le négoce.

2012. L'art. 631 établit également la compétence des tribu

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naux de commerce contre toutes personnes pour les contestations relatives aux actes de commerce; mais dans ce cas, là réglé doit être appliquée d'une manière restrictive; elle n'est pas de droit commun; elle est d'exception, et il faut se reporter aux art. 632 et 633 pour connaître les faits que la loi a rếputés actes de commerce.

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La volonté des parties est impuissante à donner le caractère commercial tout aussi bien à un acte qu'à un individu (suprà, n. 6 et s.); c'est la loi qui a défini quels sont les actes commerciaux et en dehors des prévisions des art. 632 et 633, il ne peut y avoir d'acte commercial; la rédaction de ces articles, il est vrai, n'est pas assez précise pour que le doute n'ait pu s'élever quelquefois sur l'interprétation qui devait leur être donnée et sur l'extension que devaient recevoir les expressions dont il se sont servis: le caractère essentiel à tout acte de commerce, c'est l'intention pour le contractant de se procurer un bénéfice; ce caractère peut se trouver sans doute dans un acte purement civil; mais quand on ne peut le découvrir, c'est un indice certain de la non-commercialité de l'acte (1).

2013. Lorsqu'il n'existe aucun doute sur la juridiction qui doit être saisie de la contestation, il faut déterminer encore quel est le tribunal parmi tous ceux du même ordre, devant lequel la demande doit être intentée; ou, en d'autres termes, il faut connaître encore la compétence territoriale. Cette compétence, ainsi que toutes les formes de la procédure proprement dites, sont réglées par le Code de procédure civile; l'art. 420, particu. lièrement, pose en ces termes le principe général en pareille matière: «<le demandeur, dit-il, pourra assigner à son choix, de& vant le tribunal du domicile du défendeur; devant celui dans « l'arrondissement duquel la promesse a été faite et la mar<«<chandise livrée, devant celui dans l'arrondissement duquel le paiement devait être effectué. >>

2014. Un avis du Conseil d'Etat des 4-9 décembre 1810 a rappelé que les tribunaux de commerce, sont des tribunaux d'exception et qu'ils ne peuvent connaitre que des matières,

(1) Nouguier, t. 1or, p. 349.

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