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1829, en même temps que Romieu. Plus tard il avait publié quelque chose, je ne sais plus quoi, qui était solennel et in-quarto, et qu'il m'avait envoyé. C'était lui qui, en mai 1847, était venu, avec le prince de la Moskowa, m'apporter la pétition du roi Jérôme à la Chambre des pairs. Cette pétition demandait la rentrée en France de la famille Bonaparte bannie; je l'ai appuyée : bonne action et faute que je referais encore.

II y avait Billault; une ressemblance d'orateur, divaguant avec facilité et se trompant avec autorité, réputé homme d'État. Ce qui constitue l'homme d'État. c'est une certaine médiocrité supérieure.

Il y avait Lavalette, complétant Morny et Walewski.

Il y avait Bacciochi...

D'autres encore.

C'est sous l'inspiration de cet entourage intime que, pendant sa présidence, Louis Bonaparte, sorte de Machiavel hollandais, s'en allait ici et là, à la Chambre et ailleurs, à Tours, à Ham, à Dijon, nasillant d'un air endormi des discours pleins de trahison.

L'Élysée, si misérable qu'il soit, tient de la place dans le siècle. L'Élyséc a engendré des catastrophes et des ridicules.

On ne peut le passer sous silence.

L'Élysée fut dans Paris le coin inquiétant et noir. Dans ce mauvais lieu on était petit et redoutable. On était en famille, entre nains. On avait cette maxime: jouir. On vivait de la mort publique. Là on respirait de la honte, et l'on se nourrissait de ce qui tue les autres. C'est là que se construisait avec art, intention, industrie et volonté, l'amoindrissement de la France. Là travaillaient, vendus, repus et complaisants, des hommes publics, lisez: prostitués. On y faisait, nous

l'avons indiqué, jusqu'à de la littérature : Vieillard était un classique de 1830, Morny créait Choufleury, Louis Bonaparte était candidat à l'Académie. Lieu étrange. L'hôtel de Rambouillet s'y mêlait à la maison Bancal. L'Élysée a été le laboratoire, le comptoir, le confessionnal, l'alcôve, l'antre du règne. L'Élysée prétendait gouverner tout, même les mœurs, surtout les mœurs. Il a mis le fard sur le sein des femmes en même temps que la rougeur sur la face des hommes, il donnait le ton à la toilette et à la musique. Il a inventé la crinoline et l'opérette. A l'Élysée, une certaine laideur était considérée comme élégance; ce qui fait le visage fier y était raillé comme ce qui fait l'âme grande; c'est à l'Élysée qu'a été conspué l'os homini sublime dedit; c'est là qu'ont été, pendant vingt ans, mises à la mode toutes les bassesses, y compris la bassesse du front.

L'histoire, quelle que soit sa fierté, est condamnée à savoir que l'Élysée exista. Le côté grotesque n'empêche pas le côté tragique. Il y a là un salon qui a vu la seconde abdication, l'abdication après Waterloo. C'est à l'Élysée que Napoléon Ier a fini et que Napoléon III a commencé. C'est à l'Élysée que Dupin est apparu aux deux Napoléon en 1815, pour abattre le grand, en 1851, pour adorer le petit. A cette dernière époque, ce lieu fut parfaitement sinistre. Il n'y resta plus une vertu. A la cour de Tibère, il y avait encore Thraséas, mais autour de Louis Bonaparte, rien. On cherchait la conscience, on trouvait Baroche; on cherchait la religion, on trouvait Montalembert.

V

UN AUXILIAIRE INDECIS

Dans cette matinée affreusement historique du 4 décembre, l'entourage observait le maître. Louis Bonaparte s'était enfermé; mais s'enfermer, c'est déjà se révéler. Qui s'enferme, médite; et, pour de tels hommes, méditer, c'est préméditer. Quelle pouvait être la préméditation de Louis Bonaparte? Qu'avait-il dans l'esprit? Question que tous s'adressaient; deux hommes exceptés : Morny, conseiller; Saint-Arnaud, exécuteur.

Louis Bonaparte avait la prétention, justifiée, de se connaître en hommes. Il s'en piquait, et, à un certain point de vue, il avait raison. D'autres ont la divination; il avait le flair. C'est bestial, mais sûr.

Il ne s'était, certes, point trompé sur Maupas. Pour crocheter la loi, il avait besoin d'une fausse clef. Il prit Maupas. Aucun engin d'effraction ne se serait mieux comporté que Maupas dans la serrure de la Constitution.

Il ne se trompa point sur Q... B... Il jugea tout de suite que cet homme grave avait ce qu'il fallait pour être immédiatement un drôle. Et en effet Q... B..., après avoir voté et signé la déchéance à la mairie du Xe arrondissement, fut un des trois rapporteurs des commissions mixtes; et il a, pour sa part dans l'abominable total qu'a enregistré l'histoire, seize cent trente-quatre victimes.

Louis Bonaparte se trompa quelquefois pourtant, notamment sur Peauger. Peauger, quoique choisi par lui, resta honnête homme. Louis Bonaparte, craignant les ouvriers de l'Imprimerie Nationale, et non sans motif, car douze, on l'a vu, furent réfractaires, avait inventé une succursale en-cas, une sorte de Sous-Imprimerie de l'État, installée rue du Luxembourg, avec presse mécanique et presse à bras, et composée de huit ouvriers; et il avait donné à Peauger la direction de cette imprimerie. Quand vint l'heure du crime, quand il fallut imprimer les affiches scélérates, il sonda Peauger, et le trouva révolté. Alors il s'adressa à Saint-Georges, meilleur valet.

Il se trompa moins, mais enfin il se trompa aussi sur X...

Le 2 décembre, X..., auxiliaire jugé nécessaire par Morny, fut un des soucis de Louis Bonaparte.

X... avait quarante-quatre ans, aimait les femmes, voulait avancer; de là peu de scrupules. Il avait débuté en Afrique sous le colonel Combes dans le 47° de ligne. Il avait été vaillant à Constantine; à Zaatcha, il avait dégagé Herbillon, et le siége, mal commencé par Herbillon, avait été bien fini par lui. X..., petit, court, la tête dans les épaules, intrépide, savait admirablement manier une brigade. Son avancement avait eu quatre échelons d'abord Bugeaud, puis Lamoricière, puis Cavaignac, puis Changarnier. A Paris, en 1851, il vit Lamoricière, qui «< lui battit froid», et Changarnier, qui le traita mieux. Il sortit de Satory indigné. Il criait: Il faut en finir avec ce Louis Bonaparte. Il corrompt l'armée. Ces soldats ivres soulèvent le cœur. Je veux retourner en Afrique. En octobre, Changarnier baissait, et l'enthousiasme de X... tombait. X... fréquenta alors l'Élysée, mais sans se livrer. Il donna parole au général Bedeau, qui comptait sur lui. Le 2 décembre, au point du jour, quelqu'un vint réveiller X... C'était Edgar Ney. X. était un point d'appui pour le coup d'État; mais consentirait-il? Edgar Ney lui expliqua l'événement, et ne le quitta qu'après l'avoir vu sortir à la tête du premier régiment de la caserne de la rue Verte. X... alla prendre position place de la Madeleine. Comme il y arrivait, La Rochejaquelein, repoussé de la Chambre par les envahisseurs, traversait la place. La Rochejaquelein, pas encore bonapartiste, était furieux. Il aperçut X..., son ancien camarade à l'École militaire en 1830, qu'il tutoyait, alla à lui et lui dit : — C'est un acte infâme. Que fais-tu ? — J'attends, répondit X. La Rochejaquelein le quitta. X... mit pied à terre et alla voir un de ses parents à lui, conseiller d'État, M. R..., qui

demeurait rue de Suresnes. Il lui demanda conseil. M. R..., honnête, n'hésita

pas. Il répondit: Je vais au Conseil d'État faire mon devoir. C'est un crime.

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X... hocha la tête et dit: - Il faut voir.

Ce j'attends et cet il faut voir préoccupaient Louis Bonaparte. Morny dit: -Faisons donner l'escadron volant.

VI

DENIS DUSSOUBS

Gaston Dussoubs était un des plus vaillants membres de la gauche. Il était représentant de la Haute-Vienne. Dans les premiers temps de sa présence à l'Assemblée, il portait, comme autrefois Théophile Gautier, un gilet rouge, et le frisson que donnait aux classiques de 1830 le gilet de Gautier, le gilet de Dussoubs le donnait aux royalistes de 1851. M. Parisis, évêque de Langres, auquel un chapeau rouge n'eût pas fait peur, était terrifié du gilet rouge de Dussoubs. Une autre cause d'horreur pour la droite, c'est que Dussoubs avait, disait-on, passé trois ans à Belle-Isle, comme détenu politique, condamnation encourue pour «l'affaire de Limoges ». Le suffrage universel l'aurait donc pris là pour le mettre à l'Assemblée. Aller de la prison au Sénat; chose, certes, peu surprenante dans nos temps variables, et qui se complète parfois ainsi: retourner du Sénat à la prison. Mais la vérité, c'est que la droite se trompait. Le condamné de Limoges était, non Gaston Dussoubs, mais Denis, son frère. En somme, Gaston Dussoubs «< effrayait ». Il était spirituel, courageux et doux.

Dans l'été de 1851, j'allais tous les jours dîner à la Conciergerie avec mes deux fils et mes deux amis en prison. Ces grands cœurs et ces grands esprits, Vacquerie, Meurice, Charles, François-Victor, attiraient leurs pareils, et il y avait, dans ce demi-jour livide des fenêtres à hottes et à barreaux de fer, une petite table de famille où venaient s'asseoir, dans l'intimité, les éloquents orateurs, et parmi eux Crémieux, et les écrivains puissants et charmants, et parmi eux Peyrat.

Un jour, Michel de Bourges nous amena Gaston Dussoubs.

Gaston Dussoubs habitait le faubourg Saint-Germain, dans le voisinage de l'Assemblée.

Le 2 décembre, nous ne le vîmes pas à nos réunions. Il était malade et avait dû rester couché, «cloué, comme il me l'écrivit, par un rhumatisme articulaire >>.

Il avait un frère, plus jeune que lui, que nous venons de nommer, Denis Dussoubs. Le matin du 4, ce frère vint le voir.

Gaston Dussoubs savait le coup d'État et s'indignait d'être forcé de garder le lit. Il s'écriait :

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- Je suis déshonoré. Il y aura des barricades, et mon écharpe n'y sera

Si! dit son frère. Elle y sera!

Comment cela?

- Prête-la-moi.

Prends-la.

Denis prit l'écharpe de Gaston et s'en alla.
On reverra plus tard Denis Dussoubs.

VII

RENSEIGNEMENTS ET RENCONTRES

Lamoricière, dans cette même matinée, trouva moyen de me faire parvenir, par madame de Courbonne1, le renseignement que voici:

«Fort de Ham. - Le commandant s'appelle Baudot. Sa nomination, faite par Cavaignac en 1848, a été contre-signée par Charras. Tous deux sont aujourd'hui ses prisonniers. Le commissaire de police envoyé par Morny au village de Ham, pour surveiller les prisonniers et le geôlier, se nomme Dufaure de Pouillac2.

Je pensai, quand la communication me parvint, que le commandant Baudot, « le geôlier», se prêtait à la transmission si rapide de cet avis.

Indice d'ébranlement du pouvoir central.

Lamoricière, par cette même voie, me fit parvenir quelques détails sur son arrestation et sur celle des généraux ses camarades.

Ces détails complètent ceux que j'ai déjà donnés.

L'arrestation des généraux s'exécuta au même moment, dans leurs divers domiciles, avec des circonstances à peu près identiques. Partout les maisons cernées, les portes ouvertes par ruse ou enfoncées de force, les portiers trompés, quelquefois garrottés, des hommes déguisés, des hommes munis de cordes, des hommes armés de haches, la surprise au lit, la violence nocturne. Quelque chose qui ressemblait, comme je l'ai dit, à une invasion de chauffeurs.

Le général Lamoricière a, selon sa propre expression, « le sommeil dur ».

4. Rue d'Anjou-Saint-Honoré, 16.

2. L'auteur a conservé cette note écrite de la main de Lamoricière.

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