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Quel que fût le tapage fait à sa porte, il ne s'éveillait pas. Son domestique, ancien soldat dévoué, parla haut et cria pour réveiller le général. I engagea même une lutte avec les sergents de ville. Un agent de police lui porta un coup d'épée qui lui traversa le genou3. Le général fut réveillé, saisi et emmené.

En passant sur le quai Malaquais, Lamoricière aperçut des troupes qui défilaient le sac au dos. Il se pencha vivement à la portière de la voiture. Le commissaire de police qui l'accompagnait pensa qu'il allait haranguer les soldats. Cet homme saisit le général par le bras et lui dit : - Général, si vous dites un mot, je vous mets ceci. Et de l'autre main il montra au général dans l'obscurité quelque chose qui était un bâillon.

Tous les généraux arrêtés furent conduits à Mazas. Là on les enferma et on les oublia. A huit heures du soir, le général Changarnier n'avait pas encore mangé.

Le moment de l'arrestation fut rude pour les commissaires de police. Ils eurent de la honte à boire à grandes gorgées. Pas plus que Charras, Cavaignac, Le Flò, Changarnier, Bedeau et Lamoricière ne les ménagèrent. A l'instant de partir, le général Cavaignac emporta quelque argent. Avant de le mettre dans sa poche, il se tourna vers le commissaire de police Colin qui l'arrêtait et lui dit: Cet argent sera-t-il en sûreté sur moi?

Le commissaire se récria: Ah! général, que supposez-vous donc là?

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Qui est-ce qui me dit que vous n'êtes pas des filous? répliqua Cavaignac. Au même moment, presque la même minute, Charras disait au con:missaire de police Courteille : - Qui est-ce qui me dit que vous n'êtes pas des escarpes?

Quelques jours après, ces malheureux reçurent tous la croix de la Légion d'honneur.

Cette croix donnée par le dernier Bonaparte à des gens de police après le 2 décembre, c'est la même que le premier Napoléon attachait aux aigles de la Grande Armée après Austerlitz.

Je communiquai ces détails au comité. D'autres rapports affluaient. Quelques-uns concernaient la presse. Depuis le matin du 2, la presse était traitée avec toute la brutalité soldatesque. Serrière, le courageux imprimeur, vint nous dire ce qui avait eu lieu à la Presse. Serrière imprimait la Presse et l'Avénement du Peuple, transformation de l'Événement, judiciairement supprimé. Le 2, à sept heures du matin, l'imprimerie avait été envahie par vingthuit soldats de la garde républicaine, que commandait un lieutenant nommé Pape (décoré depuis pour cela). Cet homme avait remis à Serrière une défense de rien imprimer signé Nusse. Un commissaire de police accompagnait le lieutenant. Pape. Ce commissaire avait signifié à Serrière un « décret du président de la République » supprimant l'Arénement du Peuple; puis on avait mis des

4. Il a fallu, plus tard, la plaie ayant empiré, couper la jambe du blessé.

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factionnaires auprès des presses. Les ouvriers avaient résisté; un margeur avait dit aux soldats Nous imprimerons malgré vous. Alors étaient arrivés quarante nouveaux gardes municipaux, avec deux maréchaux des logis et quatre brigadiers, et, tambour en tête, un détachement de ligne commandé par un capitaine. Girardin survint, indigné, et protesta avec tant d'énergie qu'un maréchal des logis lui dit : Je voudrais avoir un colonel comme vous. Le courage de Girardin gagna les ouvriers, et, à force d'adresse et d'audace, sous l'œil même des gendarmes, ils parvinrent à imprimer les proclamations de Girardin à la presse à bras et les nôtres à la brosse. Ils les emportaient tout humides, et par petits paquets, sous leurs gilets.

Heureusement on était ivre. Les gendarmes faisaient boire les soldats, les ouvriers profitaient de cette gaieté pour travailler. Les gardes municipaux riaient, juraient, « faisaient des calembours, buvaient du vin de Champagne et du café » et disaient: C'est nous qui remplaçons les représentants; nous avons vingt-cinq francs par jour. Toutes les presses de Paris étaient occupées ainsi militairement. Le coup d'État tenait tout. Ce crime maltraitait même les journaux qui le soutenaient. Aux bureaux du Moniteur parisien, les sergents de ville voulaient tirer sur quiconque entr'ouvrait une porte. M. Delamarre, directeur de la Patrie, avait sur les bras quarante gardes municipaux, et tremblait qu'ils ne brisassent ses presses. Il dit à l'un d'eux: Mais je suis avec vous! — Le gendarme répondit : Qu'est-ce que cela me fait!

Dans la nuit du 3 au 4, vers trois heures du matin, toutes les imprimeries furent évacuées. Le capitaine dit à Serrière : — Nous avons ordre de nous concentrer dans nos quartiers. Et Serrière, en nous racontant le fait, ajouta : Il se prépare quelque chose.

J'avais, depuis la veille, des conversations pour le combat avec Georges Biscarrat, homme brave et probe, dont j'aurai occasion de reparler. Je lui avais donné rendez-vous au no 19 de la rue Richelieu. De là, dans cette matinée du 4, quelques allées et venues du no 15 où nous délibérions au no 19 où je couchais.

A un certain moment, j'étais dans la rue. Je quittais cet honnête et courageux homme; je vis venir à moi tout le contraire, M. Mérimée.

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J'espère que vous ne me trouverez pas.

Il me tendit la main, je lui tournai le dos.

Je ne l'ai plus revu. Je crois qu'il est mort.

Ce Mérimée un jour, vers 1847, me parlait de Morny, et nous avions eu ce dialogue. Mérimée disait : M. de Morny a un grand avenir. Et il m'avait demandé: - Le connaissez-vous ?

Et j'avais répondu :

Ah! il a un grand avenir! Oui, je connais M. de Morny. Il a de l'esprit, il va beaucoup dans le monde, il fait des affaires industrielles, il a mis en train

l'affaire de la Vieille-Montagne, les mines de zinc, les charbonnages de Liége. J'ai l'honneur de le connaître. C'est un escroc.

Il y avait entre Mérimée et moi cette nuance que je méprisais Morny et qu'il l'estimait.

Morny le lui rendait, et c'était justice.

J'attendis que Mérimée eût dépassé le coin de la rue. Quand il eut disparu, je rentrai au no 15.

On avait des nouvelles de Canrobert. Le 2 au soir, il était allé voir madame Le Flô, cette noble femme indignée. Le lendemain 3, il devait y avoir un bal chez Saint-Arnaud, au ministère de la guerre. Le général Le Flò et madame Leflô y étaient invités et devaient s'y rencontrer avec le général Canrobert. Mais ce n'est point de cette danse que lui parla madame Le Flò. - Général, lui ditelle, tous vos camarades sont arrêtés; et c'est à cela que vous allez donner la main! Ce que je vais donner, dit Canrobert, c'est ma démission. Et il ajouta Vous pouvez le dire à Le Flò. Il était pâle et se promenait de long en large, très-agité. Votre démission, général? Oui, madame. Est-ce sûr? Général Canrobert,

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Oui, madame, si pourtant il n'y a pas d'émeute...

s'écria madame Le Flò, voilà un si qui me dit ce que vous allez faire.

Et pourtant Canrobert n'était, certes, point décidé encore. Le fond de Canrobert était l'incertitude. Pélissier, l'homme hargneux et bourru, disait : Fiez-vous donc aux noms des gens! Je m'appelle Amable, Randon1 s'appelle César, et Canrobert s'appelle Certain!

VIII

SITUATION

Quoique la tactique de combat du comité fût, j'en ai déjà dit les motifs, de ne point condenser la résistance dans une heure ni dans un lieu, mais de la répandre sur le plus grand nombre de points et le plus grand nombre de jours possible, chacun de nous avait l'instinct, comme de leur côté les malfaiteurs de l'Élysée, que la journée serait décisive.

Le moment approchait où le coup d'État nous donnerait l'assaut de toutes parts et où nous aurions à soutenir le choc d'une armée entière. Le peuple, ce grand peuple révolutionnaire des faubourgs de Paris, abandonnerait-il ses repré

4. Surnommé nous.

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