Page images
PDF
EPUB

fit part de ceci : Au coin d'une rue du faubourg Saint-Antoine, Gambon et lui avaient aperçu un rassemblement. Ils y étaient allés. Ce rassemblement lisait une affiche placardée au mur. C'était un appel aux armes signé Victor Hugo. Testelin demanda à Gambon Avez-vous un crayon? Oui, dit Gambon. Testelin prit le crayon, s'approcha de l'affiche et écrivit son nom au-dessous du mien, puis il rendit le crayon à Gambon qui, à son tour, écrivit son nom audessous du nom de Testelin. Alors la foule cria: Bravo! ce sont des bons! Criez Vive la République! dit Testelin. Tous crièrent : Vive la République ! Et du haut des fenêtres ouvertes, ajouta Gambon, les femmes battaient des mains.

Les petites mains des femmes applaudissant, c'est bon signe, dit Michel de Bourges.

Comme on l'a vu, et nous ne saurions trop y insister, ce que voulait le Comité de résistance, c'était d'empêcher le plus possible l'effusion du sang. Construire des barricades, les laisser détruire et les recommencer sur d'autres points, éviter l'armée et la fatiguer, faire dans Paris la guerre du désert, reculer toujours, ne céder jamais, prendre le temps pour auxiliaire, ajouter les journées aux journées; d'une part, laisser au peuple le temps de comprendre et de se lever, d'autre part, vaincre le coup d'État par la lassitude de l'armée; tel était le plan débattu et adopté.

L'ordre était donc donné de peu défendre les barricades.

Nous disions sous toutes les formes aux combattants :

[ocr errors]

Versez le moins de sang possible! épargnez le sang des soldats et ménagez le vôtre.

Cependant, une fois la lutte engagée, à de certaines heures vives du combat, il devint impossible sur quelques points de modérer les courages. Plusieurs barricades furent opiniâtrément défendues, notamment rue Rambuteau, rue Montorgueil et rue Neuve-Saint-Eustache.

Ces barricades eurent de courageux chefs.

Notons ici, pour l'histoire, quelques-uns de ces vaillants hommes. Silhouettes combattantes, apparues et disparues dans la fumée du combat. Radoux, architecte, Deluc, Mallarmet, Félix Bony, Luneau, ancien capitaine de la garde républicaine, Camille Berru, rédacteur de l'Avénement, gai, cordial et intrépide, et ce jeune Eugène Millelot, qui devait, à Cayenne, condamné à recevoir deux cents coups de corde, expirer au vingt-troisième coup sous les yeux de son père et de son frère, proscrits et déportés comme lui.

La barricade de la rue Aumaire fut de celles qu'on n'emporta pas sans résistance. Quoique élevée à la hâte, ene était assez bien construite. Quinze ou seize hommes résolus la défendaient; deux s'y firent tuer.

La barricade fut enlevée à la bayonnette par un bataillon du 16 de ligne. Ce bataillon, lancé sur la barricade au pas de course, y fut accueilli par une vive fusillade; plusieurs soldats furent blessés.

Le premier qui tomba dans les rangs de la ligne fut un officier. C'était un jeune homme de vingt-cinq ans, lieutenant de la première compagnie, nommé Ossian Dumas; deux balles lui brisèrent comme d'un seul coup les deux jambes.

Il y avait en ce moment-là dans l'armée deux frères du nom de Dumas, Ossian et Scipion. Scipion était l'aîné. Ils étaient parents assez proches du représentant Madier de Montjau.

Ces deux frères étaient d'une famille honorée et pauvre. L'aîné avait passé par l'École polytechnique, le second par l'École de Saint-Cyr.

Scipion Dumas était de quatre ans plus âgé que son frère. D'après cette magnifique et mystérieuse loi d'ascension, que la Révolution française a créée, et qui a pour ainsi dire posé une échelle au milieu de la société jusqu'alors fatale et inaccessible, la famille de Scipion Dumas s'était imposé les plus rudes privations pour élargir en lui l'intelligence et devant lui l'avenir. Ses parents, touchant héroïsme des familles pauvres d'aujourd'hui, s'étaient refusé le pain pour lui donner la science. C'est ainsi qu'il était arrivé à l'École polytechnique. Il en devint bien vite un des premiers élèves.

Ses études faites, il fut nommé officier d'artillerie et envoyé à Metz. Alors ce fut son tour d'aider l'enfant qui montait après lui. Il tendit la main à son jeune frère. Il économisa sur sa modique paye de lieutenant d'artillerie, et, grâce à lui, Ossian devint officier comme Scipion. Pendant que Scipion, fixé par un emploi de son grade, restait à Metz, Ossian, incorporé dans un régiment d'infanterie, allait en Afrique. Il fit là ses premières armes.

Scipion et Ossian étaient républicains. Au mois d'octobre 1851, le 16 de ligne, où Ossian servait, fut appelé à Paris. C'était un des régiments choisis [ar la main ténébreuse de Louis Bonaparte et sur lesquels le coup d'État comptait.

Le 2 décembre arriva.

Le lieutenant Ossian Dumas obéit, comme presque tous ses camarades, à l'ordre de prise d'armes, mais chacun autour de lui put remarquer son attitude sombre.

La journée du 3 se passa en marches et en contre-marches. Le 4 le combat s'engagea. Le 16o, qui faisait partie de la brigade Herbillon, fut désigné pour enlever les barricades des rues Beaubourg, Transnonain et Aumaire.

Ce lieu de combat était redoutable; il y avait là comme un carrefour de barricades.

C'est par la rue Aumaire, et par le bataillon dont Ossian faisait partie, que les chefs militaires résolurent de commencer l'action.

Au moment où le bataillon, armes chargées, allait se diriger vers la rue Aumaire, Ossian Dumas aborda son capitaine, un brave et ancien officier dont il était aimé, et lui déclara qu'il ne ferait point un pas de plus, que l'acte du 2 décembre était un crime, que Louis Bonaparte était un traître, que c'était à eux, soldats, de tenir le serment que Bonaparte violait, et que, quant à lui, il ne prêterait pas son sabre pour l'égorgement de la République.

Une halte s'était faite. On attendait le signal de l'attaque; les deux officiers, le vieux capitaine et le jeune lieutenant, causaient à voix basse.

[ocr errors]
[blocks in formation]

Mais il n'est plus temps, il fallait donner votre démission hier.

Il est toujours temps de ne pas commettre un crime.

Le capitaine, on le voit, n'était pas autre chose qu'un de ces braves de métier, vieillis sous le hausse-col, qui ne connaissent pas d'autre patrie que le drapeau et d'autre loi que la discipline. Bras de fer et têtes de bois. Ils ne sont plus. citoyens ni hommes. L'honneur ne leur apparaît qu'avec des épaulettes de général. Que leur parlez-vous de devoir politique, d'obéissance aux lois, de Constitution! est-ce qu'ils connaissent cela? Qu'est-ce qu'une Constitution, qu'est-ce que les lois les plus saintes, à côté des trois mots qu'un caporal murmure à l'oreille d'une sentinelle? Prenez une balance, mettez dans un plateau l'Évangile, dans l'autre, la consigne. Maintenant pesez. Le caporal l'emporte. Dieu est léger.

Dieu fait partie de la consigne de la Saint-Barthélemy.

reconnaîtra les siens.

Voilà ce que les prêtres acceptent et parfois glorifient.

Tuez tout. Il

La Saint-Barthélemy a été bénie par le pape et décorée de la médaille catholique'.

Cependant Ossian Dumas paraissait inébranlable, Le capitaine tenta ur dernier effort.

[ocr errors][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

Cette parole parut frapper Ossian Dumas. Le capitaine continua :

-On va se battre. Dans quelques minutes la barricade sera attaquée. Vos camarades vont tomber morts ou blessés. Vous êtes un jeune officier, vous n'avez pas encore beaucoup vu le feu.....

- Eh bien, interrompit vivement Ossian Dumas, je n'aurai pas combattu contre la République, on ne dira pas que je suis un traître.

1. Pro Hugonolorum strage. Médaille frappée à Rome, 1572.

[graphic]
« PreviousContinue »