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« C'est à moi, responsable de mes actions devant le peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

« Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion.

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Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple.

« Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous, dans le passé, communauté de gloire et de malheur.

་་ Il y aura dans l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.

« Signé: L.-N. BONAPARTE. »

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.

Le président de la République décrète :

ARTICLE PREMIER.

L'Assemblée nationale est dissoute.

ART. 2.

Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.

ART. 3.

Le peuple français est convoqué dans ses comices, à partir du 14 décembre jusqu'au 21 décembre suivant.

ART. 4.

L'état de siége est décrété dans l'étendue de la première division mili

taire.

ART. 5.

Le conseil d'État est dissous.

ART. 6.

Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait au Palais de l'Élysée, le 2 décembre 1851.

Le ministre de l'intérieur,

DE MORNY.

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

VII

RUE BLANCHE, NUMÉRO 70

La cité Gaillard est assez difficile à découvrir. C'est une ruelle déserte de ce quartier neuf qui sépare la rue des Martyrs de la rue Blanche. Je la trouvai pourtant. Comme j'arrivais au numéro 4, Yvan sortit de la porte cochère, et me dit: Je suis là pour vous prévenir. La police a l'éveil sur cette maison. Michel vous attend rue Blanche, numéro 70, à quelques pas d'ici.

Je connaissais le numéro 70 de la rue Blanche. C'est là que demeurait Manin, le mémorable président de la République vénitienne. Du reste, ce n'était pas chez lui qu'on se réunissait.

La portière du numéro 70 me fit monter au premier étage. La porte s'ouvrit, et une femme d'une quarantaine d'années, belle, avec des cheveux gris, madame la baronne Coppens, que je reconnus pour l'avoir vue dans le monde et chez moi, m'introduisit dans un salon.

Il y avait là Michel de Bourges et Alexandre Rey, ancien constituant, écrivain éloquent, vaillant homme. Alexandre Rey rédigeait alors le National. On se serra la main.

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Plusieurs représentants arrivèrent, entre autres Pierre Lefranc, Labrousse, Théodore Bac, Noël Parfait, Arnaud de l'Ariége, Démosthènes Ollivier, ancien constituant, Charamaule. L'indignation était profonde et inexprimable, mais on ne disait pas de paroles inutiles.

Tous avaient cette virile colère d'où sortent les grandes résolutions. On causa. On exposa la situation. Chacun apportait ses nouvelles. Théodore Bac venait de chez Léon Faucher qui demeurait rue Blanche. C'était lui qui avait réveillé Léon Faucher et lui avait annoncé la nouvelle. Le premier mot de Léon Faucher avait été : C'est un acte infâme.

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Charamaule montra dès les premiers moments un courage qui, dans les quatre journées de la lutte, ne s'est pas démenti un seul instant. Charamaule est un homme de haute taille, à la figure énergique et à la parole con

vaincue; il votait avec la gauche, mais siégeait parmi la droite. A l'Assemblée il était voisin de Montalembert et de Riancey. Il avait quelquefois avec eux de vives querelles que nous voyions de loin et qui nous égayaient.

Charamaule arriva à la réunion du numéro 70 vêtu d'une sorte de caban militaire en drap bleu, et armé comme nous le vîmes plus tard.

La situation était grave: seize représentants arrêtés, tous les généraux de l'Assemblée, et celui qui était plus qu'un général, Charras. Tous les journaux supprimés, toutes les imprimeries occupées militairement. Du côté de Bonaparte une armée de quatrevingt mille hommes, qui pouvait être doublée en quelques heures; de notre côté, rien. Le peuple trompé, et d'ailleurs désarmé. Le télégraphe à leurs ordres. Toutes les murailles couvertes de leurs affiches, et pour nous pas une casse d'imprimerie, pas un carré de papier. Aucun moyen d'élever la protestation, aucun moyen de commencer le combat. Le coup d'État était cuirassé, la République était nue; le coup d'État avait un porte-voix, la République avait un bâillon.

T

Que faire ?

La razzia contre la République, contre la Constitution, contre l'Assemblée, contre le droit, contre la loi, contre le progrès, contre la civilisation, était commandée par des généraux d'Afrique. Ces braves venaient de prouver qu'ils étaient des lâches. Ils avaient bien pris leurs précautions. La peur seule peut donner tant d'habileté. On avait arrêté tous les hommes de guerre de l'Assemblée et tous les hommes d'action de la gauche; Baune, Charles Lagrange, Miot, Valentin, Nadaud, Cholat. Ajoutons que tous les chefs possibles de barricades étaient en prison. Les fabricateurs du guet-apens avaient soigneusement oublié Jules Favre, Michel de Bourges et moi, nous jugeant moins hommes d'action que de tribune, voulant laisser à la gauche des hommes capables de résister mais incapables de vaincre, espérant nous déshonorer si nous ne combattions pas et nous fusiller si nous combattions.

Aucun du reste n'hésita. La délibération s'ouvrit. D'autres représentants arrivaient de minute en minute. Edgar Quinet, Doutre, Pelletier, Cassal, Bruckner, Baudin, Chauffour. Le salon était plein, les uns assis, la plupart debout, en désordre, mais sans tumulte.

coup.

Je parlai le premier.

Je déclarai qu'il fallait entamer la lutte sur-le-champ. Coup pour

Qu'à mon avis les cent cinquante représentants de la gauche devaient se revêtir de leurs écharpes, descendre processionnellement par les rues et les boulevards jusqu'à la Madeleine en criant vive la République! vive la Constitution! se présenter au front des troupes, seuls, calmes et désarmés, et sommer la force d'obéir au droit. Si les troupes cédaient, se rendre à l'Assemblée et en finir avec Louis Bonaparte. Si les soldats mitraillaient les législateurs, se disperser dans Paris, crier aux armes et courir aux barricades. Commencer la

résistance constitutionnellement, et, si cela échouait, la continuer révolutionnairement. Qu'il fallait se hâter.

Un forfait, dis-je, veut être saisi flagrant. C'est une grande faute de laisser accepter un attentat par les heures qui s'écoulent. Chaque minute qui passe est complice et donne sa signature au crime. Redoutez cette affreuse chose qu'on appelle le fait accompli. Aux armes!

Plusieurs appuyèrent vivement cet avis, entre autres Edgar Quinet, Pelletier et Doutre.

Michel de Bourges fit de graves objections. Mon instinct était de commencer tout de suite. Son avis était de voir venir.

Selon lui, il y avait péril à précipiter le dénoûment. Le coup d'État était organisé, et le peuple ne l'était pas. On était pris au dépourvu. Il ne fallait pas se faire illusion, les masses ne bougeaient pas encore. Calme profond dans les faubourgs. De la surprise, oui; de la colère, non. Le peuple de Paris, si intelligent pourtant, ne comprenait pas.

:

Michel ajoutait : Nous ne sommes pas en 1830. Charles X, en chassant les 221, s'était exposé à ce soufflet, la réélection des 221. Nous ne sommes point dans cette situation. Les 221 étaient populaires, l'Assemblée actuelle ne l'est pas. Une Chambre injurieusement dissoute, que le peuple soutient, est toujours sûre de vaincre. Aussi le peuple s'est-il levé en 1830. Aujourd'hui il est stagnant. Il est dupe en attendant qu'il soit victime. Et Michel de Bourges concluait Il fallait laisser au peuple le temps de comprendre, de s'irriter et de se lever. Quant à nous, représentants, nous serions téméraires de brusquer la situation. Marcher tout de suite droit aux troupes, c'était se faire mitrailler en pure perte, et priver d'avance la généreuse insurrection pour le droit de ses chefs naturels, les représentants du peuple. C'était décapiter l'armée populaire. La temporisation était bonne, au contraire. Il fallait bien se garder de trop d'entraînement, il était nécessaire de se réserver; se livrer, c'était perdre la bataille avant de l'avoir commencée. Ainsi, par exemple, il ne fallait pas se rendre à la réunion indiquée par la droite pour midi, tous ceux qui iraient seraient pris. Rester libres, rester debout, rester calmes, et agir, attendre que le peuple vînt. Quatre jours de cette agitation sans combats fatigueraient l'armée. Michel était d'avis de commencer pourtant, mais simplement par l'affichage de l'article 68 de la Constitution. Seulement, où trouver un imprimeur?

Michel de Bourges parlait avec l'expérience du procédé révolutionnaire qui me manquait. Il avait depuis longues années une certaine pratique des masses. Son avis était sage. Il faut ajouter que tous les renseignements qui nous arrivaient lui venaient en aide et semblaient conclure centre moi. Paris était morne.

L'armée du coup d'État l'envahissait paisiblement. On ne déchirait même pas les affiches. Presque tous les représentants présents, et les plus intrépides, partagèrent l'avis de Michel : attendre et voir venir. La nuit prochaine, disait-on, le bouillonnement commencera, et l'on concluait comme Michel de Bourges : il

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faut donner au peuple le temps de comprendre. Commencer trop tôt ce serait risquer d'être seuls. Ce n'est pas dans ce premier moment que nous entraînerions le peuple. Laissons l'indignation lui monter peu à peu au cœur. Prématurée, notre manifestation avorterait. C'était le sentiment de tous. Moi-même, en les écoutant, je me sentais ébranlé. Ils avaient peut-être raison. Ce serait une faute de donner en vain le signal du combat. A quoi bon l'éclair que ne suit pas le coup de foudre?

Élever la voix, pousser un cri, trouver un imprimeur, c'était là la première question. Mais y avait-il encore une presse libre?

Le vieux et brave ancien chef de la sixième légion, le colonel Forestier, entra. Il nous prit à part Michel de Bourges et moi.

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