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On fit avancer un fiacre.

Pendant que j'y suis, dit le mouchard, venez tous les trois.

Il fit monter Huy et Lorrain avec Cournet, les plaça sur le devant, et s'assit au fond près de Cournet; puis il cria au cocher:

A la préfecture.

Les sergents de ville entourèrent le fiacre. Mais soit hasard, soit confiance, soit hâte de se faire payer sa capture, l'homme qui avait arrêté Cournet cria au cocher Vite! vite! Et le fiacre partit au galop.

Cependant Cournet savait qu'il serait fusillé dans la cour même en arrivant à la préfecture. Il avait résolu de n'y point aller.

A un détour, rue Saint-Antoine, il jeta un coup d'œil en arrière et vit que les sergents de ville ne suivaient plus le fiacre que de très-loin.

Aucun des quatre hommes que le fiacre emportait n'avait encore desşerré les dents.

Cournet adressa à ses deux compagnons assis en face de lui un regard qui voulait dire : Nous sommes trois, profitons-en pour nous échapper.

Tous deux répondirent par un clignement d'yeux imperceptible qui lui montrait la rue pleine de passants et qui disait non.

Quelques instants après, le fiacre sortit de la rue Saint-Antoine et entra dans. la rue de Fourcy. La rue de Fourcy est habituellement déserte, personne n'y passait en ce moment.

Cournet se tourna brusquement vers le mouchard et lui demanda :
- Avez-vous un mandat pour m'arrêter?

Non, mais j'ai ma carte.

Et il la tira ds sa poche et montra à Cournet sa carte d'agent de police. Alors il y eut entre ces deux hommes le dialogue que voici :

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Vous n'avez pas le droit de m'arrêter.

C'est égal, je vous arrête.

Voyons, c'est de l'argent qu'il vous faut, en voulez-vous? J'en ai sur moi, laissez-moi échapper.

Gros d'or comme votre tête, je ne voudrais pas. Vous êtes ma plus belle capture, citoyen Cournet.

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-Je te dis que je n'irai pas, cria Cournet.

Et avec un de ces gestes qui foudroient, il saisit le mouchard à la gorge. L'agent ne put jeter un cri, il se débattit, une main de bronze l'étreignait. Sa langue jaillit de sa bouche, ses yeux devinrent horribles et sortirent de leur orbite; tout à coup sa tête s'affaissa, et une écume rougeâtre monta de son gosier à ses lèvres ; il était mort.

Huy et Lorrain, immobiles et comme foudroyés eux-mêmes, regardaient cette chose lugubre.

Ils ne dirent pas un mot, ils ne firent pas un mouvement. Le fiacre roulait toujours.

- Ouvrez la portière, leur cria Cournet.

Mais ils ne bougèrent pas, il semblait qu'ils fussent devenus de pierre.

Cournet, dont le pouce s'était enfoncé à vif dans le cou du misérable mouchard, essaya d'ouvrir la portière de la main gauche, mais il n'y réussit pas, il sentait qu'il n'y parviendrait qu'avec la main droite, il fut obligé de lâcher l'homme.

L'homme tomba la face en avant et s'affaissa sur ses genoux.

Cournet ouvrit la portière.

Allez-vous-en, leur dit-il.

Huy et Lorrain sautèrent dans la rue et s'enfuirent à toutes jambes.
Le cocher ne s'était aperçu de rien.

Cournet les laissa s'éloigner, puis il tourna le bouton de la sonnette, fit arrêter le fiacre, descendit sans se hâter, referma la voiture, tira tranquillement quarante sous de sa bourse, les donna au cocher, lequel n'avait pas quitté son siége, et lui dit: Continuez votre chemin.

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Il s'enfonça dans Paris. Place des Victoires, il rencontra l'ancien constituant Isidore Buvignier, son ami, sorti depuis six semaines environ des Madelonnettes, où il avait été enfermé pour l'affaire de la Solidarité républicaine. Buvignier était une des figures remarquables des hauts bancs de la gauche; blond, tondu ras, l'œil sévère, il faisait songer aux têtes rondes d'Angleterre, et il avait plutôt l'air d'un puritain de Cromwell que d'un montagnard de Danton. Cournet lui conta l'aventure; l'extrémité avait été affreuse.

Buvignier hocha la tête.

Tu as tué un homme, lui dit-il.

Dans Marie Tudor, j'ai fait, en pareil cas, répondre par Fabiani :
Non, un juif.

Cournet, qui probablement n'avait pas lu Marie Tudor, répondit :
-Non, un mouchard.

Puis il reprit :

- J'ai tué un mouchard pour sauver trois hommes, dont moi.

Cournet avait raison. On était en plein combat, on le menait fusiller, l'espion qui l'arrêtait était, à proprement parler, un assassin, et certes c'était un cas de

légitime défense. J'ajoute que le misérable, démocrate pour le peuple, mouchard pour la police, était deux fois traître. Enfin le mouchard était le pourvoyeur du coup d'État, tandis que Cournet était le combattant de la loi.

- Il faut te cacher, dit Buvignier, viens-t'en à Juvisy.

Buvignier avait une petite retraite à Juvisy, qui est sur la route de Corbeil. Il y était connu et aimé. Cournet et lui y arrivèrent le soir même.

Mais, à peine débarqués, des paysans dirent à Buvignier : — La gendarmerie est déjà venue pour vous arrêter et reviendra cette nuit. — Il fallait repartir. Cournet, en péril plus que jamais, cherché, errant, poursuivi, se cacha dans Paris à grand'peine. Il y resta jusqu'au 16. Aucun moyen de se procurer un passe-port.

Enfin, le 16, des amis qu'il avait dans le chemin de fer du Nord lui firent avoir un passe-port spécial ainsi conçu :

« Laissez passer M....., inspecteur chargé du service. »

Il résolut de partir le lendemain et de prendre le convoi de jour, pensant, avec raison peut-être, que les convois de nuit devaient être plus surveillés. Le départ avait lieu à huit heures du matin.

Le 17, au point du jour, à la faveur du crépuscule, il se glissa de rue en rue jusqu'au chemin du Nord. Sa haute taille était un danger. Il parvint pourtant à la gare. Les chauffeurs le mirent avec eux sur le tender de la machine du convoi qui allait partir. Il n'avait que les vêtements dont il était couvert depuis le 2, point de linge, pas de valise, quelque argent.

En décembre, le jour vient tard et la nuit vient de bonne heure, ce qui est secourable aux proscrits.

Il arriva à la frontière à la nuit close sans encombre. A Neuvéglise, il était en Belgique, il se crut en sûreté, on lui demanda ses papiers, il se fit conduire chez le bourgmestre et lui dit : Je suis un réfugié politique.

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Le bourgmestre, Belge, mais bonapartiste, cette variété existe, le fit purement et simplement reconduire à la frontière par les gendarmes, avec ordre de le remettre aux autorités françaises.

Cournet se vit perdu.

Les gendarmes belges l'amenèrent à Armentières. S'ils avaient demandé le maire, c'en était fait de Cournet, mais ils demandèrent l'inspecteur des douanes. Cournet vit poindre une lueur d'espoir.

Il aborda l'inspecteur des douanes la tète haute, et lui toucha la main.
Les gendarmes belges ne l'avaient pas encore lâché.

Pardieu, monsieur, dit Cournet au douanier, vous êtes inspecteur des douanes, je suis inspecteur du chemin de fer. D'inspecteur à inspecteur on ne se mange pas, que diable! De braves Belges se sont effarés et me dépêchent à vous entre quatre gendarmes, je ne sais pourquoi. Je suis envoyé par la compagnie du Nord pour refaire quelque part ici le balastage d'un pont qui n'est pas solide. Je viens vous prier de me laisser continuer mon chemin. Voici ma passe.

Il présenta la passe au douanier. Le douanier la lut, la trouva en règle, et dit à Cournet :

- Monsieur l'inspecteur, vous êtes libre.

Cournet, délivré des gendarmes belges par l'autorité française, courut au débarcadère du chemin de fer. Il avait là des amis.

Vite, dit-il, il est nuit, mais c'est égal. Tant mieux même. Trouvez-moi quelqu'un qui ait été contrebandier et qui me fasse passer la frontière.

On lui amena un petit jeune garçon de dix-huit ans, blond, rose, frais, Wallon, et parlant français.

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-En ce cas, dit Cournet, nous prendrons des bâtons.

Ils s'armèrent de gros bâtons en effet. Cournet donna à Henry cinquante francs et lui en promit cinquante autres quand ils auraient franchi la seconde ligne de douane.

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Ce que Henry appelait les « passages », un autre eût appelé cela les obstacles. C'était une succession de casse-cous et de fondrières. Il avait plu. Tous les trous étaient des flaques d'eau.

Un sentier inouï serpentait à travers un dédale inextricable, tantôt épineux comme une bruyère, tantôt fangeux comme un marais.

La nuit était noire.

De temps en temps, loin dans l'obscurité, ils entendaient un chien aboyer. Le contrebandier faisait alors des coudes et des zigzags, coupait brusquenient à droite ou à gauche, et quelquefois revenait sur ses pas.

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