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avaient été transcrites, dit-on, cinq autres décisions secrètes relatives au coup d'État.

Cette page du registre de la cour de cassation existe-t-elle encore à l'heure qu'il est? Est-il vrai, comme on l'a affirmé, que le préfet Maupas se soit fait apporter le registre et ait déchiré la feuille où était l'arrêt? Nous n'avons pu éclaircir ce point; le registre maintenant n'est communiqué à personne, et les employés du grand greffe sont mucts.

Tels sont les faits. Résumons-les.

Si cette cour appelée haute eût été de tempérament à coevoir une telle idée que celle de faire son devoir, une fois réunie, se constituer était l'affaire de quelques minutes; elle eût procédé résolûment et rapidement, elle eût nommé procureur-général quelque homme énergique tenant à la cour de cassation, du parquet, comme Freslon, ou du barreau, comme Martin de Strasbourg. En vertu de l'article 68 et sans attendre les actes de l'Assemblée, elle eût rendu un arrêt qualifiant le crime, lancé contre le président et ses complices un décret de prise de corps, et ordonné le dépôt de la personne de Louis Bonaparte dans une maison de force. De son côté le procureur-général eût lancé un mandat d'arrêt. Tout cela pouvait être terminé à onze heures et demie, et à ce moment aucune tentative n'avait encore été faite pour disperser la haute cour. Ces premiers actes accomplis, la haute cour pouvait, en sortant par une porte condamnée qui communique à la salle des Pas-Perdus, descendre dans la rue et y proclamer, à la face du peuple, son arrèt. Elle n'eût à cette heure rencontré aucun obstacle. Enfin, et dans tous les cas, elle devait siéger en costume, dans un prétoire, avec tout l'appareil de la magistrature; l'agent de police et les soldats se présentant, enjoindre aux soldats, qui eussent obéi peut-être, d'arrêter l'agent; les soldats désobéissant, se laisser traîner solennellement en prison, afin que le peuple vit sous ses yeux, là, dans la rue, le pied fangeux du coup d'État posé sur la robe de la Justice.

Au lieu de cela, qu'a fait la haute cour?

On vient de le voir.

Allez-vous-en.

Nous nous en allons.

On se figure autrement le dialogue de Mathieu Molé avec Vidocq.

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Les représentants, sortis de chez M. Daru, se rejoignirent et se rallièrent dans la rue. Là on délibéra sommairement, de groupe à groupe. On était nombreux. On pouvait en moins d'une heure, par des avertissements à domicile, rien que sur la rive gauche, vu l'urgence, réunir plus de trois cents membres. Mais où se réunirait-on? Chez Lemardelay? la rue Richelieu était gardée; à la salle Martel? c'était bien loin. On comptait sur la 10" légion qui avait pour colonel le général Lauriston; on s'en tint à la mairie du X arrondissement. D'ailleurs le trajet était assez court et l'on n'avait pas besoin de passer les ponis.

On se forma en colonne et l'on se mit en marche.

M. Daru, nous l'avons dit, demeurait rue de Lille, dans le voisinage de l'Assemblée. Tout le tronçon de la rue de Lille compris ente sa maison et le palais Bourbon était occupé par l'in'anterie. Le dernier peloton barrait sa porte; mais il ne la barrait qu'à droite, et non à gauche. Les représentants sortant de

chez M. Daru se dirigèrent du côté de la rue des Saints-Pères et laissèrent les soldats derrière eux. La troupe en ce moment-là n'avait pas d'autre instruction que de les empêcher de se réunir au palais de l'Assemblée; ils purent paisiblement se ranger en colonne dans la rue et partir. S'ils eussent pris à droite au lieu de prendre à gauche, on leur eût fait obstacle. Mais il n'y avait point d'ordre pour cela; ils passèrent à travers une lacune de la consigne.

Ceci donna, une heure après, un accès de colère à Saint-Arnaud.

Chemin faisant, de nouveaux représentants survenaient, et la colonne grossissait. Les membres de la droite étant la plupart logés dans le faubourg Saint-Germain, la colonne se composait presque entièrement d'hommes de la majorité.

Au coin du quai d'Orsay, ils rencontrèrent un groupe de membres de la gauche qui s'étaient ralliés après la sortie du palais de l'Assemblée, et qui délibéraient. C'étaient les représentants Esquiros, Marc Dufraisse, Victor Hennequin, Colfavru et Chamiot.

Ceux qui marchaient en tête de la colonne se détachèrent, vinrent au - Venez avec nous. groupe, et dirent:

- Où allez-vous? demanda Marc Dufraisse.

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-Ensuite nous nous rendrons en corps au palais de l'Assemblée, nous nous ferons jour à travers la résistance, et du haut du perron nous lirons le décret de déchéance aux soldats.

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C'est bien, nous en sommes, dit Marc Dufraisse.

Les cinq membres de la gauche se mirent en marche à quelque distance de la colonne. Plusieurs de leurs amis qui s'y étaient mêlés vinrent les retrouver; et, nous constatons ici un fait sans lui donner plus d'importance qu'il n'en a, les deux fractions de l'Assemblée représentées dans cette réunion improvisée marchèrent vers la mairie désignée sans se confondre, chacune des deux côtés de la rue. Le hasard fit que les hommes de la majorité tinrent la droite de la rue et les hommes de la minorité la gauche.

Personne n'avait d'écharpe. Aucun signe extérieur ne les faisait reconnaître. Les passants les regardaient avec surprise et ne semblaient pas comprendre ce que c'était que cette procession d'hommes silencieux dans les rues solitaires du faubourg Saint-Germain. Une partie de Paris ne connaissait pas encore le coup d'État.

Stratégiquement, comme point de défense, la mairie du X arrondissement était mal choisie. Située dans une rue étroite, dans ce court tronçon de la rue de Grenelle-Saint-Germain qui est entre la rue des Saints-Pères et la rue du Sépulcre, voisine du carrefour de la Croix-Rouge auquel les troupes peuvent

arriver de tant de points différents, la mairie du Xe arrondissement, resserrée, dominée et bloquée de toutes parts, était une chétive citadelle pour la représentation nationale attaquée. Il est vrai qu'on n'avait pas plus le choix de la citadelle qu'on n'eut plus tard le choix du général.

L'arrivée à la mairie put sembler de bon augure. La grande porte cochère, qui donne sur une cour carrée, était fermée; elle s'ouvrit. Le poste de garde nationale, composé d'une vingtaine d'hommes, prit les armes et rendit les honneurs militaires à l'Assemblée. Les représentants entrèrent; un adjoint les reçut avec respect au seuil de la mairie.

Le palais de l'Assemblée est fermé par les troupes, dirent les représentants, nous venons délibérer ici. L'adjoint les conduisit au premier étage et leur fit ouvrir la grande salle municipale. Les gardes nationaux criaient : Vive l'Assemblée nationale!

Les représentants entrés, on fit fermer la porte. La foule commençait à s'amasser dans la rue et criait : Vive l'Assemblée! Un certain nombre de personnes étrangères à l'Assemblée pénétrèrent dans la mairie en même temps que les représentants. On craignit l'encombrement, et l'on mit deux factionnaires à une petite porte latérale qu'on laissa ouverte avec ordre de ne laisser passer que les membres de l'Assemblée qui pourraient survenir. M. Howyn Tranchère se tint à cette porte et se chargea de les reconnaître.

A leur arrivée à la mairie, les représentants étaient un peu moins de trois cents. Ils dépassèrent ce nombre plus tard. Il était environ onze heures du matin. Tous ne montèrent pas immédiatement dans la salle où l'on devait délibérer. Plusieurs, ceux de la gauche en particulier, restèrent dans la cour mêlés aux gardes nationaux et aux citoyens.

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Le doyen d'âge de la réunion était M. de Kératry.

Était-ce lui qui allait présider?

Les représentants réunis dans la grande salle le désignaient.

Lesreprésentants demeurés dans la cour hésitaient.

Marc Dufraisse aborda MM. Jules de Lasteyrie et Léon de Maleville qui étaient restés parmi les représentants de la gauche, et leur dit : - A quoi pensent-ils là-haut? faire présider Kératry! le nom de Kératry effarouchera le peuple absolument comme le mien effaroucherait la bourgeoisie!

Un membre de la droite, M. de Keranflech, survint et crut appuyer l'objection en ajoutant: - Et puis, réfléchissez à l'âge de Kératry. C'est une folie. Mettre un homme de quatrevingts ans aux prises avec cette heure redoutable!

Mais Esquiros se récria :

Mauvaise raison celle-là. Quatrevingts ans, c'est une force.
Oui, bien portés, dit Colfavru. Kératry les porte mal.

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Rien de plus grand, reprit Esquiros, que les grands octogénaires.

Il est beau, ajouta Chamiot, d'être présidés par Nestor.

Non par Géronte! dit Victor Hennequin.

Ce mot mit fin au débat. Kératry fut écarté. MM. Léon de Maleville et Jules de Lasteyrie, deux hommes honorés de tous les partis, se chargèrent de faire entendre raison aux membres de la droite; il fut décidé que le bureau présiderait. Cinq membres du bureau étaient présents; deux vice-présidents, MM. Benoist-d'Azy et Vitet, et trois secrétaires, MM, Grimault, Chapot et Moulin. Des deux autres vice-présidents, l'un, le général Bedeau, était à Mazas, l'autre, M. Daru, était gardé à vue chez lui. Des trois autres secrétaires, deux, MM. Peupin et Lacaze, hommes de l'Élysée, avaient fait défaut; l'autre, M. Yvan, membre de la gauche, était à la réunion de la gauche, rue Blanche, qui avait lieu presque au même moment.

Cependant un huissier parut sur le perron de la mairie et cria comme aux plus paisibles jours de l'Assemblée : Messieurs les représentants, en

séance.

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Cet huissier, qui appartenait à l'Assemblée et qui l'avait suivie, partagea son sort toute cette journée, y compris la séquestration au quai d'Orsay.

A l'appel de l'huissier, tous les représentants qui étaient dans la cour, et

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