Page images
PDF
EPUB

NÉGOCIATION

AVEC

SAINT-DOMINGUE.

A l'époque de la Restauration, en 1814, Saint-Domingue se trouvait séparé de la France depuis vingt ans.

Cette colonie avait été la première à se ressentir du système d'après lequel se dirigeait la Révolution française. Un grand nombre d'habitans propriétaires s'étaient prononcés pour les principes que l'on proclamait dans la mèrepatrie. De même que les partisans de la Révotion de France, ils avaient cru qu'on pouvait parvenir à la réforme des abus, et profiter des avantages que présentait une si difficile entreprise. Ils ne voyaient pas que, dans un pays

soutenu par l'esclavage seul, et où l'on comptait six cent mille noirs, quarante mille hommes de couleur et cinquante mille blancs, dès qu'on détruisait le prestige qui faisait toute la force des derniers, un coup mortel était porté à leurs intérêts et à leurs prétentions. Ils attaquèrent les droits du monarque; l'autorité du gouverneur et de l'intendant fut méconnue. Saint-Domingue, suivant l'exemple de la France, voulut avoir son assemblée délibérante; et celle de Saint-Marc trouva ses plus ardens réformateurs parmi les principaux Colons, comme l'Assemblée constituante eut une partie de ses orateurs les plus imprudens parmi les grands seigneurs et les riches propriétaires.

Ce fut à cette réunion de Saint-Marc, que, pour la première fois, on entendit prononcer le mot d'indépendance: les propriétaires en menaçaient la métropole, impatiens de se gouverner eux-mêmes, en secouant une domination sans laquelle, cependant, leurs plantations ne pouvaient subsister.

La conduite de l'assemblée de Saint-Marc finit par lasser le gouverneur. Il employa la force pour terminer les débats, et les députés se hâtèrent de se réfugier à bord du vaisseau royal le Léopard, qui les ramena en France.

Avant cette époque, un club colonial s'était déjà établi à Paris, dans l'hôtel Massiac (1). Composé de riches propriétaires de la colonie, le club Massiac reçut avec les plus vives démonstrations les députés expulsés de l'assemblée de Saint-Marc. Parmi les membres du club, figuraient quelques-uns des personnages qui ont déclamé depuis, avec le plus de violence, contre tout projet de traité entre les ministres du Roi et ce gouvernement d'Haïti, qui n'eût jamais pu s'établir, si des Colons de Saint-Domingue n'avaient pris l'initiative. Un fait qui n'est pas moins remarquable, c'est qu'au moment des premiers essais d'insurrection dans la colonie, ce furent les hommes de couleur, sous les ordres de M. le marquis de Fontanges et du gouverneur, qui défendirent avec une rare intrépidité le gouvernement de la métropole, contre les prétentions des planteurs et des blancs.

La conduite des Colons devait porter ses fruits, dans une contrée qu'on ne pouvait maintenir sous le joug des lois existantes, dès que

(1) Aujourd'hui, la maison de M. Ternaux, place des Victoires, No. 6.

l'on donnait aux esclaves l'exemple de l'insubordination. Prononcer les mots d'indépendance et de liberté, dans une semblable position, c'était parcourir ses propriétés une torche à la main; aussi l'incendie ne tarda-t-il

pas à

éclater. Les mulâtres, voyant que les blancs tentaient d'arracher, à main armée, des concessions au gouvernement du Roi, crurent pouvoir élever contre eux des prétentions de la même nature; et ils ne consentirent plus à supporter l'état de réprobation où le système colonial avait tenu les hommes de couleur. Ils parlèrent de droits politiques, et ils finirent par les demander avec énergie. Les blancs commencèrent alors à voir l'abîme dans lequel on s'était précipité. Obligés de tourner leurs armes contre des principes dont ils n'avaient pas calculé toutes les conséquences, ils soutinrent avec courage la lutte où ils s'étaient engagés et dans laquelle ils devaient nécessairement succomber. Les mulâtres firent un appel aux noirs. L'insurrection s'étendit partout avec la rapidité de l'éclair. On vit des noirs quitter la case de l'esclave, pour se revêtir des insignes du général, et rivaliser avec les hommes les plus habiles dans l'art de la guerre.

C'est de cette époque, entr'autres, que datent les généraux Biassou et Jean-François, qui, après une guerre bien dirigée, consentirent à se retirer, et trouvèrent en Espagne, non-seulement un asyle, mais un rang honorable. On leur conserva leur grade, et ils furent portés sur l'état militaire de cette puissance, avec leur traitement d'officiers-généraux, jusqu'à leur mort, qui arriva peu d'années avant la restauration.

Dans cette circonstance, comme en beaucoup d'autres, l'Espagne sembla se montrer favorable à l'insurrection des noirs et à l'indépendance de Saint-Domingue. Elle fut bien éloignée d'user envers la France de la réserve dont nous avons fait preuve à son égard, en ce qui concerne ses colonies de l'Amérique.

Quoi qu'il en soit, les partisans de la Révolution française profitèrent habilement de l'élan que ne pouvaient manquer de prendre vers la liberté les nègres esclaves. Il ne fut pas difficile d'assurer le succès d'une guerre soutenue dans l'intérêt de six cent mille noirs contre cinquante mille blancs. Ces noirs reçurent bientôt des armes et des conseils : de sanglans combats, livrés chaque jour, amenèrent la ruine des blancs. Ce furent des guerres cruelles

« PreviousContinue »