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Dessalines avait succédé à Toussaint, et il s'était mis à la tête de l'insurrection, en prenant le titre d'empereur. Le nom de ce monstre exécrable est encore détesté aujourd'hui, même parmi ceux qui furent ses complices, ou bourreaux sous ses ordres.

Pétion, homme de couleur, ne put voir sans frémir les crimes qui ensanglantaient son pays. Dans l'intérêt de sa caste, il s'insurgea contre le féroce Dessalines. Maître du Port-au-Prince, et de la partie du sud, il en vint aux mains avec l'armée du tyran. Celui-ci, dans plusieurs rencontres, battit les troupes de Pétion, et s'empara du Port-au-Prince: mais un jeune homme, dont l'âge touchait encore à l'enfance, tua Dessalines au milieu des siens.

Christophe le remplaça: l'humanité ne gagna pas beaucoup au change. Ce nouveau chef se retira dans le nord, avec l'armée dont il venait de prendre le commandement. Pétion, qui se trouvait lui-même en déroute, ne songea pas à l'inquiéter au moment de la retraite.

Une négociation s'ouvrit entre les deux généraux, qui gouvernaient Saint-Domingue. Ils arrêtèrent qu'on s'occuperait d'une constitution républicaine. Pétion, renonçant à ses droits, consentit à reconnaître Christophe

comme président de la nouvelle république. Mais celui-ci refusa et resta dans le nord avec son armée. Il se porta ensuite sur le Portau-Prince. Pétion, qui voulut s'opposer à sa marche, fut attaqué inopinément, battu, et forcé de se retirer seul.

Boyer rallia l'armée sous les murs du Portau-Prince, et fit tête à Christophe, pendant plusieurs jours. Pétion arriva bientôt avec de nouvelles troupes: Christophe, forcé de prendre la fuite, se rendit à Saint-Marc et repoussa toute idée de république; c'est là qu'il se donna le titre de roi d'Haïti.

Pétion, fut nommé par acclamation président de la république. Ce fut alors qu'on vit s'établir dans le nord une monarchie absolue, et une république dans le sud et l'ouest.

Tel était l'état des choses, quand Louis XVIII revint en France, au mois d'avril 1814. Un des premiers soins de son gouvernement devait être de s'occuper de Saint-Domingue: le seul intérêt du commerce l'aurait exigé, quand même le sort des Français dépouillés n'eût pas commandé quelques mesures.

M. Malouet fut le premier des ministres qui s'occupèrent de cet objet: la France aurait gagné beaucoup à ce qu'il eût laissé une tâche

si importante à ses successeurs. Ce ministre avait été doué d'une âme forte, grande et généreuse; mais il se trouvait dans un état de décrépitude absolue, quand il fut appelé au conseil. Obligé de céder à l'influence bureaucratique, pour la conduite des affaires, il les laissa tomber dans les mains de quelques hommes qui firent preuve d'une incapacité bien funeste. On chargea des commissaires ineptes et méprisables de porter à Saint-Domin-. gue les paroles de paix du ministre, et on leur donna des instructions aussi étranges que le choix des négociateurs.

Le premier de ces diplomates, le sieur Dauxion-Lavaïsse, avait le grade de colonel et les mœurs d'un espion.

Le second, nommé Draverman, était un personnage obscur, subalterne et ignorant, sur la place de Bordeaux.

Le troisième, une espèce d'aventurier, a continué de rester inconnu jusqu'aujourd'hui. On ne sait que son nom, son origine et sa triste fin. Le malheureux Franco-Medina était d'une famille espagnole.

Les directeurs de l'opération comprirent, sans doute, que c'eût été blesser trop ouverte ment les convenances, que d'expédier des com

missaires de cette espèce par des vaisseaux du Roi on aurait trouvé, cependant, assez naturel que S. M. en faisant connaître ses intentions royales à une colonie de la France, y envoyât des agens avec son pavillon. Mais, dans cette mission, tout devait être absurde les individus chargés de po uvoirs du ministre français eurent ordre de passer par l'Angleterre: ils s'embarquèrent sur un paquebot anglais, à Falmouth; et, après avoir touché à la Barbade, à Sainte-Lucie et à Curaçao, ils débarquèrent à la Jamaïque.

Dauxion-Lavaïsse, chef de la mission, prit le titre d'agent principal du ministre de la marine et des colonies; et il écrivit en cette qualité au président Pétion, sans expliquer l'objet de son voyage.

Aussitôt que Pétion eut connaissance de l'arrivée des commissaires français, il se hâta d'inviter M. Dauxion-Lavaïsse, resté à Kingston avec M. Draverman, à se rendre au Port-auPrince; il fréta même un bâtiment pour prendre l'envoyé, qui fut reçu avec tous les égards dûs à ce caractère. On continua la correspondance à Saint-Domingue.

Cette correspondance de Dauxion-Lavaïsse est sans dignité, comme sans raison. Ses let

tres à Christophe sont encore plus ridicules (1). Dauxion-Lavaïsse y retrace les avantages assurés à ceux qui se soumettraient les premiers à l'autorité de la France.

« Le Roi, dit-il, qui veut que partout le bien » se prenne où il peut se trouver, agira, n'en » doutez pas, comme les monarques d'Espagne » et de Portugal, qui, par des lettres de blancs, » donnent à un individu, de quelque couleur » qu'il soit, l'état d'un individu blanc. Sa puis»sance royale qui a égalé les Ney, les Soult, >> les Suchet, les Dessoles aux Montmorency » et aux Rohan, par un acte de munificence » et d'équité auquel la France applaudit, peut également rendre un homme noir, ou jaune, >> semblable devant le trône et la loi, et dans » les habitudes sociales, à l'homme le plus » blond de la Picardie ».

»

Le féroce Christophe, peu touché d'une offre si séduisante, fit épier par des émissaires l'arrivée du troisième agent du ministre Malouet. Franco-Medina, débarqué dans la partie espagnole de l'île ( à Monte-Christe), fut enlevé sur

(1) Ces pièces n'ont jamais été publiées en France. Nous les donnons ci-après, sous la lettre A.

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