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Haïtiens, toujours fidèles à la France, combattaient pour elle, sous son pavillon, la fesaient triompher à 2000 lieues, et ne cessaient de lui donner des preuves d'un attachement sans exemple, lorsqu'à l'époque de la paix d'Amiens elle fit une expédition, qui devait fixer le bonheur dans cette belle contrée et reconnaître les services rendus à la mère-patrie par une portion d'hommes, qui seuls et livrés à eux-mêmes, avaient pendant quatorze années soutenu la gloire des armes françaises : expédition de Cannibales, où les Colons et les Français rivalisèrent à l'envi dans la soif ardente du sang des malheureux Haïtiens! Les armes dont ils venaient de se servir pour faciliter la prise de possession de l'armée française, leur étaient arrachées des mains, et ils étaient entraînés dans des prisons flottantes, qualifiées du nom d'étouffoires, suffoqués, noyés, ou pendus, bayonnettés, brûlés, dévorés par des chiens dressés à cet horrible manège et transportés à grands frais de la côte espagnole pour cet abominable usage! Chaque nuit couvrait de ses ombres ces terribles exécutions; et le jour était consacré à réunir indistinctement les victimes. Il suffisait d'avoir porté les armes, soit comme officier ou soldat, d'avoir paru d'une manière quelconque sur le

théâtre de la révolution, pour recevoir la mort. Le sexe, l'enfance, la vieillesse n'arrêtaient pas la fureur de ces monstres! Et quand on manquait de proie, on entrait dans les maisons, pour former la chaîne nocturne par les domestiques ou les premiers venus! Les citoyens dans les villes étaient privés de manger du poisson, pour ne pas se nourrir de leur propre sang! Et quand aux mêmes époques les maladies exerçaient leurs ravages sur l'armée française, exposée à la vengeance et au ressentiment de ceux qui, pour se soustraire au supplice, se réfugiaient dans les bois et la guerroyaient, on voyait les remparts garnis de ces mêmes Haïtiens qui la défendaient de leurs bras et de leur courage, jusqu'au moment où leur tour de périr arrivât! Tels étaient, général, les plaisirs et les délassemens de Leclerc, de Rochambeau, de ces colons propriétaires qui les excitaient, et qui, dans la crainte qu'ils ne fussent suspendus, provoquèrent, par une adresse, la nomination de Rochambeau à la place de capitaine-général. Leurs vœux furent exaucés; hélas, peut-être étaient-ils ceux de la France! Ce fut le signal où la désertion des Haïtiens dans les bois devint presque générale; ce fut aussi celui où les tortures redoublerent. Je pris moi-même mon

parti, pour me soustraire à la mort. Quel était notre espoir? Pouvions-nous croire à la possibilité de repousser les Français ? Mais aussi quelle était notre alternative? Pouvions-nous hésiter dans le parti que nous avions à prendre? J'ose croire qu'il nous justifie: Dieu et notre persévérance ont fait le reste.

A l'évacuation de l'armée française, nous sommes rentrés dans les villes: tout était détruit; il a fallu tout révivifier. Nous parlera-ton de nos crimes, de notre vengeance? Qu'on lise l'histoire de nos malheurs, et que l'on nous juge j'ai vu, je crois, quelque part, dans les annales lugubres du monde, que dans les pays où régnait l'esclavage, quand les esclaves pourvaient parvenir à briser leurs chaînes, ils en forgeaient des armes contre leurs oppresseurs; c'est ce que nous avons fait la guerre venait de se rallumer entre la France et l'Angleterre. Isolés de toutes les nations, obligés de nous administrer, notre premier acte a été de proclamer l'indépendance; il était naturel, surtout dans ces circonstances; nous nous sommes donné une constitution, des lois fixes et positives; depuis onze années, nous nous dirigeons nous-mêmes; les cadres des emplois sont tous remplis par des Haïtiens régénérés; nous

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avons une armée; notre pavillon a flotté et a été respecté sur les mers; nous nous sommes trouvés dans la nécessité de nous mettre à la

hauteur de notre état et de nos destinées; nous enfin nous

avons respecté le droit des

gens;

pouvons, sans trop avancer, dire que nous avons joué un rôle parmi les puissances coalisées contre la France révolutionnaire, en aidant, par notre commerce, nos approvisionnemens dans les Antilles, notre attitude, d'une manière plus ou moins directe, leurs opérations, et nous nous associons à la gloire d'avoir coopéré aux résultats qui viennent de se passer. Que cet amour-propre nous soit permis.

Je demanderai à V. Ex. si nous pouvons rétrograder; si nous pouvons nous départir des avantages précieux que nous nous sommes procurés; de la liberté, dans toute l'étendue de sa signification; de l'égalité parfaite de nos droits, et de la garantie que nous tenons, par les armes qui sont dans nos mains.

<< Toutefois les Haïtiens ont été si souvent et » si cruellement trompés, qu'un esprit de dé» fiance presque indestructible s'est établi par

>> mi eux »>.

C'est un axiome sans réplique; et j'ajouterai

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que cet esprit de défiance a sans cesse été nourri par les écrits, les plans d'attaque du pays et de proscriptions, qui n'ont cessé d'inonder la France et dont plusieurs sont parvenus jusqu'à nous. Les P. A. etc. etc. tous Colons effrénés, dans leur rage impuissante ont calculé les termes et les moyens à employer pour nous subjuguer; non contens de désirer la possession de leurs biens, ils ont encore disposé des nôtres et ont osé les faire figurer dans un chapitre de recettes coloniales: peut-il exister encore des rapports entre nous et de tels hommes? Aucune confiance peutelle renaître? où étaient-ils? à qui ont-ils lié leur fortune? Certainement ils n'étaient pas en Angleterre avec Louis XVIII; mais bien aux pieds de l'idole, à brûler l'encens; l'encensoir leur a échappé des mains, mais la cassolette leur est restée; elle est pour nous la boîte de Pandore..... Plus heureux que les émigrés, prétendraient-ils rentrer en possession de leurs propriétés, lorsque les compagnons fidèles de leur souverain ont été forcés à y renoncer?

V. Ex. me fait l'honneur de me dire que les temps ont bien changé; quelle différence! quel contraste entre Louis XVIII, et le gouvernement précédent! Je suis bien

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