Page images
PDF
EPUB

ce territoire, avec tous les papiers dont il était porteur, et on le conduisit au Cap.

Les instructions de M. Malouet furent trouvées sur ce malheureux, avec des notes qui étaient bien faites pour irriter les esprits (1). Médina fut mis aux fers; il subit un interrogatoire (2). On exposa le prisonnier pendant plusieurs heures dans l'église paroissiale, tendue en noir. Là, on le fit assister à une messe de Requiem; cette cérémonie terminée, il fut livré aux geoliers, et après plusieurs semaines de souffrance, il périt en prison.

Christophe publia toutes les pièces qui avaient motivé un pareil acte de barbarie; les instructions, les notes, l'interrogatoire, il envoya tout à Pétion: celui-ci, qui avait déjà rompu avec Dauxion-Lavaïsse, lui en présenta le recueil. Dauxion avoua les pièces. Pétion, ne voulant pas abuser de la position de cet agent ministériel, ni exercer le droit rigoureux de le traiter en espion, se contenta de lui notifier que désormais les intentions de la France

(1) Voyez ces pièces, lettre B.

(2) L'interrogatoire de Medina se trouve ci-après, sous la lettre C.

étant connues, la république d'Haïti allait se préparer à la défense; et il le fit reconduire à Kingston, par le même navire qui avait été le

chercher.

C'est ainsi que se termina une mission à laquelle on peut attribuer la perte de toutes nos espérances pour cette colonie.

Quand le Roi eut connaissance de ce qui s'était passé, il en témoigna son mécontentement et donna ordre au ministre de la marine de désavouer publiquement tout ce qu'on avait fait (1).

On n'alla pas plus loin, pour ce qui concerne Saint-Domingue, à l'époque de la première restauration. Les cent jours empêchèrent nécessairement toutes les suites de cette affaire : on cessa même de s'en occuper jusqu'en 1816.

M. Dubouchage, devint ministre de la marine; et la direction des colonies fut confiée à un homme éclairé, dont les vastes connaissances, en matières commerciales surtout, lui firent apprécier les avantages que pouvait présenter encore Saint-Domingue. M. Portal s'oc

(1) Ce désaveu a été inséré dans le Moniteur du 10 janvier 1815. Voyez, l'article textuellement, après l'interrogatoire de Médina; pièces justificatives, lettre C,

cupa d'abord de réparer les fautes que l'inexpérience de son prédécesseur avait laissé commettre. Il sut toujours se défier des conseils de ces anciens Colons, dont le radotage politique ne pouvait admettre que Saint-Domingue n'était plus ce qu'il fut autrefois.

Cependant M. Portal ne se trouva pas médiocrement embarrassé par les démarches faites sous le ministère précédent: car, ce qu'on appelle une affaire gâtée sera toujours plus difficile à reprendre, qu'une affaire neuve n'est difficile à conclure. Il fallait persister, avant tout, à considérer comme étrangères à l'administration du Roi les démarches qu'on avait essayées sous M. Malouet. Le désaveu publié dans le Moniteur du 10 janvier 1815 indiquait assez que la mission de 1814 était un acte hasardé avec une légèreté déplorable: cette mission n'avait, d'ailleurs, ni le caractère ni les formes qui appartiennent aux actes d'un grand gouverne

ment.

Le ministère prit le parti d'envoyer à SaintDomingue des commissaires au nom du Roi, pour tenter de rattacher cette colonie à la métropole.

Le Roi nomma plusieurs commissaires ; mais on a vu, depuis, par tout ce qui s'est passé,

que l'âme de la négociation était M. Esmangart, conseiller d'état attaché à la marine, et qui avait une connaissance particulière des questions coloniales et de cette législation. M. le vicomte de Fontanges, officier général, chef apparent de la mission, avait commandé à Saint-Domingue, dans le principe de la révolution; il s'était acquis l'estime et la reconnaissance des hommes de couleur, par son esprit conciliant et par son zèle à les protéger contre les vexations et les injustices. Les autres commissaires n'ont paru en aucune manière.

Les négociateurs partis de Brest, vers la fin d'août, à bord de la frégate de quarante canons la Flore, et ayant à leur suite deux bâtimens légers de vingt canons, entrèrent au Port-au-Prince, dans les premiers jours d'octobre. On voit, par leur première lettre (1) que, dès le moment de leur arrivée, ils entamèrent la négociation avec le président Pétion.

(1) Les pièces relatives à cette seconde négociation furent publiées à Saint-Domingue, par ordre du président Pétion on n'en a pas encore imprimé textuellement le recueil en France. Nous le donnons à la fin du volume, sous la lettre D.

L'on ne connaît de cette affaire que la correspondance qui fut imprimée alors; mais aucun rapport des commissaires n'a été publié : on ignore donc absolument l'état dans lequel ils ont trouvé le pays, ainsi que les dispositions du gouvernement de Saint-Domingue et des habitans. Il est étonnant que le ministère français n'ait rien fait paraître, à cet égard, ni même rien communiqué aux chambres. En Angleterre, on aurait forcé les ministres à s'expliquer sur des matières si importantes. Mais en France, dans notre gouvernement constitutionnel, il est reçu que les ministres nous apprennent tout juste ce qu'ils ne veulent pas cacher, et nous ne savons ordinairement que par les débats du parlement d'Angleterre, ou par les journaux de ce pays, les choses qui touchent de plus près à nos intérêts et qui se passent chez nous.

L'on voit, par la correspondance de MM. Esmangart et de Fontanges, avec Pétion, que le but principal de la mission était de faire rentrer la colonie sous la souveraineté du Roi. Mais le moment se trouvait peu favorable pour une pareille proposition. L'arrivée des négociateurs avait eu lieu trois ou quatre jours avant celui qui était fixé dans la république

« PreviousContinue »