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su de Saint-Domingue : alors nos commerçans diminuèrent leurs envois, et ils ne trouvèrent plus, dans leurs faibles cargaisons, les moyens de se procurer du retour. Encore si le gouvernement, avant de donner suite à ses négociations, eût exigé, comme préliminaire indispensable, que provisoirement les droits comme les tarifs seraient déterminés, l'étranger n'aurait pas trouvé, sans doute, le moindre frêt à bord de nos navires, et toutes nos affaires auraient prospéré. Mais les Colons de la Martinique n'auraient pas été satisfaits. Il est reconnu, cependant, que dans l'état où se trouvent les Antilles, celles de nos anciennes possessions que nous y avons conservées nous sont plus onéreuses qu'utiles, et qu'elles coûtent chaque année à la métropole une mise dehors de plus de deux millions, et ensuite, par la réduction de nos douanes, en faveur des productions de ces îles, une perte de plus de douze millions. Malgré tant de sacrifices, le commerce interlope se fait presqu'ouvertement, et les Colons élèvent chaque jour de nouvelles réclamations.

Au milieu de toutes ces difficultés, et depuis lá suppression de l'ordonnance qui nous présentait un véritable avantage, on ne vendit

plus que pour l'étranger; les cafés n'entrèrent plus qu'en entrepôt, et le gouvernement qui voulait percevoir 10 p. cent au lieu de 7, finit par ne plus rien recevoir. En 1824 encore, il partait, chaque semaine, au moins, un vaisseau pour Saint-Domingue; dans les six premiers mois de 1825, on n'en a presque plus expédié tout s'est vendu pour l'exportation. Il serait curieux de voir la différence qu'on a éprouvée dans la perception des douanes.

Si, d'une part, le fisc y a perdu, les consommateurs, à coup sûr, n'y ont pas gagné; c'est un procès qui a tourné tout à l'avantage des Colons de la Martinique et de la Guadeloupe; ils ont réussi à établir le principe que la métropole est faite pour les colonies.

L'on ignore ce qui s'est passé entre le gouvernement français et celui d'Haïti, depuis le retour des commissaires en France jusqu'au moment où une révolution, provoquée par la barbarie de Christophe, amena la chûte de ce tyran.

La seule chose remarquable dans cet intervalle a été la mort de Pétion et l'avénement de Boyer à la présidence. L'arrivée des derniers commissaires avait fait une impression profonde sur Pétion. Son refus des avantages

que proposaient les commissaires, laissait peser sur sa tête une responsabilité qui l'effrayait. Ce refus, cependant, partait d'un cœur droit; personne ne l'accusera jamais d'avoir agi par d'autres motifs que ce qu'il croyait le bien de son pays. Mais, depuis ce moment, il tomba dans un état complet de consomption, qui le fit bientôt périr (1). Sa mort, qui excita des regrets universels, aurait pu amener des troubles dans un pays nouvellement constitué; mais l'intérêt de la conservation commune fit

(1) La mémoire de cet excellent homme sera toujours en vénération chez le peuple dont il fut le père plutôt que le chef. On lui a élevé un tombeau de marbre, sur la place du gouvernement, au Port-au-Prince. Ce monument est adossé au jeune palmier, symbole de la liberté, que Pétion avait planté de ses mains. On y descend par quelques gradins. Là sont apportées et renouvelées, chaque jour de l'année, des fleurs de franchipaniers, par les soins de la veuve de Pétion, secondée, dans ce culte pieux, par tous les habitans de la capitale et des mornes environnans. Le peuple a décerné des pensions considérables à la famille du fondateur de la constitution haïtienne. Les républiques ne sont pas toujours ingrates. Voyez l'éloge funèbre de Pétion, sous la lettre G.

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comprendre à chacun, que la discorde ouvrirait l'entrée de la république à Christophe ou à la France. Boyer qui commandait en chef l'armée de l'État, prit l'initiative sur la marche que devait suivre le gouvernement. Il convoqua le sénat, pour qu'on eût à procéder à l'élection du successeur de Pétion. Plusieurs généraux pouvaient prétendre à cette dignité, soit par l'ancienneté de leur grade, soit par le nombre de voix qu'ils comptaient pour eux dans le sénat. Les noirs désiraient de voir porter à cette présidence un homme de leur couleur. Boyer était appuyé surtout par les mulâtres, et les noirs favorisaient Gédéon, général de division, commandant à Léogane; depuis long-temps on paraissait croire qu'il existait quelque mésintelligence entre lui et Boyer. Appelé comme sénateur à donner son suffrage, Gédéon avait, par sa position, de grandes facilités pour soutenir ses droits. Mais l'amour du bien public l'emporta chez lui sur toute autre considération; il prit la parole dans l'assemblée, et dit que l'opinion qu'il allait émettre serait d'autant moins suspecte, qu'on semblait ne pas le croire parfaitement d'accord avec Boyer; mais que, dans une circonstance d'un si haut intérêt pour la république, chacun devait laisser

decôté ses affections particulières; qu'il avait des droits à la présidence, mais qu'il reconnaissait que Boyer avait été constamment le conseil et l'ami de Pétion; que c'était à eux que la répu blique devait l'état de prospérité où elle se trouvait ; qu'ainsi il reconnaissait Boyer comme l'homme le plus capable de conduire les affaires de l'État; qu'en conséquence il lui donnait sa voix, en invitant tous les sénateurs, qui pouvaient avoir eu d'autres intentions, à ne plus songer à Gédéon, que pour voter comme lui. Ce mouvement généreux valut à Boyer d'être élu par acclamation. Les nations européennes, dans les plus beaux siècles de leur histoire, pourraient citer peu d'exemples comparables à ce trait du brave et noble Gédéon.

Les cruautés de Christophe avaient tellement indisposé les chefs de son armée, que tous cherchaient à secouer le joug. Un noir, nommé Richard, créé duc de la Marmelade (1) et

(1) Pour ne pas interrompre l'exposé des faits qui ont rapport aux négociations, on renvoie aux pièces justificatives, lettre H, les détails curieux qu'on a recueillis sur la cour du roi Christophe.

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