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pour conclure le traité. Certes, rien ne paraît plus positif; et tout ce qui a été publié démontre que les bases dont parle M. Aubert sont bien celles dont le ministère de cette époque voulait partir, pour terminer l'affaire.

L'on ne voit pas, dans la correspondance publiée par Boyer, au mois d'octobre 1824, qu'il ait rien répondu à M. Aubert. Nécessairement, cependant, la première lettre de cet officier a dû recevoir une réponse : tout l'indique dans la seconde lettre de M. Aubert, puisqu'il dit: Ayant acquis la conviction que cette base (la souveraineté) ne peut pas étre acceptée. Comment a-t-il cette certitude? Il ne peut l'avoir que par le président Boyer.

Le recueil des pièces imprimées au Port-auPrince nous fait connaître la réponse du président à M. Esmangart. Elle est claire et positive (1). Boyer annonce que la République ne peut se départir de la demande de la reconnaissance pure et simple de l'indépendance; qu'il ne saurait porter la moindre atteinte à cette indépendance; soit en admettant la suzeraineté directe ou indirecte, soit en se plaçant sous la

(1) Voyez la lettre N.

protection d'aucune puissance. Pour prix de cette indépendance reconnue, il offre des indemnités, comme son prédécesseur, et des avantages commerciaux.

Il paraît donc bien prouvé qu'en mai 1821, on était convenu d'abandonner la question de la souveraineté de la France, et de réclamer seulement la suzeraineté, ou le droit de protection. Ce point fixé jette une grande lumière sur les négociations subséquentes.

Depuis mai 1821 jusqu'en mai 1823, il se trouve encore une lacune de deux ans, pendant lesquels on ne voit pas ce qui a été fait. Les deux gouvernemens semblent s'être tenus sur la réserve; Boyer ne publie rien qui puisse donner à penser que les négociations aient continué: mais la collection imprimée nous apprend qu'il fit à son tour une tentative auprès du gouvernement français, pour les reprendre.

En effet, le président publie sa lettre adressée à un général français, Boyé, invité par lui à se rendre en Europe; il lui donne les pouvoirs nécessaires pour conclure un traité de commerce ayant pour base la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti (1).

(1) Voyez cette pièce, lettre 0.

Ce général, comme on vient de le dire, n'est pas Haïtien, mais un officier français, que des raisons particulières ont obligé de chercher du service en pays étranger: il se trouve employé en Russie. Autrefois attaché à l'armée du général Lecler à Saint-Domingue, il avait eu l'occasion, pendant cette guerre de désastres', de rendre service à Boyer, président actuel d'Haïti, et à plusieurs autres officiers de couleur, qui lui en ont toujours conservé de la reconnaissance. Cet officier se rendit à SaintDomingue au mois de janvier 1823. On ignorait qu'il y vînt pour traiter des affaires politiques. Il partit avec un vaisseau richement chargé de café. Tout le monde fut persuadé que c'était le but principal de son entreprise.

Il est remarquable qu'un officier-général au service de la Russie, l'un des généraux de la Sainte-Alliance, ait été le premier fondé de pouvoirs d'un État indépendant de l'Amérique, et qu'on l'ait chargé de soutenir les droits d'une république nouvelle.

Dans sa lettre, écrite de Hollande, à M. de Clermont-Tonnerre, alors ministre de la marine, ce général annonce qu'il est arrivé à Amsterdam, le 4 juillet, après cinquante jours de traversée : il rend compte de l'objet de sa

mission, et propose que les ministres français envoient, soit à Amsterdam, soit à Bruxelles, soit à Hambourg, quelqu'un qui puisse entrer en négociation avec lui (1). M. Esmangart fut chargé d'aller à Bruxelles, entendre les propositions de l'envoyé d'Haïti.

Les conférences ne furent pas longues. Le compte rendu par le général au président Boyer et publié à Saint-Domingue, ainsi que les lettres de M. Esmangart, nous apprennent d'abord que celui-ci a rompu les négociations à Bruxelles, parce que l'envoyé d'Haïti se refusait à traiter la question d'indemnité, qui devait être, selon M. Esmangart, le sine quâ non de tout arrangement. On voit ensuite, d'une manière bien positive, que si le général Boyé avait voulu traiter des indemnités, la convention se serait conclue à Bruxelles. M. Esmangart annonce même au président que s'il veut revenir aux principes posés par Boyer lui-même en 1821, et accorder les indemnités et les avantages commerciaux qu'il a offerts, on ne demandera pas autre chose, et

(1) Pièces justificatives, lettre P.

que

le gouvernement du Roi sera toujours disposé à l'entendre (1).

Voilà donc encore un grand pas de fait, dans les concessions, pour arriver à un arrangement.

On ne doit pas perdre de vue que lors de la mission de MM. de Fontanges et Esmangart en 1816, ces deux envoyés rompent les négociations, parce que Pétion ne veut pas reconnaître la souveraineté de la France.

Lors du message de M. du Petit-Thouars, la France annonce qu'elle abandonnera cette souveraineté, qu'elle se contentera de la suzeraineté, ou du droit de protection. Boyer refuse d'accéder à cette demande, et il n'offre que des indemnités et des avantages commerciaux. Alors, à ce qu'il paraît, le gouvernement français garde le silence pendant deux ans: rien, du moins, ne transpire sur ce qui a pu se passer dans cet intervalle.

Lors de la négociation de Bruxelles, en 1823, entamée au nom du président Boyer, celui-ci semble retrograder; ou du moins son négociateur ne parle plus de donner des indemnités,

(1) Pièces justificatives, lettre Q.

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