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et ne consent plus qu'à des avantages commer ciaux. Les deux négociateurs se séparent au bout de quatre jours: et M. Esmangart, en informant le président des motifs de cette troisième rupture, lui dit, comme on vient de le remarquer plus haut, que si le gouvernement d'Haïti veut autoriser quelqu'un à traiter sur les bases posées par lui-même en 1821, en un mot d'accorder une indemnité à la France et des avantages pour son commerce, on est prêt à conclure sur cette seule base; il n'est donc plus question ni de suzeraineté ni de droit de protection.

Voilà donc le point où en étaient les choses quand Boyer consentit à envoyer des commissaires, pour signer le traité d'après les bases indiquées.

Ces commissaires, M. Larose sénateur et M. Rouannez, alors notaire du gouvernement d'Haïti, et aujourd'hui sénateur, arrivèrent au Havre. M. de Fontanges était décédé en 1821. Ils croyaient trouver M. Esmangart à St.-Lô, mais il venait de quitter la place de préfet de la Manche, pour aller administrer le département du Bas-Rhin. Les commissaires se rendent donc à Strasbourg et c'est là que l'on suit les négociations. Mais dès ce moment tout

devient obscur, et on ne sait plus à quoi s'en tenir. La correspondance de M. Esmangart est très-brève, et toute diplomatique: il s'étudie en quelque sorte à ne rien dire. Tout semble s'être passé en conversations avec les commissaires d'Haïti. Bientôt l'on se rend à Paris, pour se trouver plus près des ministres, et la marche de la négociation n'en devient ni plus claire ni plus rapide. Suivant le rapport des deux envoyés, qui se trouve à la fin des pièces imprimées par ordre de Boyer, le motif de la rupture aurait été, d'une part, leur exigeance à vouloir que la France déclarât que dans le traité avec la république d'Haïti, reconnue comme état indépendant, on comprenait la partie espagnole de Saint-Domingue; et, d'autre part, la réserve qui était mise d'une souveraineté extérieure pour la France, dans le projet de l'ordonnance royale qui aurait concédé aux Haïtiens la souveraineté intérieure, projet d'ordonnance qu'on ne nous fait pas connaître et dont la rédaction ne semble pas même avoir été communiquée aux envoyés (1).

Le premier de ces motifs a quelque chose

(1) Voyez le rapport, sous la lettre R.

de plausible. Comment la France aurait-elle pu reconnaître la légitimité de la possession de la partie espagnole? elle n'avait pas le droit de céder ce qui ne lui appartenait pas.

Quant à la réserve d'une souveraineté extérieure, il faut avouer qu'elle eût été des plus bisarres. C'est là un droit inconnu dans le langage diplomatique; et l'observation en fut faite par les commissaires.

Lors des négociations, chacun s'épuisait en conjectures sur la cause des lenteurs qu'on y apportait (1). Selon les uns, c'était la réserve

(1) Les journaux des divers partis se livrèrent une guerre extrêmement vive: on agita, de part et d'autre, toutes les questions que pouvait soulever l'acte important dont s'occupait le ministère. D'anciens Colons firent entendre le langage le plus passionné. Nous renvoyons le lecteur aux pièces recueillies dans ce volume (lettre S.) où nous avons reproduit quelques écrits de cette époque. Celui qui frappa le plus les esprits fut une lettre, écrite le 12 août 1824, par M. Frédéric au rédacteur du Journal des Débats. On remarqua l'indépendance de caractère et la noble franchise de ce négociant, qui avait fourni plusieurs notes aux ministres. Ces notes ne pouvaient être suspectes de la part d'un homme qui, depuis neuf ans, fait de fréquens voyages à

de la souveraineté qui formait l'obstacle; selon d'autres, c'était le droit de suzeraineté que l'on voulait nous conserver. Selon d'autres encore, la France exigeait la concession d'un poste militaire dans la colonie; mais personne jamais n'a imaginé la souveraineté extérieure.

Nous avons vu que dans tout le cours des négociations, la France paraissait très-disposée à renoncer au droit de souveraineté sur ce pays. En effet, comment l'aurait-elle conservé, comment l'aurait-elle exercé? Cette souveraineté eût été sans cesse compromise et nous eût entraînés à des querelles perpétuelles, à des dépenses énormes. Nous n'aurions pu en confier la garde aux indigènes ; ils ne sont pas trèsportés à la respecter, et ils eussent été probablement bien moins encore disposés à la défendre, si elle avait reçu quelque insulte de la part des puissances étrangères. Il aurait donc fallu y entretenir une armée en permanence; et pour défendre quoi? des ruines: car les propriétés eussent été abandonnées aux

Saint-Domingue et y jouit de la confiance générale. On pense qu'elles ne furent pas étrangères au parti que le gouvernement vient de prendre,

habitans actuels, moyennant des indemnités qui auraient été reçues. Cette réserve, sur、 l'absurdité de laquelle nous pourrions nous étendre beaucoup, n'était donc vraiment pas soutenable; aussi nous croyons que ce n'est pas là que s'est trouvé l'obstacle à la conclusion.

La suzeraineté aurait présenté les mêmes inconvéniens. On ne saurait concevoir, il faut l'avouer, en quoi consisterait aujourd'hui une suzeraineté. Serait-ce le droit de foi et hommage que le roi de France eût voulu se réserver sur Saint-Domingue? Et à quoi bon? est-ce pour la satisfaction de voir, à des époques déterminées, un Haïtien venir baiser la main du roi, ou lui offrìr une haquenéc? Mais cette suzeraineté aurait eu aussi pour nous ses obligations et ses charges; quand elles n'auraient consisté que dans le devoir de prêter mainforte à la république, chaque fois qu'elle eût été insultée ou qu'elle se serait mise dans le cas d'être attaquée par une puissance quelconque, ce motif seul suffisait pour que la France ne tînt pas à un droit qui n'existe plus même dans le langage de notre législation. Quant à la souveraineté extérieure, nous ne saurions discuter une question que nous ne comprenons pas.

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