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tection que parce qu'on leur fait craindre que la France, qui se prononce contre le système des indépendances, ne vienne malgré ses promesses appuyer par ses armes les prétentions de l'Espagne; et, pour rendre suspects les projets de la France, ses antagonistes ne manquaient pas de citer sa conduite à l'égard de Saint-Domingue, comme la preuve de son arrière-pensée; « voyez, disaient-ils à ces nou» veaux indépendans, avec quelle hésitation le » gouvernement français, pour une colonie qu'il regardait comme perdue, aborde la » question de l'indépendance, qu'il reconnaît >> par ses actes et qu'il encourage ses sujets à >> reconnaître par leurs communications. La » France sent tout l'intérêt qu'elle aurait à finir >> cette affaire qui la gêne, qui compromet sa dignité, comme sa puissance; elle hésite à » cause de vous, et afin de ne pas blesser les » droits de l'Espagne. L'Angleterre seule se » prononce franchement; elle seule mérite tous » vos égards et votre attachement. » Ces raisonnemens ont touché les gouvernemens de ces pays, et chaque jour ils s'unissent plus étroitement à l'Angleterre. Cette alliance cependant n'est pas dans le cœur de ces peuples: la différence de religion est déjà un éloigne.

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le temps ne fera

que

fortifier. Vingt

ment, que fois, des Anglais ont été insultés et maltraités par la populace, parceque dans quelques cérémonies religieuses, ils affectaient de montrer qu'ils n'étaient pas de sa croyance: et le peuple les contraignait de se mettre à genoux au moment des processions, ou de donner d'autres marques extérieures de respect à la religion qu'ils affectaient de méconnaître.

La politique, comme l'intérêt du commerce et celui des Colons, ne pouvait donc que gagner beaucoup à la déclaration de l'indépendance d'Haïti.

Nous n'ignorons pas que ce système a été vivement combattu; mais ses adversaires avaient un intérêt direct ou indirect dans la cause. Les Colons de la Martinique et de la Guadeloupe, quand on parle d'étendre le commerce, objectent toujours l'intérêt de leurs colonies; et ils ne voient pas qu'elles ne pourraient qu'y gagner. Au reste, quand ces colonies devraient y perdre, était-ce une raison pour que la France leur sacrifiât sa navigation, son industrie, ses fabriques, son agriculture et toutes ses relations? Ils ne contestaient pas que la France ne dût gagner beancoup à l'adoption de cette mesure;

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la thêse eût été trop ridicule à soutenir; mais ils répondaient à tout, en s'ecriant: et nos colonies! Eh bien! vos colonies deviendront des ports francs ou des entrepôts, comme les autres. La métropole continue à vous protéger, à maintenir l'ordre chez vous, à empêcher vos esclaves de se révolter, vos gens de couleur de conspirer, si pourtant vos exigeances ne rendent pas leur position trop insupportable. Dussiez-vous donc perdre quelque chose, ce que nous ne croyons pas, la France y gagnera, et nous serons consolés de vos pertes par sa prospérité.

Les considérations que nous venons de présenter avaient trop fortement frappé les bons esprits, pour qu'il fût permis de croire à la rupture définitive d'une affaire si avantageuse, qui était arrivée si près de sa conclusion. Depuis 1824, on continua donc d'entretenir, de part et d'autre, beaucoup d'espérances. Le président Boyer, en publiant les pièces de la négociation, avait mis au grand jour la loyauté de sa conduite. L'habile administrateur français, qui avait employé près de neuf années à ménager un arrangement dont il sentait peutêtre plus que personne l'importance et la nécessité, ne cessa de soutenir l'idée qu'on s'était

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faite de la sincérité de notre cabinet dans les démarches auxquelles Saint-Domingue avait répondu avec tant de franchise. On ne fut donc pas étonné, quoiqu'après un long silence, de voir paraître tout-à-coup, le 3 juillet 1825, dans les eaux du Port-au-Prince, une division française, composée d'une frégate, d'un brick et d'une goëlette, portant au mât de misaine le pavillon parlementaire.

Les Haïtiens, pour qui la reconnaissance et l'équité sont un besoin, crurent aussitôt qu'on allait voir descendre de la frégate M. Esmangart. On courut pour le féliciter de sa longue persévérance, et pour partager avec lui la joie qu'il aurait sentie d'attacher son nom à une si grande œuvre, en y mettant la dernière main.

Mais, soit qu'en le déplaçant de nouveau pour l'enlever momentanément à ses importantes fonctions administratives, les ministres eussent redouté d'éveiller encore l'attention des éternels ennemis de la cause que M. Esmangart avait toujours protégée de toute l'autorité de ses conseils; soit qu'ils eussent voulu, par le choix d'un officier de notre marine, dont on ne pouvait deviner ni commenter la mission, envelopper cette affaire, aux yeux de l'étranger, de tout le secret dont elle avait peut-être be

soin, à sa conclusion; l'attente générale ne fut pas remplie et ceux qui connaissent plus à fond les mystères de la politique s'expliquèrent cette circonstance. Bientôt, cependant, ils éprouvèrent la plus vive affliction; à l'instant même se répandit, au Port-au-Prince, le bruit de la mort de M. Esmangart. Avant les derniers désastres de Saint-Domingue, ce magistrat s'y était fait aimer, comme propriétaire humain et bienfaisant; plus tard, il avait acquis des droits à l'estime des Haïtiens, comme négociateur éclairé. Quelques personnes soupçonnèrent que la nouvelle était fausse: toutefois on ne put l'éclaircir entièrement pendant tout le séjour de l'escadre.

Quoiqu'il en soit, une mission de Charles X, pour renouer des conférences interrompues, une mission qui allait sceller peut-être l'indépendance d'Haïti, ne pouvait manquer de se voir accueillie. M. le baron de Mackau, commissaire et gentilhomme ordinaire de S. M., chargé d'apporter l'ordonnance royale, dégagée cette fois de toute restriction politique, fut reçu avec la plus grande distinction; et il justifia par ses manières, à la fois remplies de grâce et de dignité, la haute opinion que l'on conçut de lui.

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