Page images
PDF
EPUB

entre des hommes d'une couleur différente; mais il n'y eut point de guerre déclarée à la France par les noirs ou les mulâtres de SaintDomingue. C'étaient d'anciens esclaves qui ne voulaient plus porter leurs chaînes, et qui demandaient à jouir des droits que les lois nouvelles accordaient à tous les hommes.

Les commissaires envoyés par les divers. gouvernemens qui se succédèrent en France, pendant le cours de la révolution, ne négligèrent aucun moyen d'anéantir à jamais cette colonie, jadis si opulente. Ils y seraient parvenus, si Toussaint-Louverture, un des hommes noirs doué de la plus rare intelligence, n'eut entrepris, avec une grande hardiesse, de se mettre à la tête de ses compatriotes et de défendre les intérêts de son pays contre les intrigans qui cherchaient à tout ruiner pour s'enrichir. Il commença par s'opposer peu peu au gouvernement de la métropole; bientôt il le méconnut tout-à-fait, et ne prit plus conseil que de lui-même.

Le général Hédouville fut envoyé par le Directoire , pour prendre le commandement des troupes réunies sous les ordres de Toussaint; mais celui-ci le fatigua par des hésitations et par des promesses. Le général français,

arrivé seul avec quelques officiers d'état-major, ne tarda pas à sentir la fausse position où il se trouvait, et il prit le parti de revenir en Europe.

Toussaint-Louverture, maître du terrain, ne songea plus qu'à se consolider par de bonnes lois, adaptées aux circonstances et à l'état du pays qu'il allait gouverner. Loin d'expulser les blancs, ainsi que le firent les gouvernemens qui lui ont succédé, il voulut maintenir les planteurs sur leurs habitations. Il déclara aux noirs que la liberté n'excluait pas l'obligation du travail; il leur assura pour salaire le quart des revenus du sol cultivé par leurs mains. Comme il avait senti que les blancs trouveraient difficilement le moyen d'exercer une juste sévérité à l'égard des ouvriers affranchis, nouvellement employés par eux, il se chargea lui-même de ce soin. Il nomma des inspecteurs de la culture, espèce de licteurs, qui parcouraient les habitations. Si elles se trouvaient négligées, si les pièces de cannes étaient mal tenues, ces inspecteurs infligeaient aux noirs, dont cet examen constatait la paresse, une punition que le maître n'eût plus osé ordonner lui-même, dans la crainte d'exciter une insurrection.

Sur ces entrefaites, les Anglais, en guerre

avec la France, firent passer quatorze mille hommes à Saint-Domingue. Ils vinrent à bout, sans beaucoup de peine, à s'établir dans la partie de l'Ouest, que leur livrèrent les Colons. Harcelés sans cesse, tantôt par Rigaud, tantôt par Toussaint, ils ne firent aucun progrès; et, après un assez long séjour, pendant lequel ils perdirent, par le climat, plus de la moitié de leur armée, ils évacuèrent le territoire dont ils s'étaient emparés. Cette expédition leur coûta plus de cent vingt millions de francs.

L'évacuation de Saint - Domingue par les troupes anglaises fut suivie d'une guerre entre Toussaint et Rigaud. Le sud avait refusé de se soumettre au gouvernement de Toussaint. Le général Rigaud s'était créé, dans cette province, une autorité à-peu-près semblable au pouvoir qu'exerçait Toussaint sur le reste de l'île. Mais, après une guerre opiniâtre, où, de part et d'autre, on peut citer des actions remarquables, Toussaint l'emporta, et Rigaud fut obligé de quitter le pays. Il vint en France, avec Pétion, Boyer, et d'autres hommes de couleur, qui ont marqué ou qui marquent aujourd'hui, dans le gouvernement de la nouvelle république.

Rigaud fit de vains efforts, en France, auprès du Directoire, pour que l'on envoyât des forces militaires à Saint-Domingue contre Toussaint. Celui-ci ne cessait d'assurer les gouvernans de sa soumission et de son respect; mais il n'en était pas moins indépendant de fait. Il continua d'user de ce pouvoir pour protéger les propriétés des blancs, comme celle des noirs et des mulâtres. Cette époque n'est pas une des moins curieuses de l'histoire de la révolution.

[ocr errors]

Enfin arriva la paix d'Amiens, qui donna au premier Consul les moyens de porter la destruction à Saint-Domingue; et ce malheureux pays devint le théâtre de nouvelles horreurs.

On ne retracera point ici les événemens d'une guerre si déplorable, quoique personne, jusqu'aujourd'hui, n'en ait parlé avec assez d'impartialité. Nos soldats s'y sont couverts de gloire, quand les généraux s'y couvraient de honte; et pour les derniers, c'est une page déchirer de notre histoire.

à

Toussaint, qui s'était rendu de bonne foi, ainsi que tous les généraux des différens quartiers, fut enlevé, conduit en France, emprisonné dans un château-fort, et il y mourut, avec le secret du dépôt de ses trésors.

La mauvaise administration, la cupidité de quelques généraux français à Saint-Domingue, celle des employés civils, firent périr autant d'hommes de notre armée que le climat même. Nos malheureux soldats expiraient de besoin à l'hôpital, manquant d'eau pour se désaltérer, quand le thermomètre était à plus de trente degrés.

La déclaration de guerre de l'Angleterre à la France ne tarda pas à décider une question que le climat et la misère allaient juger sans elle. Bientôt les noirs, les mulâtres surtout, envers qui, nous devons le dire en rougissant, on avait employé toutes les perfidies et commis tous les crimes, levèrent l'étendart de la révolte. Les actes de cruauté qu'exercèrent ces hommes exaspérés ne furent que d'horribles réprésailles; et le massacre général des blancs, qui fait frémir l'humanité, fut atroce comme les sanglantes boucheries qui l'avaient provoqué.

Par la mort de Leclerc, beau-frère du premier Consul, le commandement de l'armée se trouva dévolu au général Rochambeau, dont la conduite aigrit encore davantage tous les esprits. Ce nouveau chef capitula bientôt, et il revint en France avec les débris de son armée.

« PreviousContinue »