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DE

DROIT PUBLIC

ET ADMINISTRATIF.

INTRODUCTION

A L'ÉTUDE DU DROIT PUBLIC POSITIF FRANÇAIS.

CHAPITRE PREMIER.

BASE PHILOSOPHIQUE DU DROIT PUBLIC.

SOMMAIRE.

1. De la loi en général.

2. De la loi divine ou naturelle.

3. De la loi humaine ou positive.

4. La législation positive repose sur la connaissance de l'homme et de sa destinée.

5. Différentes opinions sur la nature et la destinée de l'homme.

6. La base de la morale est le juste et non l'utile.

7. La société est de droit absolu.--Fausse théorie du Contrat social.

8. La forme de la société est de droit positif.

9. Du droit d'organiser la société, ou de la souveraineté.

10. Souveraineté du droit divin.

11. Souveraineté du peuple.

12. L'exercice de la souveraineté ne doit appartenir qu'à la partie intelligente de la société.

TOME I.

1

13. Des révolutions sociales et des révolutions politiques.

14. Des droits naturels.

15. De l'égalité.

16. De la propriété.

17. Résumé.

De la liberté.

18. Différence du droit public païen et du droit public chrétien.

1. Quand l'homme réfléchit sur tout ce qui se passe autour de lui, il est frappé de la succession régulière de certains faits qui, soit dans l'ordre physique, soit dans l'ordre moral, se reproduisent d'une manière uniforme : d'un côté, le cours des astres, les phénomènes de la vie et de la végétation; de l'autre, l'homme considéré comme être intelligent, la famille, la société : voilà, pour ainsi dire, deux mondes distincts, qui présentent, à un degré plus ou moins parfait, des idées d'ordre et d'harmonie. L'ordre et l'harmonie supposent des règles imposées soit à la nature inerte, soit à la nature intelligente; ces règles, on les désigne sous le nom de lois.

2. Le suprême législateur est Dieu, créateur et conservateur de toutes choses; c'est lui qui a donné à la matière des lois tellement admirables, que le plus grand effort de l'esprit humain a été d'en dévoiler quelquesunes, et que sa plus grande jouissance consiste à les étudier; c'est lui qui a créé les lois plus merveilleuses encore et tout à fait impénétrables, en vertu desquelles l'esprit a été joint à la matière pour composer l'homme chef-d'œuvre de la création visible; c'est lui enfin qui a placé dans la conscience humaine des lois qui, chez tous les peuples, dans tous les temps, ont été la règle de conduite des hommes vertueux.

L'ensemble de toutes les lois morales constitue le droit naturel, qu'on appelle aussi avec plus de raison le droit divin, puisqu'il émane directement de Dieu qui

lui a donné l'empreinte de sa sagesse et de son immutabilité sagesse et immutabilité, tels sont les caractères qui distinguent le véritable droit divin des institutions passagères qu'on s'est souvent efforcé de revêtir de ce beau nom.

Malgré son double caractère, la loi naturelle n'est point à l'abri des violations : l'homme, doué du magnifique privilege de la liberté morale, en use trop souvent pour satisfaire ses passions en foulant aux pieds ses devoirs; trop souvent aussi son intelligence obscurcie ne discerne plus les règles du bon et du juste, et il erre au hasard au milieu des ténèbres de la barbarie. Tel est le triste sort de l'humanité; mais la loi, pour être méconnue, n'en existe pas moins; l'erreur et l'ignorance se dissipent, et le droit vainqueur reparaît pour s'effacer de nouveau dans une autre crise sociale. Cette lutte du droit et du fait, du bien et du mal, presque aussi ancienne que le monde, durera autant que lui, et jusqu'à la fin elle se perpétuera avec des chances diverses. Elle a lieu sur un double champ de bataille, le cœur de l'homme et la société; pour vaincre sur le second, il faut que le droit ait vaincu d'abord sur le premier, car les hommes corrompus ne peuvent former qu'une société oppressive et tyrannique, et le perfectionnement intellectuel et moral est la seule base solide de la société.

3. En effet, l'homme soumis à une loi qu'il n'a point faite, devient cependant législateur à son tour. Dieu qui le créait à son image a voulu que sur ce point aussi il eût avec lui quelque ressemblance; mais la mission qu'il lui a donnée ne consiste qu'à faire l'application des principes du droit naturel. L'homme doit donc s'efforcer, d'abord, de découvrir ces principes, de les dégager des nuages que l'ignorance et les passions répandent

autour d'eux; aussi, plus il est éclairé et moral, mieux il comprend sa nature et sa destination, mieux il découvre les moyens de réaliser le type immortel du beau et du bon que son intelligence aperçoit et auquel son cœur aspire. Le produit imparfait de ses efforts reçoit le nom de droit positif.

4. Rien n'est plus funeste que de se tromper sur les principes dont on fait la base du droit positif, car la logique rigoureuse ne sert plus ensuite qu'à enchaîner les unes aux autres une longue série d'erreurs. Trop souvent des esprits distingués d'ailleurs, se laissant entraîner dans un système qui repose sur une observation incomplète, créent une morale privée et sociale qui n'est point la morale véritable; leurs déductions pénétrent dans les masses, y sont reçues comme des axiomes à l'abri de toute critique, et y portent des fruits de désordre et de mort.

L'objet du droit est l'homme (4); il importe donc, avant tout, d'avoir des idées justes sur sa nature et sur sa destinée : car les lois qui doivent le régir ne sont que les conséquences de l'une et de l'autre. Ici nous emprunterons les résultats acquis par la philosophie dont la science du droit n'est qu'une application.

5. La question de la nature et de la destinée humaines a reçu différentes solutions de la part des philosophes. Les uns, ne s'élevant pas au dessus de l'horizon borné de la matière, se sont perdus dans l'étude des organes; ils ont cru que là était tout l'homme, et que cet être merveilleux, placé si fort au dessus des animaux par la raison, était cependant destiné comme eux à périr tout entier, après avoir éprouvé, pendant un temps plus ou moins long, une série de sensations agréables ou pénibles. D'autres, s'élançant bien au dessus du (1) Les choses ne sont l'objet du droit que par rapport à l'homme.

monde physique, ont, par une sublime mais dangereuse abstraction, supprimé la matière, et n'ont vu dans l'homme qu'un être immatériel, jouet d'une série d'illusions qui forment ce que d'autres ont pris pour la

matière.

Une école philosophique, plus vraie parce qu'elle est moins exclusive, a rappelé l'esprit humain à l'observation impartiale et complète des phénomènes intérieurs et extérieurs; elle reconnaît à l'homme, outre cette portion périssable de matière qui constitue le corps, une âme immortelle, capable de comprendre le bien et le mal, faite pour trouver son bonheur dans l'accomplissement du devoir, et appelée à recevoir dans une autre vie la récompense ou la peine qu'elle aura méritée par sa conduite dans ce monde; l'homme, pour elle, est une intelligence servie par des organes. Nous allons voir quelles sont, à l'égard du droit, les conséquences de cette vérité.

6. L'observation des phénomènes intérieurs prouve que l'homme est doué de la faculté de comparer et de juger; qu'il est libre dans ses déterminations, bien qu'il soit quelquefois tiré en sens contraire par des motifs différents. Il y a lutte pour qu'il y ait mérite, il y a liberté pour qu'il y ait responsabilité. En donnant la liberté à l'homme, Dieu lui a tracé une règle de conduite, qui se manifeste en lui par le sentiment et par le raisonnement. C'est la loi morale, que l'homme n'a pas faite, qu'il peut méconnaître ou violer, mais qu'il ne peut changer, et d'après laquelle il sera jugé un jour.

Quelle est la base de la loi morale? Ici nous rencontrons un sophisme, séduisant dans sa forme, dangereux dans ses conséquences : selon quelques-uns, la base de la loi morale est l'utile. A l'appui de cette proposition, on

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