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avait en outre le droit de répéter par la condictio indebiti ce qu'elle avait payé dans l'ignorance qu'elle pût se soustraire à son obligation (1): l'obligation contractée au mépris du sénatus-consulte Velléien ne valait même pas comme obligation naturelle (2).

La femme pouvait-elle valablement renoncer à la protection du Velléien ? Poser la question paraît singulier. Est-ce qu'un incapable peut jamais par sa propre volonté s'attribuer une capacité que la loi lui dénie? est-ce qu'une disposition qui intéresse l'ordre public et les bonnes. mœurs n'est pas au-dessus de toutes les conventions? Que dans le dernier état du droit la jurisprudence ait cherché à faciliter à la femme les moyens d'éluder le sénatus-consulte, je le reconnais d'autant plus volontiers que je vais démontrer tout à l'heure que toutes les innovations de Justinien tendent précisément à ce but, mais telle n'était pas assurément la manière de voir des jurisconsultes classiques : « Ea quæ in fraudem senatus-consulti, quod de intercessione feminarum factum est, excogitata probari possunt, rata haberi non oportere (3), » disait Paul. Est-il donc possible d'admettre que le législateur qui frappait de

(1) L. 40 pr. D., XII, 6.

(2) Cpr. L. 16 § 1 D., XVI, 1.
(3) L. 29 § 1 D., XVI, 4.

nullité tout acte par lequel la femme aurait cherché à éluder sa prohibition, ait pu lui permettre de s'en affranchir ouvertement ?

Pour combattre cette solution qui s'impose d'elle-même que nous oppose-t-on ?

:

Trois textes le premier qui forme le paragraphe 4 de la loi 32 au Digeste (ad S.-C. Velleianum), les deux autres qui émanent de Justinien (1). J'écarte, bien entendu, ces deux derniers textes sur lesquels je reviendrai tout à l'heure, par la raison très simple que leur but est, non pas d'appliquer, mais d'abroger le droit classique; quant au premier, nous allons voir qu'il n'a nullement la portée qu'on lui prête. Voici comment il est conçu: « Si mulier pro eo quo intercesserit judicium parata sit accipere, ut non in veterem debitorem actio detur, quoniam senatusconsulti exceptionem opponere potest, cavere debebit exceptione se non usuram et sic ad judicem ire. » Ainsi donc une femme ayant intercédé contrairement à la prohibition du sénatus-consulte, et voulant éviter au débiteur originaire d'être poursuivi, se refuse à opposer l'exception, et s'apprête à soutenir un procès avec le

(1) De ces deux textes le premier, qui forme la loi 3, C., V., 35, dispose que la femme qui veut obtenir la tutelle de ses enfants doit préalablement renoncer à la protection du sénatus-consulte. J'aurai, dans quelques instants, à insister longuement sur le second, qui n'est autre que le princi. pium de la loi 23, C., V, 29.

créancier. Le texte nous dit que le préteur, avant de renvoyer les parties devant le juge, devra exiger de la femme la cautio se exceptione non usuram. Je ferai tout d'abord remarquer que cette cautio serait parfaitement inutile, si la femme pouvait valablement et directement renoncer à la protection du sénatus-consulte. S'il en était ainsi, une simple déclaration de sa part serait suffisante. Si la femme est obligée de fournir cautio, c'est qu'en dépit de sa renonciation elle conserve toujours le droit de se prévaloir de la nullité de l'intercession (1). Sans doute la cautio se exceptione non usuram n'était dans l'espèce qu'un moyen détourné offert à la femme de renoncer à la protection du sénatus-consulte. Il est probable, comme le fait très judicieusement remarquer M. Gide (2), que la jurisprudence avait trouvé là un moyen d'échapper à l'application de la loi, dans les cas où elle eût compromis des intérêts trop précieux; le contrôle du magistrat était d'ailleurs une garantie que la renonciation ne serait pas faite à la légère.

Voici donc en résumé les caractères de la prohibition d'intercéder pendant toute la période classique elle frappe non seulement l'interces

(1) Cpr. Gide, Condit. privée de la femme, p. 184, note 1; Accarias, II, 376, note.

(2) Loc. cit.

sion de la femme au profit de son mari, mais l'intercession de la femme (fille, veuve ou mariée) au profit d'un étranger; elle détruit dans son essence l'obligation, qui ne subsiste même plus comme obligation naturelle; elle est d'ordre public et il n'est permis ni de l'éluder ni d'y re

noncer.

Les réformes de Justinien ont un double caractère : d'un côté, l'empereur atténue singulièrement la prohibition du sénatus-consulte, en tant qu'elle s'adresse aux femmes en général; de l'autre, il interdit plus sévèrement encore que par le passé l'intercession de la femme en faveur de son mari. Démontrons successivement chacune de ces deux propositions.

Est-ce pour un tiers, c'est-à-dire pour tout autre que son mari, que la femme s'est obligée, voici les innovations que nous rencontrons :

1° Justinien augmente le nombre des cas dans lesquels l'intercession sera maintenue comme ayant une juste cause. Ainsi la femme pourra intercéder valablement pro libertate, c'est-à-dire s'obliger principalement ou comme caution pour un esclave, afin que son maître lui donne la liberté (1).

Nous avons vu qu'en droit classique, la mère pouvait s'engager à constituer une dot à sa fille;

(1) L. 24 C., IV, 29.

on considérait déjà que, si la mère n'était pas tenue civilement de doter sa fille, tout au moins remplissait-elle, en le faisant, une obligation naturelle. Les empereurs Valérien et Gallien avaient confirmé purement et simplement la jurisprudence sur ce point. Justinien généralise; désormais toute femme pourra intercéder pro dote (1). 2o L'intercession sera valable si la femme l'a réitérée après deux ans d'intervalle. Cette persistance indique chez la femme une volonté cons-tante et sérieuse de s'obliger, et c'en est assez pour écarter l'application du sénatus-consulte (2).

3o Mais voici qui est beaucoup plus grave. Justinien, dans la loi 23 (3), commence par déclarer, el en cela il ne fait que confirmer le droit antérieur, que l'intercession sera valable si la femme a reçu quelque chose en retour de l'engagement pris par elle. Je dis que sur ce point Justinien ne fait que confirmer le droit antérieur; je me trompe le mot aliquid dont il se sert indique que, dans la pensée de l'empereur, il suffira que la femme reçu quelque chose, sans distinguer si elle a reçu peu ou beaucoup. Or, il est certain qu'en droit classique, on exigeait approximativement l'équivalent de l'engagement pris par la femme.Justinien

ait

(1) L. 25 C., IV, 29.
(2) L. 22 C., IV, 29.
3) L. 23 pr. C., IV, 29.

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