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veut coupercourt aux difficultés que cette exigence avait, paraît-il, soulevées dans l'application : « antiquæ jurisdictionis retia,difficillimos nodos resolventes; >> mais au fond, il obéit au désir d'affaiblir de plus en plus la prohibition du sénatus-consulte.

Maintenant, comment prouvera-t-on que la femme a reçu quelque chose? C'est ici que, sous prétexte d'aplanir des difficultés, Justinien modifie profondément le droit antérieur. Il dispose en effet que la déclaration que la femme a reçu quelque chose, insérée dans un acte public relatant son obligation, devra être tenue pour vraie, quelque invraisemblable qu'elle puisse paraître. En deux mots, la femme est libre désormais de renoncer à la protection du Velléien, à la condition de faire constater son obligation par acte public: cette formalité est de nature à la faire réfléchir et il est à présumer qu'elle ne s'engagera pas à la légère.

Le seul fait que la femme s'est obligée par acte public suffira-t-il à valider l'intercession; faudrat-il nécessairement que l'acte contienne la déclaration que la femme a reçu quelque chose? En fait, la question me paraît complètement dépourvue d'intérêt; toutefois elle a soulevé d'interminables controverses, et mérite à cet égard d'être examinée.

Je dis que la question est dépourvue d'intérêt :

en effet, en supposant que la déclaration en question ait été nécessaire, il est bien évident qu'elle devint une clause de style dans tous les actes publics relatant une intercession; dès lors exiger cette déclaration à peine de nullité de l'engagement, c'est évidemment ne rien ajouter à la garantie de la femme.

Quant à prendre parti dans la controverse, la chose n'est pas bien aisée; le § 2 de notre loi 23 est en effet très obscur et peut conduire aux interprétations les plus opposées. Cependant, si l'on remarque que dans la loi 22 le but évident de Justinien est de faciliter les intercessions, que dans la loi 23 pr. cette même pensée se révèle d'une façon encore bien plus certaine; que d'autre part l'idée dominante dans la loi 23 est de ne plus distinguer désormais qu'entre les intercessions constatées par acte public et celles qui ne le sont point, ce qui d'ailleurs, comme je l'ai indiqué, a parfaitement sa raison d'être, on ne voit pas bien pourquoi Justinien aurait exigé une mention de pure forme en plus de la confection d'un acte public. Ceci posé, voici le passage qui a suscité la controverse : « Ne autem mulieres perperam sese pro aliis interponant, sancimus non aliter eas in tali contractu posse pro aliis se obligare, nisi instrumento publice confecto et a tribus testibus subsignato accipiant homines a muliere pro aliis confessionem; tunc etenim

tantummodo eas obligari et sic omnia tractari, quæ de intercessionibus feminarum vel veteribus legibus cauta, vel ab imperiali auctoritate introducta sunt (1). Ce que je traduis de la façon suivante: «Mais pour que les femmes ne puissent pas s'immiscer légèrement dans les affaires d'autrui, nous décidons qu'elles ne pourront à l'avenir s'obliger valablement pour autrui, qu'à la condition de faire rédiger un acte public signé de trois témoins et constatant leur engagement; c'est à cette seule condition qu'elles pourront se trouver valablement obligées: telle est la règle d'après laquelle devront être résolues désormais toutes les questions de validité d'intercessions, questions autrefois réglées par les lois anciennes ou par les constitutions impériales... » Cette traduction, qui ne fait, ce me semble, aucune violence au texte, est parfaitement d'accord avec la solution à laquelle j'avais été amené tout naturellement.

On pourrait être au premier abord tenté de conclure du texte précité que toutes les intercessions, celles-là même qui ne tombaient point sous le coup du sénatus-consulte Velléien, doivent être, à peine de nullité, constatées par acte public (2); mais en y réfléchissant, il est impossible d'admettre que Justinien, dont l'intention évi(1) § 2 de la loi 23.

(2) Tunc enim tantummodo eas obligari, nous dit le texte.

dente est de faciliter aux femmes les intercessions, ait pu à cet égard se montrer plus sévère que les jurisconsultes classiques. Sans doute, Justinien impose comme condition nécessaire et suffisante. à la validité de toute intercession la rédaction d'un acte public, mais ceci ne doit s'entendre que des intercessions prohibées par le droit antérieur, car ce sont celles-là seulement qu'il importe d'entourer de garanties. On pourrait, à l'appui de cette solution, invoquer le principium de notre loi 23, où nous voyons la femme, pourvu qu'elle reçu quelque chose, toujours capable d'intercéder, que son obligation ait été ou non constatée

ait

par écrit. On objecte qu'en pareil cas, il n'y a pas intercession du tout; mais, soit qu'il n'y ait pas intercession du tout, soit qu'il n'y ait pas intercession prohibée, ne sommes-nous pas en droit d'argumenter de cette décision et de dire que, là où le droit antérieur n'avait point jugé nécessaire de protéger la femme, Justinien ne met aucune condition à la validité de l'obligation?

Je n'ajoute plus qu'un mot. Lorsque l'intercession, et il est bien entendu qu'il s'agit uniquement d'une intercession prohibée, n'a point été constatée par acte public, l'obligation est désormais frappée de nullité ipso jure (1). Il ne faut

(1) Ceci résulte du § 2 in fine de notre loi 23.

pas attacher à cette innovation, qui n'est guère intéressante qu'au point de vue de la procédure, plus d'importance qu'elle ne mérite, car nous avons vu qu'auparavant la femme avait en réalité des moyens très efficaces pour échapper à son obligation.

Le système que je viens d'exposer, qui a été développé pour la première fois par M. Valett (1) et qui a été adopté par M. Gide (2), ne paraît pas avoir rallié la majorité des interprètes. Les uns reconnaissent bien avec nous que la formalité d'un acte public n'est exigée que dans les cas où la femme intercède contrairement à la prohibition du sénatus-consulte; mais ils nient que l'accomplissement de cette formalité suffise à valider l'intercession prohibée qui pourra être annulée exceptionis ope (3).

Les autres vont plus loin encore; non seulement la formalité d'un acte public ne suffira pas à valider l'intercession prohibée qui demeurera soumise aux mêmes règles que par le passé, mais l'absence de cette formalité entraînera toujours et dans tous les cas nullité ipso jure de l'opération, lors même qu'elle eût échappé à la prohibition du sénatus-consulte (4).

(1) Lehrbuch, Goettingue, 1828-1829, § 584. (2) Condit. privée de la femme, p. 218.

(3) C'est l'opinion adoptée par le glossateur Bulgarus. (4) C'est l'opinion du glossateur Martinus.

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