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dans une certaine mesure, veiller à la prospérité de l'association conjugale, dans l'intérêt de la famille, sauvegarder, par conséquent, la fortune de la femme, à la conservation de laquelle les enfants et le mari, tout le premier, se trouvent intéressés. Voilà pourquoi le mari mineur n'est point appelé à donner son autorisation; voilà pourquoi la justice doit être consultée, en cas d'absence ou d'interdiction du mari. Et si la femme elle-même est admise à se prévaloir du défaut d'autorisation, c'est en vertu d'un droit qu'elle est censée tenir de son mari, pour mieux assurer la défense des intérêts qui sont nés du fait même de leur mariage (1).

Etant données ces considérations générales sur le fondement de l'incapacité de la femme mariée, il est aisé d'en conclure que cette incapacité doit commencer avec le mariage et ne finir qu'avec lui. A ce propos, il convient de remarquer que quelques coutumes faisaient autrefois remonter l'incapacité de la femme à l'époque de ses fiançailles. C'est ainsi, par exemple, que l'art. 87 de la coutume d'Artois disposait que «< la femme, dès qu'elle est fiancée, ne peut contracter, ni disposer de ses biens, par testament ou autrement.

(1) En ce sens, Proudhon, Etat des personnes, I, p. 454, Zachariæ, § 472, p. 223; Aubry et Rau, V, p. 138, texte et note 5, § 472; Demolombe, IV, 117; Laurent, III, 95.

sans l'autorité de son fiancé (1). » Cette puissance anticipée donnée au fiancé sur sa fiancée n'était guère justifiable, et Dumoulin n'hésitait pas à traiter d'impertinente une pareille disposition, que je n'ai signalée, d'ailleurs, que comme le résultat bizarre de certains usages locaux.

La nécessité de l'autorisation ne cesse qu'après la dissolution du mariage; elle subsiste, par conséquent, nonobstant la séparation de corps ou de biens. C'était cependant une idée jadis accréditée dans notre vieux droit coutumier, que la séparation rend la femme libre et habile (2); les art. 215 et 217 C. c. prouvent à l'évidence que les rédacteurs du Code n'ont point admis cette manière de voir. Nous verrons, toutefois, que, quoique toujours soumise à l'autorité maritale, la femme séparée n'en jouit pas moins d'une assez grande liberté d'action.

SECTION II

De la spécialité de l'autorisation considérée comme trait caractéristique de l'incapacité de la femme.

L'incapacité de la femme mariée consiste, nous le savons, dans l'obligation où elle se trouve

(1) Voy. Pothier, Traité de la puiss. du mari, no 7.

(2) Cpr. cout. Montargis, ch. V, art. 6; cout. Sedan, art. 95 et 97; Dumoulin, sur la cout. Bourbonnais, art. 172 et 232.

d'obtenir l'autorisation de son mari lorsqu'elle se propose de faire un acte juridique valable.

Cette obligation pourrait devenir pour la femme une formalité peu gênante, si l'autorisation de faire certains actes pouvait lui être octroyée à l'avance, d'une façon générale. Il n'en est pas ainsi, et l'art. 223 C. c. prohibe formellement toute autorisation de ce genre.

C'est qu'en effet une pareille autorisation serait de la part du mari un abandon de l'autorité que la loi entend lui conserver, une désertion du devoir que le législateur lui impose de veiller à la prospérité de l'association conjugale. Donc, l'autorisation doit être spéciale. Mais que faut-il entendre exactement par là?

Il me semble que, pour trouver une réponse satisfaisante à cette question, il suffise de se rappeler ce qui a été dit sur le fondement de l'autorisation maritale. La loi veut que l'autorité du mari soit respectée; elle veut en outre que ce dernier, gardien légal des intérêts de la famille, puisse s'opposer à la dissipation du patrimoine de la femme. Comment satisfaire à ce vou de la loi? En exigeant que l'autorisation ne soit jamais. donnée qu'en connaissance de cause, c'est-à-dire lorsque le mari, après examen de l'affaire, aura pu apprécier la portée de l'acte qu'il autorise. Il n'y a pas, suivant moi, d'autres règles à poser, et le

principe que je viens de formuler est le seul qui doive guider le juge lorsque pareille question sera soulevée devant lui.

M. Duranton (1), traduisant le mot spécial dans le sens de déterminé, considère l'autorisation comme suffisamment spéciale lorsque les biens sur lesquels elle porte sont déterminés; ainsi, l'autorisation d'aliéner les immeubles situés dans tel département serait parfaitement valable.

Ce système trouve, dit-on, son point d'appui dans l'art. 1538 C. c., aux termes duquel l'autorisation générale d'aliéner les immeubles donnés à la femme soit par contrat de mariage, soit depuis, est nulle. On fait remarquer que la loi n'annule pas du tout l'autorisation d'aliéner des immeubles de la femme, mais seulement l'autorisation d'aliéner les immeubles, c'est-à-dire tous les immeubles : c'est donc cette dernière autorisation seulement qui se trouve entachée de généralité.

Je n'admets pas ce raisonnement. Que veut dire l'art. 1538? Que l'autorisation d'aliéner les immeubles de la femme, lorsqu'elle est générale, doit toujours être frappée de nullité, lors même que les époux seraient séparés de biens. Son but n'est point

(1) II, 449.

du tout de nous donner une sorte de définition de l'autorisation générale, mais d'abroger formelle ment une disposition que l'on retrouve dans plusieurs de nos anciennes coutumes, lesquelles, partant de cette idée que la séparation rend la femme libre et habile, et que, d'autre part, le contrat de mariage est le plus libre des contrats, permettaient les autorisations générales données par contrat de mariage, laissant ainsi aux époux la faculté d'atteindre par leurs stipulations un résultat que la séparation eût produit légalement (1). Et, il faut bien l'avouer, s'il suffisait à l'autorisation pour être spéciale de ne pas porter sur l'ensemble des biens de la femme, le but que s'est proposé le législateur en la frappant d'incapacité serait rarement atteint! Une simple remarque suffira d'ailleurs à ruiner le système de notre savant adversaire. Supposons que la femme possède, ce qui n'a rien que de très naturel, tous ses immeubles dans le même département, validerez-vous encore l'autorisation d'aliéner les immeubles situés dans ce département? Évidemment non, car ce serait, pour le coup, violer ouvertement l'art. 1538. Or, il est manifeste que

(1) Voy. cout. Montargis, ch. V, art. 6; cout. Sedan, art. 95 et 97; Dumoulin, sur la cout. Bourbonnais, art. 172 et 232. Voy. toutefois Lebrun, De la comm., liv. 2, ch. I, sect. IV, nos 1-7.

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