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tenait à la main un pain de froment, farreus panis, symbole de son association aux sacra et à la vie entière de son mari; puis des paroles solennelles étaient prononcées. Tels sont à peu près les seuls détails qui nous soient fournis par les textes (1).

Les enfants issus du mariage ainsi contracté étaient les seuls qui pussent devenir flamines de Jupiter, de Mars ou de Quirinus, ou reges sacrorum (2). Il est même assez vraisemblable qu'à une certaine époque tous les sacerdoces furent réservés aux confarreati.

C'est une question controversée que de savoir si la confarreatio était accessible à d'autres qu'aux patriciens. La négative me paraît probable, tout au moins si l'on se place à une époque suffisamment reculée. Nous savons en effet que les dignités sacerdotales furent celles dont les patriçiens gardèrent le plus longtemps le monopole; or, interdire aux plébéiens une cérémonie sans laquelle il était impossible d'arriver aux plus hautes fonctions du sacerdoce, était certainement un excellent moyen d'arriver à ce résultat (3). Il

(1) Voy. Gaius, I, 112; Ulpien, Reg., t. IX; Servius sur Virgile, Georg., I, v. 31.

(2) Le rex sacrorum ou rex sacrificulus était un prêtre chargé de faire certains sacrifices publics autrefois accomplis par les rois. Voy. Festus, v° Sacrificulus rex.

(3) Cpr. Accarias, I, 120.

me paraît certain toutefois qu'à l'époque où le plébéien Tibérius Coruncanius fut nommé grand pontife, c'est-à-dire vers l'an 500 de la République, la confarreatio avait déjà cessé d'être réservée aux patriciens.

Doit-on ranger parmi les effets du mariage par confarreatio l'indissolubilité du lien conjugal? Un passage d'Aulu-Gelle (1) nous apprend que le mariage contracté par le flamine de Jupiter était indissoluble (2), et Denys d'Halicarnasse (3) affirme qu'il en était de même à l'origine de tous les mariages accompagnés de confarreatio. Si le fait est exact, il convient de remarquer que cette conséquence de la confarreatio ne fut pas de bien longue durée et disparut au plus tard lorsqu'on eut imaginé la diffarreatio (4).

Le second mode d'acquisition de la manus, la coemptio, consistait dans la vente simulée de la femme au mari. Cette vente s'accomplissait au moyen des formes de la mancipation; mais, à la différence de l'individu in mancipio, la femme ne se trouvait pas un instant in servili causa. D'après Gaius, il faudrait expliquer ce résultat par une

(1) X, 5, § 23.

(2) Le mariage était, en effet, absolument exigé dans ce sacerdoce, aussi le flamine devenu veuf perdait-il sa fonction. Voy. Festus, vo Flamen.

(3) II, 25.

(4) Consultez Accarias, I, 97 en note et 120 en note.

différence dans les paroles échangées dans les deux cas (1). En quoi consistait cette différence, on ne peut sur ce point se livrer qu'à des conjectures.

On a soutenu que la vente per coemptionem était l'œuvre de la femme elle-même; qu'en cela, par conséquent, elle différait profondément de la mancipation du fils de famille. Cette opinion se fonde sur un passage de Gaius, dans lequel, nous indiquant les formes de la coemptio, il ne nous signale parmi les personnes prenant part à l'opération, en dehors des cinq témoins et du libripens, que la femme et is cujus in manum convenit (2).

J'admets parfaitement cette solution lorsque la femme est sui juris; mais j'ai peine à croire que, fille de famille, elle pût encore se vendre ellemême avec le simple consentement du paterfamilias. Puisque le mari va acquérir sur la femme les droits qui appartenaient au père, il est tout naturel de supposer que celui-ci intervienne directement pour en opérer la cession.

Faut-il admettre, avec d'autres interprètes, que dans la coemptio la femme jouait en réalité un double rôle, et que, après avoir été achetée, elle devenait acquéreur à son tour?

Un passage d'Isidore semblerait justifier cette (1) Gaius, 1, 123. (2) Gaius, I, 113.

manière de voir : « Antiquus nuptiarum ritus erat quod se maritus et uxor invicem emebant, ne videretur ancilla uxor (1). » Mais il faut remarquer que Gaius, bien mieux au courant de l'ancienne coutume romaine, ne nous dit pas un mot de cette acquisition du mari par la femme, qui ne me paraît guère conforme aux idées des anciens Romains.

Peut-être du reste ceux qui veulent nous montrer la femme comme se vendant elle-même, ou comme jouant à son tour le rôle d'acheteur, sontils, sans s'en apercevoir, poussés par le désir d'atténuer le caractère humiliant de cette vente solennelle de la femme. Mais il ne faut pas s'y tromper, la coemptio n'avait pour celle-ci rien de dégradant; si la forme nous choque aujourd'hui, elle n'avait en réalité aucune influence fâcheuse sur la situation de la femme, dont le sort n'était point, nous pourrons nous en convaincre bientôt, aussi misérable qu'on se l'imagine tout d'abord.

Le mari pouvait acquérir la manus sur sa femme par une année de cohabitation continue, lorsque le mariage avait eu lieu sans confarreatio

(1) Cpr.également Boèce, Commentaires sur les Topiques de Cicéron, 2.«< Coemptio certis solemnitatibus peragebatur et sese in coemendo sic interrogabant; vir ita: an sibi materfamilias esse vellet; illa respondebat velle; item mulier interrogabat an vir sibi paterfamilias esse vellet; ille respondebat velle, itaque mulier in viri conveniebat manum..... »

ni coemptio. C'était une sorte d'acquisition de la femme par usucapion; l'usus, c'est le terme consacré, remplaçait alors l'acquisition par vente.

Je serais assez porté à croire que les filles de famille pouvaient seules tomber in manum mariti par l'usus, et voici pourquoi. Il est certain que la conventio in manum figurait au premier rang parmi les actes pour lesquels l'auctoritas des tuteurs était toujours requise. Or on comprend très bien que, lors de la confarreatio ou de la coemptio, le tuteur ait pu venir habiliter la femme en prononçant les mots sacramentels « auctor; fio » mais on ne voit pas comment l'intervention du tuteur, donnant son consentement dans les termes que je viens d'indiquer, aurait pu se produire alors que la manus ne résultait d'aucun acte positif, mais d'une inaction prolongée de la femme (1). Cette manière de voir se trouve d'ailleurs très nettement confirmée par un passage de Cicéron « In manum, inquit, convenerat nunc audio. Sed quæro utrum usu an coemptione: usu non poterat, nihil enim de tutela legitima sine omnium tutorum aucioritate potest deminui (2).

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Gaius nous apprend qu'un passage de la loi des XII Tables permettait à la femme d'échapper

(1) En ce sens, Accarias, I, 120 note; Demangeat, I, p. 311.

(2) Cic., Pro Flacco, 34.

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