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elle est en effet frappée d'une incapacité perpétuelle.

Cette incapacité n'est point d'ailleurs spéciale à la femme mariée, elle frappe toutes les femmes sui juris sans distinction; je n'ai point à m'en occuper ici.

SECTION IV

Condition de la femme au point de vue des mœurs.

Nous connaissons maintenant la situation faite à la femme par le droit de l'ancienne Rome; nous avons vu combien cette situation était misérable. Si elle échappait à la puissance paternelle ou à la tutelle de ses agnats, ce n'était que pour tomber in manum mariti, c'est-à-dire pour être livrée sans défense au despotisme d'un mari qui acquérait sur elle droit de vie et de mort. On peut dire sans exagération que son incapacité et sa servitude ne finissaient qu'avec sa vie.

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Mais si, laissant de côté les documents législaparvenus jusqu'à nous, nous recherchons ce qu'était en réalité la femme dans la vie sociale, nous serons étonnés de voir combien elle était au contraire puissante et vénérée. « Ce n'est plus alors, dit M. Gide, dans son admirable ouvrage sur la condition de la femme, l'esclave impuissante et opprimée, c'est la matrone, la

mère de famille, vénérée des esclaves, des clients, respectée de son mari, chérie de tous, maîtresse dans la maison, et en dehors étendant son influence jusqu'au sein des assemblées populaires et des conseils du Sénat (1). » Je voudrais pouvoir citer tout entières les belles pages de notre maître regretté, dont je ne suis ici que le bien indigne interprète.

Les textes s'accordent tous à nous montrer la femme sous ce jour favorable. « Quem enim Romanorum pudet uxorem ducere in convivium? aut cujus non mater primum locum tenet ædium ? » écrivait Cornélius Népos (2), et Plutarque (3) nous montre le consul et les licteurs se rangeant sur le passage de la mère de famille.

C'est ici le moment de nous rappeler la définition de Modestin que j'ai citée en commençant, et dans laquelle le jurisconsulte nous montre le mariage établissant entre les époux une communauté complète de tous les intérêts temporels et religieux. Cette communauté d'intérêts se révèle en effet à chaque instant, dans tous les détails de la vie. C'est ainsi que nous voyons la femme partager le rang social de son mari, offrir, comme le chef de famille lui-même, les sacrifices aux dieux

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Lares (1); présider aux travaux intérieurs des esclaves, el rivaliser de zèle et d'activité avec son époux pour augmenter les richesses de la fa1. ille (2). C'est elle qui a la garde de toutes les choses les plus précieuses, des registres domes tiques, de l'argent de la maison (3). N'est-elle point d'ailleurs la maîtresse partout où son mari est maître?« Ubi tu Gaius, ibi ego Gaia, » dit ia nouvelle épousée en arrivant au seuil de la maison. C'est à peine si la mort parvient à briser cette association si parfaite: «..... Neque patrimonii nostri, quod adhuc fuerat commune separationem facturam; nihil sejunctum, nihil separatum te habituram (4)....... » A un autre point de vue, la situation de la femme n'était point aussi effacée qu'on pourrait le croire tout d'abord.

En droit, il ne pouvait évidemment pas être question pour la mère d'exercer, à un titre quelconque, la puissance paternelle sur ses enfants; la puissance paternelle étant exclusivement réservée aux hommes. Bien plus, nous avons vu le législateur tenir si peu compte de la maternité légitime, que la femme qui n'était point entrée dans la famille de son mari par une conventio in

(1) Macrobe, I, XV, 22.

(2) Columelle, XII, pr.

(3) Polybe, VI, 53; Servius, Ad neid., I, vers 730. (4) Inscription de Thuria.

manum, demeurait étrangère à ses enfants auxquels elle n'était point appelée à succéder. Cependant il est certain, des textes nombreux nous l'attestent, qu'en fait, la situation de la mère n'était point du tout ce qu'elle était en droit: la mère était, de la part de ses enfants, l'objet du plus grand respect; elle dirigeait leur éducation tant qu'ils étaient en bas âge, et, parvenus à l'adolescence, ils restaient encore longtemps soumis à sa surveillance et à son autorité (1).

L'influence de la femme ne s'exerçait pas seulement à l'intérieur du foyer domestique; nous voyons à chaque instant les femmes, bien qu'exclues de toute participation aux affaires publiques, jouer un rôle considérable dans l'histoire de l'antique cité.

« Partout, s'écriait le vieux Caton, exagérant une idée vraie, les hommes gouvernent les femmes, et nous, qui gouvernons les hommes, nous sommes gouvernés par nos femmes (2).

Et maintenant, si nous nous demandons comment la femme, malgré l'assujettissement dans lequel les lois l'avaient maintenue, occupe néanmoins dans la société une position si haute, nous trouvons l'explication de ce remarquable con

(1) Tacite, Dialog., 26; Pline, Epist., VII, 24; Horace, Od., III, VI, vers 29-32.

(2) Plutarque, Reg. Apophtheg., édit. Didot, III,

p. 240.

traste dans la rigidité primitive des mœurs. Si le mari est investi des droits les plus étendus, il n'est point à craindre qu'il fasse mauvais usage de son autorité. Sans doute, il est le maître, la loi ne le frappera pas pour avoir abusé de son pouvoir, mais au-dessus de la loi, il y a l'opinion publique, il y a la crainte d'encourir le blâme du censeur dont la mission est précisément d'empêcher les abus, qui viros edoceat mulieribus moderari (1); car, pour les vieux Romains, si soucieux de leur honneur, ce blâme est une flétrissure. Et d'ailleurs la conduite de l'épouse dont les textes s'accordent tous à nous faire l'éloge (2), ne devait-elle pas tout naturellement commander le respect et la vénération? Quoi d'étonnant dès lors à ce que la femme n'ait point eu à souffrir de l'antique rudesse d'une législation où cependant la force était le symbole ordinaire du droit ?

(1) Cic., De Rep., IV, 6.

(2) Dans les inscriptions funèbres nous trouvons à chaque instant les épithètes de lanifica, pudica, domiseda. Voy. Orelli, no 4639.« Domum servavit, lanam fecit. » Orelli, n°4848.

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