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SECTION II

Transformation de la dot.

Lorsque le mariage eut perdu à Rome son caractère d'indissolubilité primitive, l'intérêt de la femme, toujours exposée à une répudiation, s'opposait à ce que les biens par elle apportés à son mari lui demeurassent définitivement acquis de là, la disparition de la manus; de là, aussi, une transformation complète des caractères de la dot.

Les dispositions nouvelles que nous allons rencontrer sont toutes inspirées par la même idée : mettre un frein à la corruption croissante des mœurs en poussant les citoyens au mariage. Il faut que les filles soient dotées, il faut en outre qu'une fois dotée la femme soit assurée de retrouver sa dot, afin de pouvoir, si son premier mariage vient à être dissous, en contracter un second; telle est, en deux mots, la clef de toutes les innovations du droit classique en matière de dot.

Il faut que les filles soient dotées. Dans l'ancienne Rome, la constitution de dot avait été, nous l'avons vu, tout d'abord chose fort rare. Cependant, au fur et à mesure que la manus tom

bait en désuétude, la dot prenait une extension rapide, et ne tardait pas à remplacer une institution surannée; dès l'avènement de l'empire, la substitution était déjà complète.

Ce qui était en usage ne tarda pas à devenir une nécessité légale : désireux d'atteindre à tout prix le but qu'ils s'étaient proposé, les empereurs païens ne craignirent pas d'imposer au père de famille l'obligation de doter ses filles en puissance, portant ainsi un rude coup à la souveraineté de l'autorité paternelle (1). Quant aux femmes sui juris qui désiraient se constituer une dot, elles purent contraindre leurs tuteurs à les y autoriser (2); et l'on vit parfois jusqu'à l'Etat doter de ses deniers des filles indigentes (3).

Une fois dotée, il faut que la femme soit assurée de retrouver sa dot. De là quantité de dispo sitions législatives, que l'on peut, ce me semble, grouper de la manière suivante :

1° Mesures destinées à permettre à la femme de poursuivre le remboursement de sa dot;

2o Mesures destinées à prévenir la dissipation de la dot de la part du mari pendant le mariage;

(1) L. 19 D., XXIII, 2.

(2) L. 12 § 3 D., XVI, 7.

(3) Gide, Condition privée de la femme, p. 160.

3o Mesures destinées à protéger la dot contre la femme elle-même.

I.-Autrefois, lorsque la femme ou le constituant n'avaient point stipulé la restitution de la dot, elle demeurait définitivement acquise au mari. Peu à peu l'usage s'introduisit pour la femme d'en stipuler la restitution pour le cas de divorce ou de prédécès du mari; et bientôt la coutume venant suppléer à l'imprévoyance des parties qui auraient négligé de faire cette stipulation, une action dite rei uxoriæ fut accordée à la femme de plein droit, à la dissolution du mariage (1).

Si le mariage venait à se dissoudre par le prédécès de la femme, le mari continuait de gagner la dot comme par le passé, le but unique de l'action rei uxoriæ étant de permettre à la femme de se remarier (2).

Remarquons toutefois que, même dans cette hypothèse, la dot ne demeurait au mari qu'à deux conditions: 1o que la restitution n'en eût point été stipulée; 2° qu'elle n'eût point été constituée par un ascendant paternel (dos profectitia) ce dernier, en effet, était admis à réclamer

(1) Ulpien, VI, 6.

(2) Ulpien, VI, 4 et 5.

les biens qu'il avait constitués à sa fille : « Ne filice amissæ et pecuniæ damnum sentiret (1).

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Du moment que la dot doit être restituée à la femme à la dissolution du mariage, sa destination ne peut plus être, comme par le passé, de subvenir aux dépenses du ménage, et d'assurer l'avenir des enfants; ce second but, pour être complètement atteint, exige en effet que la dot soit pour toujours acquise au mari. Il ne faut rien exagérer cependant, et les enfants n'eurent point autant à souffrir qu'on pourrait le supposer de la législation nouvelle.

Le plus grand préjudice résultant pour eux de la restitution de la dot était la perte de la chance qui leur était jadis offerte de recueillir dans la succession paternelle une partie de la fortune de leur mère, fortune à laquelle ils n'avaient plus dès lors aucun moyen de parvenir. Le sénatusconsulte Orphitien, en les appelant à l'hérédité maternelle, fit disparaître cet inconvénient (2).

A un autre point de vue, il était à craindre que le mari, par suite du retrait de la dot, ne se trouvât dans une situation trop précaire pour pouvoir faire face aux dépenses d'entretien et d'éducation des enfants. Aussi, lorsque s'intro

(1) L. 6 D., XXIII, 3.

(2) Voy. infrà.

duisit l'usage de stipuler la reprise, la femme déclarait-elle communément qu'elle s'en rappor terait, quant à l'étendue des restitutions à faire, à l'arbitrage d'un homme de bien; et l'action rei uxorice, organisée d'après ce qui se passait habituellement dans la pratique, laissait à cet égard au juge une latitude à peu près discrétionnaire, uli æquius melius. Plus tard, la jurisprudence s'étant fixée, les causes qui autoriseraient le mari à garder une partie de la dot furent déterminées à priori, et nous voyons figurer en première ligne la retentio propter liberos (1).

Il n'entre point dans mon sujet d'insister autrement sur l'étendue des restitutions imposées au mari; il y a là une foule de détails auxquels une étude d'ensemble sur la condition de la femme n'a rien à gagner. Il est cependant une autre cause de retentio qu'il convient de signaler ici, je veux parler de la retentio propter mores (2). Toujours poussés par le désir de moraliser des sujets corrompus, les empereurs païens avaient cru trouver un excellent moyen de parvenir à leur but, en infligeant à la femme coupable d'inconduite. la perte d'une partie de sa dot. Nous avons vu que, de son côté, le mari se trouvait frappé pécuniairement lorsqu'il avait occasionné le divorce.

(1) Ulpien, VI, 8 et suiv.

(2) Ulpien, VI, §§ 9 et 12.

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