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néanmoins l'action du ministère public à l'initiative du ministre de la Justice qui, avisé du jugement passé en force de chose jugée, aurait prescrit de poursuivre. C'est cette dernière condition qui fit repousser l'article par la Chambre des députés. Cette intervention du ministre de la Justice était contraire à la dignité du parquet. Du reste pourquoi attendre que le jugement soit passé en force de chose jugée? Ne vaut-il pas mieux intervenir dans l'instance même et terminer le tout par une seule décision ?

Mais, qu'on le remarque, l'utilité de l'intervention plus ou moins directe du ministère public fut hautement proclamée. « L'article (celui qui fut définitivement voté) est d'une haute utilité. Il peut éteindre cette calamité de procès qui s'attachent avec taut d'abondance aux brevets d'invention. En effet, on n'a rien fait lorsqu'on a attaqué un brevet et fait procurer la déchéance. Celui qui a gagné son procès s'entend avec celui qui a perdu pour exploiter ensemble l'objet de l'invention. C'est le public seul qui perd son procès, car malgré la déchéance prononcée le monopole continue et de nombreux procès surgissent de toutes parts. C'est un fléau auquel il fallait mettre un terme et c'est pour cela que nous proposons d'autoriser le ministère public, toutes les fois qu'il y aura des causes graves de déchéance, à requérir l'anéantissement complet du brevet, de telle sorte qu'il n'y ait plus aucune contestation possible avec qui que ce soit. On peut s'en rapporter à la prudente sagesse et à la réserve des magistrats pour être sûr que cette intervention ne sera pas intentée à la légère et multipliée outre mesure. »

Après avoir, en citant les paroles du rapporteur, justifié ce nous semble, la disposition de la loi, il nous reste à voir

plus en détail les attributions du ministère public en ce qui concerne la demande en nullité ou déchéance d'un brevet d'invention.

Le ministère public peut jouer un double rôle. D'abord toute demande en nullité ou déchéance doit lui ètre communiquée, il doit donner ses conclusions. Mais il ne joue là qu'un rôle accessoire, comme cela lui arrive dans un certain nombre d'affaires, entre autres celles qui intéressent les incapables.

Il peut aussi remplir un rôle plus actif, devenir luimême un des plaideurs engagés dans le débat. « Dans toute instance tendant à faire prononcer la nullité ou la déchéance d'un brevet, le ministère public pourra se rendre partie intervenante et prendre des réquisitions pour aire prononcer la nullité ou la déchéance absolue du brevet. Il pourra même se pourvoir directement par action principale pour faire prononcer la nullité dans les cas prévus aux numéros 2, 4 et 5 de l'article 30», dit l'article 37. Ainsi le ministère public peut se pourvoir par action principale ou par voie d'intervention. Il peut prendre l'initiative de la demande et assigner lui-même le breveté, ou bien encore il peut attendre qu'un procès soit entamé par des particuliers et se rendre partie intervenante et requérir une nullité absolue dans l'intérêt de la société.

Le ministère public ne peut se pourvoir directement que dans trois cas déterminés : 1° Quand la découverte n'est pas susceptible d'être brevetée parce qu'elle a pour objet des compositions pharmaceutiques ou des remèdes de toute espèce, ou bien encore des plans et combinaisons de crédit ou de finances; 2° quand l'invention est contraire à l'ordre ou à la sûreté publiques, aux bonnes mœurs ou aux lois de l'État; 3° quand le titre sous lequel le brevet a été

DROIT FRANÇAIS.

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demandé indique frauduleusement un objet autre que le véritable objet de l'invention. On a considéré que ces différents cas intéressaient l'ordre public plus particulièrement, et qu'il ne pouvait être question d'attendre qu'une demande soit intentée par un particulier.

Dans tous les autres cas le ministere public ne peut que se rendre partie intervenante, quand il le juge à propos. En effet, on ne saurait obliger le ministère public à demander la nullité de tous les brevets qui sont soumis aux tribunaux. Dans quelles actions cette intervention estelle possible? Dans toute instance tendant à faire prononcer la nullité ou déchéance d'un brevet, nous dit la loi. Par conséquent peu importe que ce soit une demande principale ou reconventionnelle; peu importe encore que la partie ait formellement conclu ou non à la nullité du brevet, pourvu qu'il puisse résulter du jugement chose jugée sur cette question.

Le ministère public, partie intervenante, prend place dans l'instance à coté de la partie qui a entamé le procès. Il joue lui-même le rôle de plaideur principal et non pas accessoire. Donc si le demandeur se retire du procès, se désiste de la demande, cela n'aura aucune influence sur le droit du ministère public qui pourra seul continuer l'instance et faire prononcer la nullité absolue. Pour la même raison, le ministère public peut encore seul interjeter appel de la décision rendue par le tribunal de première instance. Il est admis, en effet, que l'accord intervenu entre le demandeur et le défendeur ne peut préjudicier aux droits de la partie intervenante.

De cette décision nous tirerons une conséquence: c'est que la partie qui a gagné son procès contre le ministère

public doit lui signifier le jugement afin de faire courir les délais d'appel (1).

Nous avons supposé le ministère public intervenant en première instance. Pourrait-il intervenir pour la première fois en appel? Il faut répondre négativement. Ce serait priver injustement le défendeur des deux degrés de juridiction; ce serait de plus contrevenir aux termes de l'article 486 du Code de procédure civile, qui ne permet l'intervention en appel que de la part de ceux qui auraient le droit de former tierce opposition, et le ministère public n'a certainement pas ce droit (2).

(1) Il est à peine nécessaire de faire observer qu'en appel le membre du parquet chargé de prendre la parole pourrait soutenir une prétention opposée à celle du procureur de la République.

(2) Cette attribution du ministère public dans les instances en nullité ou déchéance de brevets d'invention a fait naître une question intéressante en ce qui concerne les frais de l'instance. Qui les supportera? Pas de difficulté, si le ministère public triomphe : le breveté payera les frais d'après la règle générale.

Si le breveté, au contraire, gagne son procès, sera-t-il néanmoins obligé de payer les frais du procès qui lui a été injustement intenté? cela serait injuste quand le ministère public agit par voie d'action principale et directe; la plupart des auteurs pensent que le Trésor devra acquitter tous les fra's. Sans doute, dans notre législation, le ministère public n'est pas d'ordinaire condamné aux dépens, mais ici nous sommes en présence d'une action civile qui lui est donnée dans des formes et des conditions tellement exceptionnelles qu'on peut admettre une derogation au principe du droit commun qui affranchit des depens le ministère public. Cette solution s'inspire de raisons d'équité d'une force réelle et nous croyons qu'elle doit être admise. (En ce sens M. Pouillet, n° 616; M. Nouguier, no 631; M. Renouard, no 202.- Contra: M. Duvergier.)

Supposons maintenant que le ministère public figure comme partie intervenante: les frais de l'intervention devront-ils incomber

2o Voyons maintenant qui sera défendeur dans cette intance en nullité ou déchéance. Nous nous occuperons d'abord des cas dans lesquels la demande est formée par un particulier, puis nous verrons les dérogations apportées à ces règles par suite de l'intervention du ministère public ou quand c'est lui qui intente la demande principale. Les différences entre ces deux cas s'expliquent toutes par ce principe que la nullité prononcée en faveur d'un particulier n'est que relative.

a.- La demande en nullité émane d'un simple particulier. Si nous supposons qu'au jour de la demande, c'est le breveté lui-même où ses héritiers qui sont propriétaires du brevet, ce sera contre eux que la demande sera intentée. Dans le cas où le breveté aurait cédé son droit en totalité à un tiers, l'action sera intentée contre ce cessionnaire, qui tient la place du breveté.

La difficulté augmente quand le breveté a cédé une partie seulement de ses droits à un tiers, ou quand il a cédé son brevet par parties à différentes personnes. On peut intenter la demande contre celui-là dont on craint le droit, qui peut un jour ou l'autre poursuivre en contre

au demandeur principal en nullité? La question est encore douteuse. Les frais doivent être à la charge du Trésor, disent quelques auteurs, parce que l'intervention spontanée du ministère public ne doit jamais aggraver la position des demandeurs qui n'avaient pas le droit de s'y opposer. Il nous paraît, au contraire, que le demandeur a dû prévoir que son action allait provoquer l'intervention du ministère public: il a par son initiative exposé le breveté à un danger et occasionné des frais; l'équité n'est donc pas blessée si on condamne ce demandeur à payer tous les frais qui n'auraient pas été faits sans sa demande téméraire. Nous pensons donc que le Trésor ne supportera pas les dépens si le ministère public n'a succombé que comme partie intervenante.

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