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par exemple, attribuer le caractère d'une telle possession au seul fait que le tiers poursuivi en contrefaçon, se serait occupé à une époque plus ou moins éloignée de l'application de principes et de moyens analogues à ceux du brevet: une demande de preuve d'un fait semblable n'aurait aucun caractère de pertinence et devrait être repoussée (Rejet, 11 juillet 1857, Ann. de la propr. ind., 1857, 321). Il faut en troisième lieu que l'exception soit opposée par celui-là même qui possédait avant le brevet. Le possesseur

ne

serait pas autorisé à concéder à des tiers le droit dont il jouissait lui-même. Si l'on décidait que le possesseur a le droit de faire participer les tiers à son droit, on aboutirait à ce résultat que le possesseur pourrait faire complètement échec aux droits du breveté. Il a été jugé notamment que le possesseur ne pourrait s'en prévaloir en qualité d'administrateur d'une société (Douai, 19 juillet 1859, Ann. de la prop. ind., 1860, 214).

Le droit que nous reconnaissons au possesseur antérieur sera d'ailleurs précaire et d'un exercice assez périlleux. Chaque fois que des poursuites en contrefaçon seront dirigées contre lui, il devra opposer l'exception de priorité et faire chaque fois la preuve que les faits qui lui sont reprochés se rattachent au droit que lui procure sa possession antérieure; de là une insécurité complète pour son exploitation, qui le déterminera souvent à renoncer à son droit moyennant une certaine somme ou à acquérir une licence dans des conditions plus avantageuses.

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5o Des causes de la publicité. — La publicité, lorsqu'elle est suffisante, entraîne, avons-nous dit, la nullité du brevet sans distinguer de quelle manière la divulgation s'est produite ou de qui elle émane. Si la communication de l'invention n'a pas été faite volontairement par l'inventeur,

DROIT FRANÇAIS.

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mais surprise à sa confiance par la déloyauté d'un tiers, la nullité n'en doit pas moins être prononcée. La loi ne fait pas de distinction l'invention n'est plus nouvelle lorsque, par un moyen quelconque, le public a pu la connaître. On comprend, en effet, que les causes de la publicité n'intéressent pas les tiers; c'est le fait seul de la connaissance de l'invention qui fonde leurs droits... Tant pis pour le breveté qui a mal placé sa confiance et se sait exposé par l'infidélité d'un ouvrier à être dépouillé du profit de son invention: il devra se borner à une action en dommages et intérêts contre les auteurs ou complices de la fraude; il ne saurait avoir la prétention de faire un nouveau traité avec la société, puisqu'il est hors d'état de lui offrir quoi que ce soit en échange du monopole qu'il réclamerait d'elle. Cette doctrine, qui est celle de M. Pouillet et de la majorité des auteurs (1), a cependant trouvé des contradicteurs. C'est d'abord M. Dalloz, qui la repousse complètement; il s'appuie sur le texte de l'article 43, duquel il résulte, à son avis, qu'un inventeur peut, au moins en certains cas, être valablement breveté, alors même qu'antérieurement à la demande en brevet il y aurait eu divulgation par suite d'une infidélité commise à son préjudice. M. Ruben de Couder (n° 520) dit également de son côté : « La loi voit dans la publicité une présomption d'abandon de son droit de la part de l'inventeur; mais une révélation que les plus sages précautions ne sauraient prévenir, due à une infidélité, à un vol, au moment même où l'auteur de la découverte se dispose à contracter avec la société, ce n'est pas là ce que la société entend opposer à l'inventeur. »

(1) M. Nouguier, no 510. M. Renouard, no 46. MM. Rendu et Delorme, no 435.

Cette opinion se fonde, avons-nous dit, sur l'article 43 de la loi de 1814. M. Dalloz, appliquant ce texte à une exploitation antérieure à la demande de brevet, considère cette exploitation comme une contrefaçon. « S'il y a contrefaçon, dit-il, c'est que le brevet est valable. » Ce raisonnement nons semble erroné. L'article 43, en effet, suppose que l'exploitation s'est produite après la demande de brevet, car il ne peut être question de contrefaçon tant que le brevet n'a pas été obtenu, cela est évident. Il s'agit dans le texte d'un ouvrier qui a connu, non pas les secrets de l'invention, car le brevet les a révélés, mais les procédés particuliers qui permettent d'obtenir une exécution plus parfaite de l'invention. La loi punit plus sévèrement celui qui, connaissant les procédés décrits au brevet, a pu acquérir dans les ateliers de l'inventeur une habileté plus grande dans la fabrication du produit breveté.

La jurisprudence des cours d'appel semble s'être formée dans le sens du système que nous venons de combattre ; plusieurs fois la Cour de Paris a consacré en termes absolus l'opinion de M. Dalloz sans cependant fonder sa décision sur les mêmes motifs (voir notamment un arrêt du 10 mai 1856, Dalloz, 1857, 2, 21) (1). Toutes ces décisions. s'inspirent assurément de louables sentiments d'équité, mais elles nous paraissent contraires au texte de l'article 31 et aux principes généraux de la législation des brevets. Quelle que soit la gravité des motifs en faveur d'une solution qui protège les droits du breveté, on ajoute aux termes de l'article 31 en se préoccupant des causes qui ont rendu publique la découverte.

(1) Voir en ce sens également un arrêt de la Cour d'Aix du 11 novembre 1863, Ann. de la propr. ind., 1865, 325.

« La société, dit à ce sujet M. Bédarride (no 393), qui trouve dans sa main un avantage matériel est en droit de s'en servir tant qu'un contrat intervenu entre elle et l'inventeur n'est pas venu suspendre l'exercice de ce droit. On ne saurait lui reprocher ni de n'être pas remontée à l'origine de la publicité dont elle profite, ni de s'être abstenue d'en rechercher les causes: elle ne pouvait ni ne devait le faire. >>

M. Blanc (1) propose de tempérer la rigueur de cette solution par une distinction : « Si un inventeur, au lieu de se faire breveter, dit-il, préfère une exploitation clandestine, et que, pendant le cours de cette exploitation, un ouvrier infidèle livre son secret, l'inventeur alors ne peut plus être breveté et si le brevet a été pris postérieurement à cette divulgation, il est radicalement nul. L'inventeur n'a pas voulu livrer son secret à la société en échange de la protection qu'elle lui promettait; la société ne lui doit rien. Mais si la divulgation a eu lieu pendant le travail d'invention, pendant les essais, à une époque rapprochée de la prise des brevets, il serait injuste d'attribuer l'invention au domaine public; ce serait livrer sans défense les inventeurs aux indiscrétions et aux infidélités des agents qu'ils sont obligés d'employer pour la confection de l'objet à breveter : ce serait paralyser l'invention. >>

Il nous paraît difficile, nous l'avouons, de concilier la distinction de M. Blanc avec les termes généraux de l'article 31. Ce texte ne distingue en aucune façon si l'invention était exploitée par l'inventeur ou seulement sur le point de l'être, si la révélation a précédé la demande de près ou de loin. Et nous ne voyons pas quel peut être le

(1) M. Blanc, Traité de la contrefaçon, p. 474.

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fondement de cette distinction. M. Blanc considère sans doute celui qui exploite secrètement comme ayant une sorte de faute à se reprocher; il a préféré aux avantages du brevet cette exploitation clandestine: il n'a pas voulu faire profiter la société de sa découverte la société l'en punit en lui retirant sa protection. Or rien n'est moins vrai que cette idée: la propriété du secret de fabrique est aussi respectable que celle du brevet; la société du reste la protège en attribuant à l'inventeur des dommages et intérêts; mais elle ne peut pas faire fléchir en sa faveur le principe de la liberté du travail et lui concéder un monopole en échange duquel il n'a plus rien à offrir. La situation du deuxième inventeur est donc identique à celle du premier, et rien ne justifie la faveur que lui accorde M. Blanc. Concluons donc que l'invention divulguée frauduleusement cesse d'être nouvelle et que dès lors toute personne peut en principe se prévaloir de la nullité du brevet soit par voie d'action, soit par voie d'exception.

Il nous reste à voir si l'auteur ou le complice de la divulgation frauduleuse peut tirer profit de l'invention et l'exploiter. L'ouvrier infidèle peut-il invoquer la fraude qu'il a commise, pour s'en faire un titre contre le breveté? Ne peut-on pas plutôt lui opposer l'adage: Nemo auditur propriam turpitudinem allegans? C'est dans ce second sens que nous tranchons la question, et nous décidons, en conséquence, que le divulgateur ou son complice ne peut arguer de la publicité donnée à l'invention pour faire prononcer la nullité du brevet ou pour échapper aux poursuites en contrefaçon (1). Cette opinion est, du reste, admise par bon nombre d'auteurs et notamment par MM. Rendu (p. 149),

(1) Paris, 10 mars 1856, Ann. de la propr. ind., 1856, 217.

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