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C'est un axiome que les lois et les mœurs diffèrent d'un peuple à un autre, d'un temps à un autre. Même ce qui était autrefois une chose naturellement impossible, nous l'avons déjà dit, peut aujourd'hui être une chose très possible et peut être d'un usage quotidien. Trois points doivent nous occuper sur l'art. 1172 : 1° Qu'est-ce que la condition;

2° Que devons-nous entendre par une condition impossible ou contraire aux lois ou aux mœurs;

3° Quel est l'effet d'une pareille condition quand elle affecte une convention.

1. DÉFINITION DE LA CONDITION

Aux termes de l'art. 1168, l'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera

pas.

Cet article définit à la fois la condition suspensive et la condition résolutoire. Dans le premier cas, c'est l'existence de l'obligation elle-même qui est suspendue; dans le second, l'obligation existe dores et déjà, mais sa résiliation est incertaine jusqu'à l'arrivée ou jusqu'à la non arrivée de la condition. Dans ce cas, pura est obligatio sed sub conditione resolvitur, disaient très juridiquement les Romains. La condition résolutoire est donc une condition suspensive qui affecte la

résiliation. Il est donc plus juridique de dire contre les auteurs du Code qui distinguent deux espèces d'obligations conditionnelles, qu'il y a une seule espèce de condition qui suspend, soit l'existence de l'obligation, soit sa résolution (1).

La condition et la cause de l'obligation. - Nous avons vu la définition de la condition. Demandons-nous ici ce qu'est la cause d'une obligation? ce n'est que le motif juridique pour lequel on s'oblige.

Il faut bien distinguer la condition dans une obligation et la cause de l'obligation. Il n'est pas toujours facile de faire cette distinction qui ne manque pas d'utilité dans les contrats, mais qui présente un intérêt considérable dans les dispositions testamentaires (art. 900). En effet, la condition illicite comme la cause illicit e, a pour effet d'annuler le contrat. A ce point de vue on peut dire qu'il n'y a pas d'intérêt à distinguer la cause de la condition.

Mais il y a une utilité considérable à faire cette dis tinction dans les obligations mêmes, parce que la condition illicite a pour effet seulement d'annuler le con

(1) Là dessus tous les auteurs sont d'accord, même Pothier que les rédacteurs du Code ont copié: Des Obligations, nos 198 et 224; Marcadé, t. IV, p. 454, no 1. Colmet de Santerre, t. V, p. 143, no 84 bis; Demolombe, t. XXV, p. 272, no 279 et p. 274, no 280. Pourtant il est bon de lire aussi Laurent, t. XVII, p. 50 et 51 qui cite tous ces auteurs et ajoute une utile observation sur la netteté du langage dans la science du droit qui est une science essentiellement logique.

trat, tandis que la cause illicite le rend inexistant (article 1108).

« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet, » nous dit l'art. 1131.

Et l'art. 1133 ajoute : « La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »

Dans les dispositions à titre gratuit, l'intérêt de la distinction est beaucoup plus considérable, parce que la cause illicite rend la libéralité même inexistante, tandis que la condition illicite est réputée non écrite, et la disposition reste valable. C'est pourquoi nous exposerons longuement et séparément la théorie de la cause, en parlant des donations et des legs.

II. DES CONDITIONS IMPOSSIBLES, CONTRAIRES AUX LOIS OU AUX MOEURS

CONDITION IMPOSSIBLE

Nous n'avons pas à répéter ici ce que nous avons dit en détail au droit romain.

J'enregistrerai la même définition et les mêmes divi

sions.

La condition est impossible lorsque le fait mis in conditione ne peut pas s'accomplir soit à cause d'un obstacle physique, naturel, soit à cause d'un obstacte juridique, légal, de sorte que la condition ne pourrait

s'accomplir que par un changement dans la législation. Condition naturellement impossible.-Voici des exemples donnés par M. Laurent, d'après les auteurs anciens et modernes (t. XI, p. 576):

<< Si vous touchez le ciel du doigt.

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« Si vous faites un tableau ou une statue, alors que vous n'êtes pas artiste. »>

<< Si un soldat amputé recouvre l'usage de sa jambe.»> « Si vous faites un monument funéraire en trois jours.»>

<< Si vous buvez toute l'eau de la mer. »

« Si les hommes cessant de marcher sur leurs pieds, marchent sur leur tête. >>

L'imagination la moins féconde serait capable, certes, de donner des exemples beaucoup plus plaisants.

Nous ne savons, dirai-je avec M. Laurent, si nos pères ajoutaient de pareilles clauses à leurs actes juridiques; s'ils le faisaient, nous sommes plus sages qu'eux, car on chercherait vainement une de ces niaiseries juridiques dans nos recueils de jurisprudence. Et les auteurs feraient bien de rester sur le terrain de la réalité, au lieu de donner carrière à leur imagination. C'est discréditer notre science que de faire croire qu'elle s'occupe de ces folies.

Passons.

Condition juridiquement impossible.

aussi imaginer nombre d'exemples.

On peut ici

« Si vous émancipez votre fils à l'âge de dix ans.

« Si vous mariez votre fille à l'âge de douze ans. » La condition de faire une chose impossible naturellement ou juridiquement, peut se présenter sous une forme positive : « Si vous touchez le ciel du doigt; » ou sous une forme négative: « Si vous ne mariez pas votre fille à l'âge de douze ans. » Nous allons voir que les effets en seront différents, selon que l'on aura adopté l'une ou l'autre de ces formes.

Une impossibilité peut être absolue, telle que personne ne puisse l'accomplir: « Si vous buvez toute l'eau de la mer ; » ou bien elle peut être relative, telle que l'accomplissement en soit possible seulement pour autrui: faire un tableau. Ici aussi les effets seront différents.

CONDITION CONTRAIRE A LA LOI OU AUX MOEURS

Il est impossible de faire l'énumération complète des conditions contraires à la loi. On procède par voie d'exemples en cette matière et non pas par voie d'énumération.

Contraire à la loi, telle n'est pas toute clause qui déroge à une disposition de la loi; surtout en matière de contrats, les particuliers sont les meilleurs juges de leurs propres intérêts, le législateur lui-même le dit: les parties peuvent déroger à la loi (art. 1387). La liberté est de l'essence des conventions.

Toutefois, il faut faire quelques distinctions. S'agit-il

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