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rédiger un projet de Code civil. Voici ce que nous lisons dans le livre préliminaire, titre IV, art. 6 du projet: « Les lois prohibitives emportent peine de nullité, quoique cette peine n'y soit pas formellement exprimée. » Mais cela a disparu dans la rédaction définitive. Cependant, cette même règle est admise par la doctrine et par la jurisprudence. Et, en effet, cette décision me paraît très fondée. Le législateur en formulant une prohibition a exprimé presque complètement sa volonté, il veut que cela soit suivi : l'autorité de la loi, le respect qu'on doit à la volonté générale, ne permettent pas aux particuliers de la violer. Entre deux juges qui se prononcent sur une disposition : l'un le législateur qui prohibe et l'autre le particulier qui enfreint la prohibition, le premier qui est le mandataire légal de tous, doit l'emporter.

On ne peut pas, rationnellement, supposer que le législateur se soit mis en contradiction avec lui-même d'une manière aussi flagrante : comment prohiber un acte, et puis le laisser valable lorsqu'on vient l'accomplir!

A l'appui de cette manière de voir j'ajouterai un argument de texte : La femme, pour être relevée de son incapacité de femme mariée, doit avoir l'autorisation de son mari.

La femme ne peut ester en jugement... sans l'autorisation de son mari (art. 215).

La femme ne peut donner, aliéner... sans le con

cours du mari dans l'acte, ou son consentement par écrit (art. 217).

Et puis, la loi ne dit nulle part que la nullité soit la sanction de ces dispositions. Mais l'art. 225 suppose la nullité, en indiquant qu'elle ne peut être invoquée que par certaines personnes déterminées : « La nullité fondée sur le défaut d'autorisation ne peut être opposée que par la femme, par le mari, ou par leurs héritiers.

J'ajouterai enfin un motif tiré des débats qui ont eu lieu à l'occasion de la confection de la loi : l'article 1388, conçu en termes assez généraux dispose: « Les époux ne peuvent déroger ni aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, ou qui appartiennent au mari comme chef, ni aux droits conférés au survivant des époux par le titre de la puissance paternelle et par le titre de la minorité de la tutelie et de l'émancipation, ni aux dispositions prohibitives du présent Code ». Nulle part la loi ne parle de la nullité en cas de dérogation à cette prohibition. Lors de la discussion de cet article au Conseil d'Etat, Bérenger et Bigot-Préameneu proposèrent d'exprimer dans le Code, la sanction, la nullité, mais cela fut rejeté. Qu'en résulte-t-il? L'article 1388 applique le principe de l'art. 6, lequel implique nullité comme nous l'avons vu, donc l'art. 1388 implique lui aussi nullité.

Nous sommes

arrivés maintenant à établir une

règle en cette matière; toutes les fois que la loi exprime: Que telle personne ne peut pas faire tel acte, Que telle chose ne peut pas se faire,

Qu'il est défendu à telle personne de faire tel ac e... Les expressions ne peut, il est défendu... ont l'effet d'une disposition prohibitive; et les dispositions prohibitives entraînent nullité.

Dispositions impératives en dehors des cas où l'ordre public et les bonnes mœurs sont intéressés. Quelquefois la loi ne se sert pas de la forme prohibitive que nous avons vue, mais elle emploie le langage suivant:

Tel acte doit être fait dans telle forme (art. 1326).

Tels actes seront rédigés dans telle forme (art. 1394). Telles formalités doivent être observées dans tels actes (art. 1001).

Ce sont, ce qu'on appelle, des dispositions impératives dans une loi.

Si nous observons bien, ces dispositions peuvent être très facilement rédigées dans la forme prohibitive: Tel acte ne doit être fait que dans telle forme;

Tels actes ne seront rédigés que dans telle forme; Ou bien, pour me servir des mots que la loi emploie dans la forme prohibitive:

Tel acte ne peut être fait que dans telle forme; Tels actes ne pourront être rédigés que dans telle forme.

Que devons-nous décider relativement aux dispositions impératives? Il m'est très difficile d'appliquer

ici, sans réserve, la théorie de Merlin sur les dispositions prohibitives. Les auteurs font ici une distinction très admissible sur les formalités. Il y a, disent-ils, des formes substantielles et des formes accidentelles que la loi exige dans les actes juridiques. Les premières constituent la substance de l'acte, sans elle l'acte est non existant; les secondes n'entraînent la nullité de l'acte que lorsque nous trouvons dans la loi une clause irritante (Merlin, Question de droit, v° Mariage. § 3, no 1; Répertoire, v Nullité, § 1, n° 5; v° Inscription hypothécaire, § 5, n° 3; Arrêt célèbre, Cass. 22 avril 1807).

Objections à la théorie de Merlin sur les dispositions prohibitives. Toullier est l'un des plus grands jurisconsultes qui ont combattu avec beaucoup de soin et de force la théorie de Merlin. La loi 5 du Code Justinien, dit-il, est une loi positive dont l'autorité n'est pas obligatoire en France. Est-elle fondée sur la nature des choses? Non. Dans toutes les législations existent et ont existé des lois prohibitives qui laissent subsister les actes faits contre la prohibition, la simple défense donc, même absolue, n'a point par elle-même et sans clause irritante, la force d'annuler les actes contraires. Dans le Code civil on trouve toujours ou presque toujours la clause irritante ajoutée aux dispositions prohibitives que le législateur a voulu faire observer sous peine de nullité (art. 896, 943, 1001, 1097, 1098, 1099, 1596, 1597, 2063, etc.). Au contraire, on trouve des

dispositions prohibitives qui n'annulent pas les actes (art. 228, etc.).

J'aurais voulu donner au moins un résumé de tout ce que Toullier invoque à l'appui de son opinion dans les n° 491 jusqu'au no 524 surtout, du septième volume de son ouvrage classique de droit civil, mais cela m'est impossible dans ce travail, je ne prendrai donc que quelques objections parmi celles que les jurisconsultes ont faites à la théorie de Merlin pour voir jusqu'à quel point elles sont fondées.

Première objection. - Si les dispositions prohibitives emportent nullité sans que la loi le dise, alors il faudrait admettre la même théorie pour les dispositions impératives, parce que, dans le dernier cas aussi, la loi quelquefois implique la nullité (art. 1325, 1326, 1394, 1395).

On peut, je crois, répondre facilement à cette objection: s'il y a des dispositions impératives qui emportent nullité, cela prouve qu'au fond elles sont prohibitives, et comme telles, entraînent la nullité, cela confirme la théorie de Merlin, loin de l'affaiblir.

Deuxième objection. Si les dispositions prohibitives par elles-mêmes entraînent nullité, pourquoi la loi exprime-t-elle quelquefois la sanction de la nullité? N'est-ce par a contrario que la nullité n'existera pas dans les cas non exprimés (art. 943, 896, 1596, 1597,

Je répondrai que dans certains cas la loi a exprimé

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