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le promettant s'oblige est un prix donné pour enfreindre la loi positive ou la loi morale, tout est nul.

Quid si la condition illicite qui a pour objet le fait du stipulant, consiste in non faciendo? Exemple : « Me promettez-vous cent francs si je ne commets. pas tel délit?» La question est controversée.

Sur l'effet de la condition sous la forme négative la loi ne s'explique que pour le cas de la condition impossible; « la condition, dit l'art. 1173, de ne pas faire une chose impossible ne rend pas nulle l'obligation contractée sous cette condition. » Que faut-il décider dans le cas d'une condition illicite sous la forme négative? Dans Pothier nous trouvons ce cas aussi bien que le contenu de l'art. 1173, mais les rédacteurs du Code civil n'ont rien dit sur la condition illicite négative, d'où la controverse. Les uns veulent s'en tenir à l'article 1173 parce que la loi ne parle que de ce cas. Pour la condition illicite négative ils s'en remettent à la sagesse des juges. Et cela peut être soutenu même en suivant Pothier. Il dit : « La condition de ne pas faire une chose contraire aux mœurs ou aux lois peut rendre l'acte nul. >>

Voici la distinction que font les partisans de cette opinion: « Il convient, disent-ils, à cet égard, de distinguer entre les conditions véritablement immorales ou illicites, en ce qu'elles tendent à encourager l'immoralité ou la désobéissance à la loi, et celles qui, ayant au contraire pour objet d'assurer le respect de la loi ou

des bonnes mœurs, ne présentent rien de répréhensible. Les premières seules rendent nuls les actes auxquels elles ont été ajoutées; les secondes ne portent aucune atteinte à la validité des obligations qui s'y trouvent soumises, et opèrent à l'instar de toute autre condition valable» (Aubry et Rau, Droit civil français d'après la méthode de Zachariæ, 4° édition, t. IV, p. 65).

Il faut donc examiner en fait, d'après le but que les parties se sont proposé, si la condition est ou n'est pas en effet, immorale ou illicite; si l'on reconnaissait que, en contractant l'obligation, le promettant s'est proposé de détourner le stipulant d'un acte illicite ou de l'engager à faire une bonne action, la convention est valable (Demolombe, XXV, p. 300).

C'est la théorie des Romains (Bufnoir, op. cit, p. 34, L. 123 Dig., XLV, 1. LL. 9 et 27, pr. XXVIII, 7; L. 7, § 3, II, 14, etc.) que nous avons déjà exposée à sa place, mais pour notre temps cette distinction ne me paraît plus admissible.

C'est une vieille et mauvaise morale, que celle d'habituer les hommes par des récompenses pécuniaires à faire le bien. La morale agit sur les hommes pour leur inspirer le sentiment du devoir, pour purifier leurs mours, pour leur apprendre qu'ils doivent faire le bien pour une considération plus élevée que l'intérêt pécuniaire, que le vil prix ou le mesquin avantage résultant d'un contrat, l'homme doit faire le bien sans qu'il soit intéressé par la cupidité, mais pour la paix

de sa conscience et pour éviter la sanction de la loi morale qui le punira infailliblement dans la société où il vit.

Je suivrai donc sans hésiter l'avis de M. Laurent et de M. Larombière. Voici comment s'exprime le premier: « C'est une mauvaise morale que celle qui cugage à remplir ses devoirs par l'appât d'une somme d'argent; la morale ne doit jamais ressembler à un trafic; ceux qui ne remplissent leurs devoirs que par l'espoir d'une récompense sont des mercenaires. Il ne faut donc pas habituer les hommes à spéculer sur l'accomplissement de leurs devoirs. La vraie moralité exige que l'on s'abstienne du mal, parce que c'est le mal, comme on doit faire le bien parce que c'est le bien. Tel est l'idéal, et il appartient au législateur d'élever la moralité des hommes: il doit bien se garder de l'abaisser » (XVII, no 48). .

M. Larombière s'exprime dans le même sens : «... S'il était permis, dit-il, de stipuler, par des conventions privées, la non violation des règles qui garantissent les bonnes mœurs, l'ordre public, les plus précieux intérêts sociaux, ce serait chercher, au-dessous de la loi et dans la force d'un contrat, ce qu'une puissance suprême a déjà consacré... Le législateur a voulu épargner à la société le scandale de débats qui, étant soulevés en vue de vérifier l'accomplissement de la condition, aboutirait toujours à des enquêtes sur les actes de toute une vie privée, à des accusations qu'au

cune prescription ne saurait repousser, et souvent à des calomnies, qui s'autoriseraient du droit sacré de la défense... Je ne puis donc apposer ces conditions à un contrat, si vous êtes ou si vous n'êtes pas adultère... Je ne puis, en un mot, vous inviter ou vous obliger à ne point enfreindre, pas plus qu'à enfreindre les principes de morale, d'ordre et d'intérêt public. Stipuler qu'elles ne seront pas violées, c'est déjà les violer » (t. I, art. 1172, n° 9. Contra, Demolombe, XXV, n° 306; Colmet de Santerre, V, n° 93 bis, 1).

2o La condition illicite a pour objet le fait du promettant, futur débiteur : « Si je commets tel acte contraire à la loi ou aux bonnes mœurs, je vous promets

cent. >>

Les auteurs sont conséquents avec eux-mêmes la question ici a le même aspect, est analogue à celle que nous avons examinée plus haut; elle doit avoir la même solution.

Les auteurs qui donnent effet à la convention dans des pareils cas, partent du principe très clairement posé par mon excellent maître M. Bufnoir, dans son ouvrage sur la Théorie de la condition (page 34).

«La condition est illicite ou immorale, dit mon savant professeur, quand elle imprime à l'acte où elle intervient, un caractère tel que l'opération, dans son ensemble, soit réprouvée par les règles de la loi morale ou de la loi civile ; ce n'est pas à la nature du fait, dont l'accomplissement ou le non accomplissement forme

l'objet de la condition, qu'il faut s'attacher pour savoir si celle-ci est contraire aux lois ou aux mœurs; c'est au but poursuivi par la partie qui a imposé la condition (page 34).

Le grand jurisconsulte français, M. Demolombe, invoque encore les traditions juridiques Papinien prenant l'exemple d'une obligation contractée par le promettant sous cette condition: si je suis adultère, répond que l'obligation est valable.

Enfin le même auteur se sert d'un motif de texte en soutenant que la loi elle-même établit des conditions de ce genre; c'est ainsi qu'elle dispose que la donation entre-vifs sera révocable si le donataire commet un acte d'ingratitude envers le donateur (art. 953).

Cette dernière objection ne me paraît pas décisive. Le droit romain connaissait la révocation de la donation pour cause d'ingratitude. Elle a été introduite d'abord pour les donations de patron à affranchi; ces donations étaient toujours révocables, par la suite on décida qu'elle ne le seraient que pour ingratitude ou survenance d'enfants. Justinien généralisa. L'art. 953 n'est que la reproduction des règles antérieurement admises (Frag. Vat.. § 172; L. 1 et 10, De revoc. don., VIII, 155, Code. M. Bufnoir à son cours sur l'art. 953). Quant aux traditions juridiques, nous répondons avec M. Laurent que l'autorité de Papinien ne doit plus être opposable aujourd'hui. Ce jurisconsulte stoïcien, quelque éminent que fût son

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