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sens moral, n'avait pas la délicatesse de conscience qu'une religion spiritualiste et une civilisation progressive ont développée chez les peuples chrétiens. Quand il s'agit de bonnes mœurs, ce n'est pas chez les anciens que nous devons chercher nos autorités; il faut nous inspirer des sentiments de l'humanité moderne (Laurent, XVII, no 49. Contra, Colmet de Santerre, loc. cit.). 3o La condition illicite a pour objet le fait d'un tiers. « J'achète votre maison, si le navire que j'attends d'Asie n'est pas capturé par des pirates. >>

Sur ce cas, tout le monde est d'accord. Il ne s'agit pas ici d'une condition immorale imposée à quelqu'un, mais d'un véritable événement futur et incertain; l'art. 1172 n'est pas applicable; la convention est parfaitement valable. Ce n'est là autre chose, en droit, qu'un contrat d'assurance contre le préjudice qui pourra résulter pour la partie qui sera la victime du méfait commis par le tiers, c'est-à-dire un contrat parfaitement licite et valable (Demolombe, XXV, n° 307).

Parfois, en pratique, les questions se présentent avec quelques complications, de sorte qu'il est difficile de voir s'il y a un contrat à titre onéreux ou une libéralité. Il faut donc voir si l'acte fait sous une condition impossible, contraire à la loi ou aux mœurs, est une convention à titre onéreux, tombant sous le coup de l'art. 1172, qui annule l'acte même, ou bien s'il n'y a pas là une libéralité que nous devons maintenir, en effaçant seulement la condition conformément à

l'art. 900. Dans tous ces cas qui peuvent se présenter en pratique, nous avons plutôt une question de fait, laissée à l'appréciation du juge, qu'une règle de droit qu'on puisse établir a priori. Exemple : Une mère qui se démet de la tutelle de sa fille et qui rend compte à un nouveau tuteur constitue une dot à cette fille sous la condition qu'elle ratifiera le compte irrégulier de tutelle. Avons-nous ici une libéralité (la dot) faite sous une condition contraire à la loi (ratifier un compte irrégulier de tutelle), de sorte que la constitution de dot reste valable et la condition seule soit effacée, ou bien avons-nous un contrat à titre onéreux? Il a été jugé par la Cour de Pau que l'acte était un de ces contrats commutatifs innomés participant du contrat de bienfaisance et du contrat à titre onéreux où l'une des parties en retour de l'avantage qu'elle procure, s'assure un avantage réciproque et où l'autre partie en retour du bienfait qu'elle reçoit, promet un fait personnel. La Cour suprême a admis cette vue (Pau, 3 mars 1869; Cassation, arrêt de rejet, 21 décembre 1869; Laurent, XVII, no 50).

Des questions innombrables peuvent se présenter sur l'art. 1172. Mais toutes ces questions se posent plus fréquemment et plus pratiquement dans la matière des donations et des legs. En commençant immédiatement à traiter cette matière, nous allons voir spécialement la plupart des cas importants qui se sont déjà présentés devant les tribunaux.

On peut transporter facilement toutes ces hypothèses dans la matière des contrats et se demander quels sont les effets des conditions qui nous occupent dans les diverses conventions.

Quant aux principes déjà posés sur les différentes espèces de conditions, nous nous dispenserons de les mentionner de nouveau.

DISPOSITIONS ENTRE-VIFS OU TESTAMENTAIRES

Aux termes de l'art. 900 du Code civil: « Dans toute disposition entre-vifs ou testamentaire, les conditions impossibles, celles qui seront contraires aux lois ou aux mœurs, seront réputées non écrites. » Cette importante disposition de loi, difficile d'ailleurs à justifier place sous l'empire de la même règle, les deux sortes de libéralités que le Code connaît: la donation entre-vifs et les legs. Qu'il s'agisse de l'une ou de l'autre de ces deux sortes de libéralités, si elles sont accompagnées de conditions impossibles ou illicites, elles restent valables, les conditions sont réputées non écrites. Comment justifier cette disposition considérable de la loi?

Dans les travaux préparatoires du Code civil on ne trouve rien de concluant à cet égard.

Quelque chose de plus : il en est résulté, dit Toullier, non pas une antinomie, mais une disparate choquante entre les art. 900 et 1172; et M. Maleville observe avec

beaucoup de raison, que l'art. 900 est du nombre de ceux qui doivent éprouver une réforme dans la revision du Code.

Pourquoi donc un legs fait sous une condition impossible ou illicite serait-il valable?

Pourquoi la donation est-elle assimilée aux legs au point de vue des effets des conditions impossibles et illicites?

Si pour un moment nous faisons absolument abstraction d'une époque lointaine, dans laquelle l'historien trouve une société dont les lois et les mœurs étaient bien différentes de nos lois et surtout de nos mœurs;

Si d'un autre côté, nous essayons de faire abstraction d'une époque exceptionnelle dans l'histoire de France, époque de convulsions politiques, pendant lesquelles la volonté du pays légalement et légitimement manifestée, veut abandonner le passé et en craint le retour; époque de reconstitution sociale où les lois ne procèdent pas toujours de la raison juridique, du droit rationnel, mais s'inspirent de la raison d'Etat ;

Si, dis-je, nous faisons abstraction de ces époques et de ces circonstances qui nous sont étrangères, rationnellement que pourrions-nous dire pour justifier la décision de la loi?

Nous répondrons plus tard à cette question. Nous verrons les appréciations de ceux qui, contemporains aux rédacteurs du Code, ont subi la première impression de la décision prise par le législateur.

Immédiatement après la confection des Codes, la France est illustrée par des jurisconsultes célèbres qui commentent cette grande loi: Merlin, Toullier, Duranton, qui, aujourd'hui comme il y a 50 ou 60 ans comptent encore parmi les jurisconsultes les plus distingués. Nous verrons ce qu'ils disent sur notre question. Il est toujours bon de tenir compte du jugement de ceux qui subissent la première impression d'un grand événement, c'est très significatif; ils ont vécu dans la même société, ils ont connu ses besoins, leurs interprétations sont les plus naturelles, instinctives même, elles ne sont pas faussées par les subtilités ingénieuses et hardies que le temps produit en donnant naissance à des esprits remarquables qui s'évertuent à donner à tout prix à la loi une explication, explication plutôt idéale que conforme à la volonté du législateur.

Si nous ouvrons les volumineux et remarquables ouvrages des jurisconsultes cités, nous verrons que tous critiquent la disposition de la loi; tous la considèrent comme surannée, et ils n'aperçoivent aucun motif plausible de la justifier.

Notre tâche, par conséquent, n'est pas bien difficile. Ce que nous voulons justement démontrer dans ce travail, c'est que des quatre époques dans lesquelles nous avons envisagé la théorie des conditions impossibles, contraires aux lois ou aux mœurs dans les divers actes juridiques, en droit romain tout est justifiable, vu leurs mœurs; dans l'ancien droit français, les effets

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