Page images
PDF
EPUB

pétitions écrites, t. II, n° 529, et les auteurs cités : Bugnet, Demolombe).

Étrange témoignage ! Le donataire sait que la condition est impossible ou illicite, mais il se garde bien de contredire le donateur de peur que le gain ne lui échappe; dans cette situation délicate il use de réticences, il fait un compromis avec sa conscience : il sait que la condition est immorale, mais comme la loi ne croit pas utile de lui imposer quelque vertu, il accepte la donation et la condition immorale, puis il n'exécute pas la condition, le donateur est joué, le donataire profite. La loi donnerait une prime à la ruse du donataire. Est-ce là une interprétation juridique de l'intention du donataire? Dans ce système, la volonté du donateur n'est-elle pas viciée par le dol, par la ruse, par la tromperie du donataire? Non, certes: ce système ne peut être soutenu, il faut nécessairement supposer que le donataire, tout comme le donateur, ne sait pas que la condition est impossible, contraire à la loi ou immorale. Plaçons-nous dans cette hypothèse supposons que ni l'un ni l'autre ne fussent certains que la condition était impossible ou illicite, ils n'ont rien à se reprocher, le donateur a voulu avant tout faire une libéralité et s'il est possible obtenir l'accomplissement de telle condition; mais si elle est impossible, illégale ou immorale, effaçons la condition et maintenons la disposition, c'est la volonté du bienfaiteur. Pourquoi annuler l'acte même ?

Nous répondons on devra annuler l'acte pour deux motifs.

a. Si on n'est pas sûr de la légalité de l'acte on est en faute, personne n'est censé ignorer la loi.

b. Pourquoi annuler l'acte ? Pour rentrer dans le droit commun, dans l'esprit général de la loi. Si le législateur avait traité les donations avec quelque faveur, on aurait pu dire que nous avons dans notre question un cas d'application de la faveur exceptionnelle accordée aux donations, mais le Code, dans toutes ses dispositions autres que l'art. 900 est sévère pour les donations: elles doivent être faites avec des formalités solennelles, sous peine de nullité, ne peuvent avoir pour objet que des biens présents, etc.

Il n'y a donc pas de motif pour interpréter la volonté du donateur autrement que celle d'un autre contractant.

Si la loi avait assimilé les donations aux autres contrats, quel en aurait été le résultat? Le langage du donataire aurait été plus moral et légal; la position du donateur aurait été nette et claire.

Ils ne savaient ni l'un ni l'autre que la condition apposée annule l'acte, ils n'ont qu'à refaire la donation. Si au moment où l'on s'aperçoit de la nullité, l'un ou l'autre est déjà mort, il n'y a pas grand mal, ce n'est qu'une donation de moins. Si le donateur seul savait que la condition annule l'acte, il a voulu badiner ou faire un acte illégal ou immoral. Quant à la consi

dération que le donataire, comptant sur la libéralité s'est engagé dans des entreprises et que la répétition de la donation peut lui causer un préjudice, on peut l'écarter parce que la mauvaise foi du donateur constitue à sa charge un délit. Si le donataire avait connu le vice juridique de la condition, son langage aurait été plus moral. « Je n'accepte pas la donation, aurait-il dit, avec cette condition, parce que la loi annule l'acte tout entier et que je suis exposé à me voir dépouillé, sinon par vous, du moins par vos héritiers, faites-moi la donation pure et simple ou ne me donnez rien.

Dans le système de la loi, l'art. 900 encourage les donations. Le législateur se met en contradiction avec lui-même, car, en règle générale, il n'encourage pas les donations.

Il me reste à parler d'un danger invoqué par les partisans du système que je combats: si la donation, dit-on, est nulle, le donataire se décidera à exécuter la condition pour échapper à l'action en répétition de la part du donateur. Je réponds :

1° Qui assure qu'il ne sera pas actionné en répétition quand même il aurait exécuté?

2 Si le donateur ne veut plus lui réclamer la donation, parce qu'il a exécuté la condition, qui garantit au donataire qu'il ne sera pas contraint de restituer la libéralité, par les héritiers du donateur? Le bénéficiaire donc n'est pas à l'abri, même en exécutant, le danger donc n'est pas considérable.

Les auteurs qui soutiennent l'opinion que nous avons combattue, arrivent eux-mêmes à des déductions qui apportent certaines limitations importantes à l'application de l'art. 900.

Voici, d'après M. Demolombe, quatre de ces limitations. L'art. 900 ne serait pas applicable :

1° Si la condition apposée à la donation entre-vifs ou au testament, était telle que l'on dût considérer que le disposant n'était pas sain d'esprit ;

2° S'il résultait de l'acte et des circonstances du fait que le disposant a voulu, au contraire, subordonner sa libéralité à la condition qu'il y a mise;

3° Si la prétendue libéralité n'était au fond qu'une convention à titre onéreux;

4° Enfin, si l'impossibilité de la condition ayant été ignorée du disposant, et connue du gratifié, qui se serait néanmoins obligé à l'accomplir, on trouvait dans ce fait et dans les autres circonstances qui s'y pourraient joindre la preuve que la libéralité est l'œuvre du dol et de la fraude (Demolombe, t. XVIII, n° 205). Deuxième explication.

de la part du donateur.

[ocr errors]

La présomption d'erreur Cette explication est beaucoup moins fondée pour les donations que pour les legs.

Les parties sont en présence d'un notaire qui peut les prévenir de leur erreur.

Si l'erreur n'est découverte qu'après que l'acte a été fait on n'a qu'à le refaire; ce qui arrive en général

pour toutes les donations faites sans les formalités rigoureuses que la loi exige pour leur perfection.

L'idée d'une peine pro

Troisième explication. noncée contre le disposant. Non seulement cette opinion aurait le défaut de se prononcer contre la volonté du disposant, pour le punir, mais, comme nous l'avons déjà vu, le donataire, en exécutant, n'est à l'abri d'une poursuite en répétition ni de la part du donateur, ni surtout de la part de ses héritiers et par conséquent il n'est pas beaucoup encouragé à exécuter.

On ajoute que si la condition seule est annulée, le donateur ne pourra plus tenter un autre donataire moins scrupuleux qui exécuterait la condition. Mais il n'est pas difficile de répondre que le cas contraire peut tout aussi bien se présenter: pourquoi ne pas annuler la première donation vis-à-vis d'un donataire moins scrupuleux qui peut exécuter la condition immorale?

On détournerait plus sûrement de son but le donateur qui peut-être rencontrera à l'avenir un donataire beaucoup plus honnête.

L'art. 900 ne peut donc s'expliquer rationnellement et juridiquement ni pour les legs ni pour les donations.

Pourquoi donc a-t-il trouvé place dans le Code? Estce une simple inadvertance de la part du législateur ? Dans les travaux préparatoires on ne trouve aucune discussion qui puisse nous éclairer, mais la rédaction si formelle et si précise de l'art. 900 et l'état antérieur de la législation nous font décider que le législateur a

« PreviousContinue »