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voulu la disposition dont nous parlons. Il l'a voulu, parce qu'il l'a trouvé dans la législation de l'époque révolutionnaire, il l'a voulu peut-être, parce que l'époque de la confection du Code n'est pas trop distante du temps de crainte qui a motivé la loi politique des 5-12 septembre 1791 reproduite deux fois dans l'an II, il l'a voulu enfin parce que les rédacteurs étant appelés dans un temps très court à faire un travail considérable, comme la rédaction de tous les Codes, n'ont pas eu le temps de se rendre compte de l'exactitude juridique et rationnelle de chaque question, ils ont dû ainsi rester servilement attachés aux décisions antérieures, comme un serf à la glèbe, d'après l'expression énergique de Toullier.

Nous avons vu comment l'art. 900 est expliqué et approuvé par plusieurs jurisconsultes.

Nombre d'auteurs n'approuvent pas la décision de l'art. 900 en son entier. D'autres, tout en faisant des distinctions, maintiennent la conclusion de la loi pour les dispositions de dernière volonté et ils la repoussent pour les donations.

Voyons maintenant, comme nous l'avons promis, l'opinion de ces grands jurisconsultes qui, immédiatement après la confection du Code ont illustré la France par leurs commentaires. Nous devons tenir grand compte de leurs décisions. Ils sont les contemporains des rédacteurs du Code, ils ont subi la première impression de la décision prise par le législateur; ils con

naissent en même temps les besoins de leur époque, ils peuvent nous apprendre si quelque motif plausible peut être invoqué en faveur de la décision de la loi.

Mais nous devons nous empresser de mettre en tête l'observation de Maleville lui-même, l'un des rédacteurs du Code. Il observe, avec beaucoup de raison, que l'art. 900 est du nombre de ceux qui doivent éprouver une réforme dans la revision du Code (Toullier, loc. cit.).

« Ce n'est pas toutefois, dit Merlin, que nous regardions la disposition de l'art. 900 comme bien raisonnable; elle nous paraît au contraire être une des taches qui déparent le plus le Code civil.

<< Il est étonnant que le Code civil, art. 900, ait non seulement maintenu cette disposition du droit romain, en ce qui concerne les testaments, mais encore qu'il l'ait déclarée commune aux donations entre-vifs.

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Appliquée aux donations entre-vifs, qui sont de véritables contrats, elle forme une antinomie bizarre avec l'art. 1172, qui déclare nul tout contrat auquel est apposée une condition impossible ou immorale. Et appliquée aux testaments, elle n'en est pas plus judicieuse; ; car rien de plus futile que les prétextes dont ont cherché à l'étayer les jurisconsultes qui avaient asservi leur propre raison à toutes les subtilités des lois romaines (Répert. de Jurisprud., v° Condition, p. 190).

Toullier,contemporain des rédacteurs du Code nous avoue que les motifs politiques de l'époque révolution

naire n'existent plus, cela nous ôte tout soupçon qu'en 1804 on craignait encore les souvenirs odieux d'un passé rejeté. Quant aux motifs juridiques il est frappé par la faiblesse des raisonnements de ceux qui soutiennent que la condition impossible ou malhonnête doit être réputée non écrite dans les testaments. Le légataire ne peut avoir de droit que par la volonté libre, sérieuse et positive du testateur. Il faut interpréter cette volonté. Or, dans la condition impossible on ne doit voir qu'un jeu ou une absence complète du sens commun; il n'y a qu'un insensé qui puisse croire à la possibilité d'une pareille condition, il n'est pas sain d'esprit, il faut appliquer l'art. 504, attaquer l'acte pour cause de démence, lorsque la preuve de la démence résulte de l'acte même qui est attaqué. Si le testateur était sain d'esprit et s'il a mis une condition impossible à son legs, il en résulte évidemment qu'il n'a pas voulu donner. - Les jurisconsultes qui admettent le contraire restent servilement attachés aux décisions du droit romain, comme un serf à la glèbe. Plusieurs législateurs voisins ont rejeté ces distinctions entre les dispositions testamentaires et les conventions. Quant aux conditions contraires aux lois ou aux bonnes mœurs, l'avantage que peut procurer le don ou le legs, peut déterminer le donataire à faire pour les conserver ce qu'il n'aurait pas fait si la condition ne lui en avait pas été imposée. Il y aurait donc toujours gène dans l'exercice de la liberté quoiqu'il n'y eût pas privation

totale. Enfin cette disposition laisse aux tribunaux une latitude arbitraire. En somme, il en résulte non pas une antinomie, mais une disparate choquante entre les art. 900 et 1172 (Toullier, op. cit., no 244 à 248).

Enfin, pour arrêter la liste, qui est considérable, des auteurs qui blament la disposition de l'art. 900, j'ajouterai l'opinion de M. Laurent qui est d'autant plus importante, qu'il formule une proposition très admissible sur les dispositions qui concernent l'ordre public. «< Si on laisse de côté, dit M. Laurent, les lois politiques pour ne considérer que les dispositions d'intérêt privé, la critique que la plupart des auteurs font de l'art. 900 est parfaitement fondée. Nous entendons parler, non seulement de l'assimilation que la loi fait entre les donations et les testaments, mais de la règle telle qu'elle nous a été transmise par le droit romain. La faculté de tester n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était à Rome. Nous ne connaissons plus la majesté du père de famille; elle s'en est allée avec les autres majestés. Qu'est-ce le droit de tester dans notre droit moderne? Domat nous le dit : c'est une exception à la règle........ Dans des cas rares, le testateur corrige ce qu'il y a de relativement inique dans la loi; il est censé plus sage que le législateur. C'est dire que ses dispositions doivent toujours être dictées par la raison. En est-il ainsi quand il ajoute à sa volonté des conditions impossibles ou illicites? Le testateur qui impose au légataire des conditions que la nature, la morale ou l'ordre social

que

réprouvent, se montre-t-il plus sage que le législateur? La loi doit-elle sanctionner des actes qui sont dirigés contre elle, ou qui n'ont pas de sens, selon que la condition est illicite ou impossible? Evidemment des dispositions pareilles ne répondent pas au but dans lequel le législateur permet au propriétaire de disposer de ses biens. C'est dire que l'on n'est pas dans l'exception, partant on rentre dans la règle, il faut laisser là la succession testamentaire pour revenir à la succession ab intestat. Scinder la disposition, comme le fait l'art. 900, c'est méconnaître la volonté du disposant, puisqu'on elace une condition d'où il faisait dépendre l'existence même de sa libéralité. La maintenir, c'est déroger à la succession ab intestat, contrairement aux prévisions du législateur...Est-ce qu'aujourd'hui nous estimons encore qu'il y a déshonneur à mourir intestat? Ce n'est certes pas là l'esprit que nous avons hérité de nos ancêtres qui ne connaissaient pas même le testament et qui rapportaient à Dieu la succession ab intestat. Donc il n'y a pas lieu de maintenir malgré le disposant un acte qui viole les lois, les mœurs ou la nature; l'art. 900 n'a plus de raison d'être dans nos mœurs. Il n'est juste que dans les dispositions qui concernent l'ordre public » (op. cit., XI, no 431).

Après avoir vu les diverses explications que l'on a données de l'art. 900, et les opinions des auteurs qui combattent cette disposition de la loi, j'arrive à me demander si elle est conforme à l'état et aux besoins de

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