Page images
PDF
EPUB

2o Nous devons examiner préalablement si dans l'espèce il s'agit d'une condition impossible ou illicite, ou bien si la cause de la libéralité est illicite. Dans le premier cas il y a lieu à l'application de l'art 900; dans le second, de l'art. 1131.

3o Dans le cas d'une libéralité sous la forme d'un contrat à titre onéreux sous condition impossible ou illicite, il y a préalablement à rechercher en fait si réellement l'acte, comme il se présente,est une convention qui tombe sous le coup de l'art. 1172, ou bien s'il n'y a là une libéralité, pour suivre la règle de l'article 900.

4° Que faut-il décider dans le cas où un disposant déclare nettement et clairement qu'il tient à l'accomplissement de la condition à tout prix et que sans cela il ne veut pas faire la libéralité?

C'est ici la question de savoir si l'art. 900 établit une présomption, ou bien une simple fiction.

Dans l'opinion de ceux qui expliquent notre article par une interprétation de la volonté du disposant, la libéralité elle-même est nulle. L'art. 900 n'est plus applicable. Les partisans de ce système sont conséquents avec eux-mêmes; mais cette distinction subtile qui repose sur une différence de rédaction de l'acte, me paraît inadmissible. On fait une libéralité sous telle condition, sans rien dire autre chose. On fait une libéralité sous telle condition, en ajoutant que l'on tient à l'accomplissement de la condition, sans quoi on ne veut pas faire la libéralité.

N'est-ce pas la même chose? Le premier a manifesté la même volonté que le second. En ce qui concerne la dernière partie de la seconde disposition, je n'y vois qu'une redondance.

Mais ce n'est pas là la question. Il me paraît que nous sommes en présence de deux volontés : l'une celle du disposant, l'autre celle du législateur. Le premier veut que la condition s'accomplisse, l'autre ne le veut pas. Qui doit l'emporter? Ici je ne m'attends pas à des divergences; ici nous devons tous être d'accord: toutes les fois qu'il s'agit du respect des lois et des bonnes mœurs, le législateur doit l'emporter.

N'est-ce pas là une petite inconséquence de la part des partisans de ce système? Ils soutiennent que la libéralité sous condition illicite ou immorale doit être maintenue, que seulement il faut faire abstraction de la condition. Pourquoi? Pour éviter que le bénéficiaire ne se décide à exécuter la condition immorale, en vue de la libéralité. Dans notre cas, en annulant la disposition même, ne tombent-ils pas eux-mêmes dans le danger qu'ils veulent prévenir?...

Nous croyons que l'art. 900 contient une fiction de non existence de toute condition impossible ou illicite apposée à un acte à titre gratuit : « Seront réputées non écrites ces conditions, » nous dit la loi. C'est l'interprétation la plus facile et la plus rapprochée des expressions du texte.

En outre, elle évite de faire prévaloir l'opinion d'un

particulier sur l'opinion du législateur, ce qui présenterait des dangers supposons une jurisprudence constante en faveur de l'opinion des jurisconsultes que je combats, la déclaration expresse deviendrait de style dans les actes de libéralité, et l'art. 900, quoique existant dans la loi, deviendrait une lettre morte.

C'est pourquoi nous proposons franchement sa suppression, s'il s'agit de modifier la loi; mais en tant que la disposition existe, elle ne doit pas être annihilée par des interprétations subtiles et contradictoires.

CAS D'APPLICATION DE L'ART. 900

La nomenclature de ce qui est contraire à la loi, de ce qui est d'ordre public, d'intérêt général et privé, contraire aux bonnes mœurs, est inextricable. Le législateur ne l'a pas faite, je crois qu'il n'aurait pas pu le faire.

La formule si connue de Bacon: optima lex quæ mi nimum relinquit arbitrium judici, est très raisonnable, mais il Y a des cas où nous devons nous en écarter. Une nation est toujours en mouvement de vie et de progrès, et les progrès, l'histoire nous le montre, devancent les changements de législation.

Si le législateur s'était donné la peine d'énumérer dans la loi les cas impossibles, illicites, immoraux, il aurait pu y avoir lieu à beaucoup de méprises.

Dans les anciens auteurs, dans les ouvrages publiés

avant la découverte de Montgolfier, on trouve comme exemple de conditions physiquement impossibles si vous naviguez dans l'air (Maynz cité).

Les deux fabricants ingénieux, MM. John et William Sligo, distillateurs à Leith, s'aperçurent qu'en diminuant la profondeur de la chaudière et en en augmentant le diamètre, une plus grande surface serait exposée à l'action du feu et que la distillation serait plus rapide. Ils arrivèrent, en effet, par ce moyen, à distiller autant de spiritueux en quelques heures qu'auparavant en une semaine (Paul Leroy-Beaulieu, Traité de la science des finances, t. II. ch. 1x). Depuis lors, ce qui était impossible dans la production devint bien possible

L'ingénieur anglais James Watt, perfectionnant la machine à vapeur on est arrivé depuis lors à aller dans quelques heures de Paris à Marseille, ce qui auparavan! était donné comme exemple de condition impossible.

Jadis le noble encourait la dérogeance lorsqu'il cessait de vivre noblement, notamment quand il faisait le commerce, s'il s'y engageait, c'était une clause à la fois illégale et contraire aux mœurs.

L'idée d'inaliénabilité considérée comme anti-économique dans les sociétés modernes, était autrefois autrement entendue : les propres de famille, les substitutions occupaient une large place dans les institutions sociales qui ont disparu.

Le rôle du législateur n'est donc pas de tout faire; il doit laisser une large latitude d'appréciation à l'intelligence des juges, qui ne doivent jamais oublier ce que nous dit Montesquieu : « Si les tribunaux ne doivent pas être fixes, les jugements doivent l'être à tel point qu'ils ne soient jamais qu'un texte précis de la loi. S'ils étaient une opinion particulière du juge, on vivrait dans la société sans savoir précisément les engagements que l'on y contracte (Esprit des Lois, livre VI, ch. vi).

Voici maintenant le programme suivant lequel nous avons à traiter des différents cas d'application de l'article 900:

I. Nous avons à dire très peu de mots sur les conditions impossibles.

II. Puis, nous exposerons les conditions contraires aux lois ou aux mœurs.

Puisque toutes ces conditions rentrent dans la rubrique générale d' « ordre public, » nous allons faire ici une triple distinction :

1° Cas d'ordre public autres que d'intérêt privé et général, comme par exemple la liberté individuelle, la liberté religieuse, la puissance paternelle.

2° Cas d'intérêt privé et général. Ici nous verrons le rôle des conditions illicites surtout dans les dispositions à titre gratuit qui concernent les biens.

3o Les cas où les conditions apposées aux libéralités sont contraires aux bonnes mœurs.

« PreviousContinue »