Page images
PDF
EPUB

dans cette question. Si on poursuit un but louable, dit-on, pourquoi ne pas respecter la condition? On impose à une mère la condition de ne pas se séparer de ses enfants, à un professeur célèbre de rester dans sa ville natale, à un magistrat de résider pendant sa vie dans telle localité, en qualité de conseiller à la Cour, ou à un serviteur de demeurer avec telle personne pendant qu'elle vivra, à une personne d'aller ou de résider dans un lieu déterminé. Dans tous ces cas, les Romains réputaient la condition valable (L. 73, De cond. et demonstr.). Les anciens auteurs: Ricard, Furgole, aussi, de même de nos jours, il y a des auteurs qui l'admettent comme licite (Toullier, op. cit., t. V, n° 262, 263).

08

Quant à nous, toutes ces conditions nous paraissent procéder des vues étroites des temps anciens, elles restreignent la liberté, prise dans l'acception moderne, et par conséquent nous les estimons illicites.

Je prendrai maintenant deux cas dans la pratique, l'un de l'ancienne jurisprudence et l'autre de 1840.

Ricard nous rapporte un cas de condition qui tendrait à détruire la liberté d'une personne, que le donataire ne sortira pas d'un certain lieu, d'une certaine ville; cette condition doit être réputée non écrite, ditil, parce que, il y va de l'intérêt public de conserver la

liberté des particuliers.

Ricard (Des dispositions conditionnelies, n° 282) rapporte l'arrêt suivant rendu dans ces principes, le 3 juil

let 1614, que je trouve dans Toullier. Jean Demay, natif de Beaune, par affection pour son pays, laisse par son testament à celui de ses deux neveux qui voudrait demeurer à Beaune tous les biens qui lui appartiennent aux environs de cette ville, parce que néanmoins l'aîné serait préféré, s'il voulait se soumettre à cette condition. Cet aîné fut reçu conseiller au Parlement de Toulouse, où il s'établit. Le cadet s'établit à Beaune ; et le père commun, qui était exécuteur testamentaire de l'ordre, le maria avec les biens du testament. On inséra dans le contrat que, sans cela, le mariage n'aurait pas eu lieu. L'aîné soutint que la condition était nulle, comme contraire à la liberté. Ainsi jugé par l'arrêt du 3 juillet 1614.

Voici maintenant le procès qui a eu lieu sous le régime du Code civil. On fait un legs à une personne sous la condition de demeurer en Corse; l'obligation n'était pas perpétuelle et le légataire pouvait s'absenter de temps en temps. La Cour de Bastia par son arrêt du 10 juin 1840 estime la condition licite, le légataire est donc tenu de l'accomplir. Qu'est-ce qu'il fait ? Il vend tous ses biens légués et il quitte la Corse pour l'Italie. Mais il a la prudence de se réserver deux chambres de la maison qu'il était tenu d'habiter en vertu du testament, où il pouvait venir de temps en temps, s'il le voulait. Cela a conduit la Cour de Bastia à dire qu'il n'a pas quitté la Corse sans esprit de retour! Quant à moi, Je ne vois dans la conduite du légataire qu'une inter

prétation vraiment frauduleuse de la volonté du dispo

sant.

b. Liberté des professions. La condition d'embrasser ou de ne pas embrasser telle profession, tel état déterminé, est-elle contraire à la loi ?

La division du travail est aujourd hui une vérité indiscutable. Chaque homme a une mission dans la société, il joue un rôle, il a un métier. Qui décide de la profession que chacun doit embrasser? Le problème ne me paraît pas difficile, c'est une question de liberté individuelle et de penchant naturel. Chacun a ses aptitudes, son application, sa vocation. Celui qui l'entrave commet un attentat contre sa liberté, et par conséquent viole l'ordre public.

La liberté des professions rentre dans le programme de 1789, dans la loi de 1791, elle rentre dans les constitutions de 1793 et de 1795, elle rentre dans le droit public moderne.

Voici comment M. Laurent s'exprime à ce sujet :

<< S'il y a un droit naturel, inaliénable de l'homme, c'est bien celui de suivre sa vocation. De qui la tientil? de Dieu, qui l'a doué de telle faculté et non de telles autres. » Et plus loin, en parlant de la condition d'étudier, il ajoute :

«La condition d'étudier a pour objet la culture de l'esprit, dit Furgole, et de procurer des sujets capables de rendre des services à l'Etat par leur science et leur capacité. Rien de plus vrai quand il s'agit de faire des

études générales qui ont pour objet le développement de l'intelligence. Il n'en est plus de même quand il s'agit d'études professionnelles, comme serait la coudition d'étudier le droit. Il ne faut pas que les libéralités attirent dans les hautes études des jeunes gens que leurs capacités n'y appellent point; déclasser les hommes est un mal pour l'individu et pour la société, parce que les personnes déclassées sont malheureuses et mécontentes; ce sont les prolétaires de l'intelligence, les pires de tous (t. XI, n° 443). »

Voici une espèce importante présentée dans l'ancien droit; un laboureur institue son fils héritier sous la condition qu'il serait aussi laboureur, sinon que sa fille soit héritière. Le fils devint architecte. Le Parlement de Toulouse maintint l'institution.

Comment peut-on justifier cette décision que la condition d'embrasser telle profession est illicite?

Furgole nous donne les meilleures raisons, quoiqu'il critique l'arrêt du Parlement; nous suivrons ses motifs sans admettre son opinion.

Voici comment il justifie l'arrêt : « Tel sera destiné à une profession pour laquelle il n'aura point de goût ni de disposition, et qui pourrait mieux réussir et s'oc cuper plus utilement en suivant son attrait et ses inclinations, qui le portent à une autre » (Des testaments, t. II, chap. vii, sect. п, no 101 et 103).

c. Condition de demeurer avec une personne quelcon-On ne peut pas être astreint à demeurer toute

que.

sa vie avec une personne quelconque; c'est une atteinte à la liberté individuelle.

Aux termes de l'art. 1780, qui se trouve dans la matière du louage d'industrie, on ne peut engager ses services qu'à temps, ou pour une entreprise déterminée.

Un arrêt de la Cour de cassation, du 11 mai 1858, a déclaré illicite et nulle la clause par laquelle un employé qui loue ses services à une maison s'interdit la faculté de prendre en aucun temps et en aucun lieu, après sa sortie de cette maison, un emploi dans une maison exerçant la même industrie (Code Rivière, note sur l'art. 1780).

Cette décision doit être suivie dans tous les actes juridiques.

Voici une espèce présentée devant la Cour de Pau le 2 janvier 1827 : on avait fait une institution contractuelle à deux futurs époux, à la condition qu'ils vivraient avec le disposant, à même pot et feu, en faisant un même ménage. Le but du donateur était de s'assurer des moyens d'existence et des secours pendant sa vie. La Cour décida que la clause était valable.

Nous devons remarquer que dans ce cas nous ne nous trouvons pas en face d'une donation pour appliquer l'art. 900, mais en face d'un contrat à titre onéreux. L'art. 1172 est applicable, la convention tout entière est nulle parce qu'il s'agit d'une aliénation illi

« PreviousContinue »