Page images
PDF
EPUB

ÉPOQUE INTERMÉDIAIRE

Assimilation des donations aux legs, au point de vue de l'effet des clauses impératives ou prohibitives contraires aux lois et aux bonnes mœurs et qui porteraient atteinte à la liberté. Etat des choses et

des esprits pendant la Révolution. Loi des 5-12 septembre 1791. Opinions de Marcadé et de Laurent.

Son but.

[ocr errors]

Depuis le mois de mai 1789, époque du commencement de la grande Révolution française, jusqu'en 1804, date de l'application du Code civil, les nombreuses lois qui furent faites pour correspondre au nouvel état de choses n'apportèrent aucun changement aux lois antérieures,en ce qui concerne les contrats à titre onéreux.

En principe, il n'y a pas eu davantage de changement en ce qui concerne les effets des legs sous conditions impossibles ou illicites.

<«< On pourrait s'étonner, dit Toullier, qu'une erreur démontrée par les progrès de la raison n'ait pas été proscrite par la première Assemblée constituante, qui réunissait tant de lumières; mais elle en fut détournée par les circonstances. >>

Quant aux donations, l'époque intermédiaire, pour la première fois dans l'histoire du droit français, donne jour à des lois qui renversent les principes juridiques antérieurement établis, toutes les fois qu'il s'agit d'un acte à titre gratuit, entre-vifs, fait avec des clauses. impératives ou prohibitives, qui seraient contraires

aux lois et aux bonnes mœurs et qui porteraient atteinte à la lit erté. Ce mot de liberté était pris dans l'acception des lois et constitutions révolutionnaires.

C'est le seul point, presque exclusivement le seul, qui doive m'occuper dans l'époque intermédiaire, point qui ne pourrait être compris si l'on ne connaissait de près l'état des choses et des esprits pendant la Révolution. Mais, pour moi, la solution du droit intermédiaire s'explique très facilement et doit être acceptée par tout homme qui voudra se placer au point de vue du législateur révolutionnaire.

Ma tâche est donc maintenant de retracer avant tout l'état des choses et des esprits pendant la Révolution.

Depuis la célèbre nuit du 4 acût 1789, jusqu'au 3 septembre 1791, l'Assemblée constituante s'occupa, à plusieurs reprises, de formuler les dispositions d'une loi des lois qui formât les bases fondamentales à tous les points de vue sociaux et politiques d'un nouveau monde qui naissait de l'ancienne société.

Je ne chercherai pas avec Burke si « les constituants ont répudié le passé et ont ouvert une maison de commerce sans capital. »

:

Je ne demanderai pas à l'esprit haineux de ce célèbre contemporain des constituants mais que pouvait-on laisser subsister? Rien dans l'ancien régime ne se recommandait par sa nature ni par sa popularité. Les paroisses étaient la proie des intendants, les Etats provinciaux de même, là où il y en avait. Les Parlements

avaient encore quelque vie, mais on empiétait sur leur domaine des évocations à d'autres cours. Ils empar piétaient sur le égislatif par le refus d'enregistrer les ordonnances et par les arrêts de règlement. Enfin, les Etats généraux étaient oubliés depuis 1614. Rien ne vivait et n'agissait que la royauté et ses intendants, délégués, etc..... on ne pouvait s'en tenir à ce pur despotisme. C'est donc à tort qu'on reproche aux hommes de 1789 d'avoir fait table rase (M. Boutmy, Cours d'histoire constitutionnelle. fait à l'école des sciences politiques).

Je ne rechercherai pas non plus avec M. de Tocqueville si cette œuvre de la Constituante aurait pu être faite par la royauté sans la Révolution, si un Frédéric le Grand, monté sur le trône de France en 1750, décidé à faire disparaître l'ancien régime, l'aurait pu faire; si le tiers état lui aurait prêté son concours.

J'envisagerai dans les deux mondes qui se séparent à l'époque dont je m'occupe, les points qui me sont indispensables pour faire connaître l'état des choses et des esprits pendant la Révolution.

Avant 1789, la liberté religieuse n'existait pas en France.

L'art. 10 de la Déclaration des droits de l'homme qui précède la constitution des 3-14 septembre 1791, s'exprime de la manière suivante:

((

<< Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses... >>

Par conséquent, les clauses d'un acte juridique qui porteraient atteinte à la liberté de la croyance, seraient inconstitutionnelles.

L'ancien régime connaissait l'inégalité parmi les hommes. Il admettait légalement les distinctions sociales, les ordres du clergé, de la noblesse, du tiers état.

er

L'art. 1o de la Déclaration des droits de l'homme proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. >>

Conséquence la défense de se marier avec une personne appartenant à telle classe sociale, selon le langage du vieux temps, est nulle comme contraire au nouvel ordre social établi par la Constitution.

Jusqu'à la Révolution, les dignités et emplois publics étaient réservés à ceux qui faisaient partie des classes privilégiées.

Aux termes de la deuxième partie de l'art. 6 de la Déclaration des droits de l'homme : « Tous les citoyens sont admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Il en résulte que toute clause dans un acte juridique qui tendrait à empêcher une personne d'embrasser tel état, telle profession, est contraire à la loi.

Dans l'ancienne France, le pouvoir législatif était aux mains du roi.

La teneur de la première partie de l'art. 6 de la Déclaration des droits de l'homme est la suivante :

«La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. >>

D'où la conclusion que toute restriction apportée dans les actes juridiques à la liberté des citoyens de remplir les devoirs imposés, d'exercer les fonctions déférées par la Constitution aux citoyens actifs et éligibles est nulle comme illicite, portant atteinte au pacte fondamental de la nouvelle France.

Tel est l'état des choses. Ce succinct parallélisme suffit à mon point de vue, je m'arrêterai là.

L'Assemblée de 1789, tout en rédigeant la constitution nouvelle de la France, avait préparé un projet de loi sur les successions; mais le temps ne lui permit pas d'en aborder la discussion (1). On en détacha alors l'art. 32 qui fut voté et décrété séparément après le discours de Barrère au nom du comité de Constitution.

Cet article forme la loi célèbre que je reproduis littéralement.

(1) Pendant la Constituante les coutumes sont encore en vigueur avec toute leur diversité. Néanmoins l'Assemblée toucha au moins indirectement à l'ancien droit de succession. Elle fit disparaître les incapacités. La qualité de serf, l'incapacité de religieux, d'étranger (droit d'aubaine), la confiscation, furent abolis. Toute personne pouvait laisser une succession. La féodalité supprimée, il n'y a plus que la succession roturière. La Constituante établit le partage égal de tous les biens entre tous les enfants. (Voir la grande loi du 15 avril 1790 et la loi du 8 avril 1791).

« PreviousContinue »