hideux, ces excroissances et ces végétations fongueuses, ces ulcères profonds et fétides, qui attristent les regards, qui placent sans cesse la crainte à côté des plus douces illusions de la vie, et qui désenchantent les plus tendres rapports de notre existence fugitive. Qu'il me soit du moins permis de signaler en peu de mots le bel ouvrage que j'ai sous les yeux. Si d'abord j'examine le style, je le vois toujours approprié au sujet. Sévère, aphoristique, dans les définitions, il devient élégant, animé, fleuri, pittoresque dans les descriptions. Est-il encore besoin de remarquer, dans une production de M. Alibert, la pureté de la doctrine et l'exactitude des observations? Ne suffit-il pas de dire que par-tout on reconnaît l'illustre auteur du Traité des fièvres pernicieuses, et des Nouveaux Elémens de Thérapeutique ? A tant et de si précieuses qualités viennent se joindre le luxe typographique, et le chef-d'œuvre ou plutôt les merveilles de la peinture et de la gravure. Ce superbe travail fait le plus grand honneur aux presses de M. Crapelet: il immortalise le pinceau de M. Moreau Valvile, et le burin de M. Tresca. F. P. CHAUMETON. LITTÉRATURE ET BEAUX-ARTS. HISTOIRE LITTÉRAIRE DE L'ITALIE; par M. GINGUENÉ. (TROISIÈME ET DERNIER EXTRAIT.) C'EST dans le treizième chapitre de son ouvrage que M. Ginguené commence à traiter de l'épopée héroïque; et ce chapitre est spécialement destiné à donner une idée des principaux poëmes de ce genre qui ont précédé la Jérusalem Délivrée. Comme ces poëmes sont moins nombreux que ceux du genre romanesque antérieurs au Roland Furieux; comme d'ailleurs le genre auquel ils appartiennent est fondé sur des idées à-peuprès communes à toutes les nations cultivées de l'Europe, cette partie n'a exigé de M. Ginguené ni des développemens aussi étendus, ni des recherches aussi particulières que les préliminaires de l'épopée romanesque. Le treizième chapitre est donc assez court; mais il contient néanmoins tout ce qui était nécessaire ou convenable pour qu'il n'y eût pas de lacune, et pour qu'il y eût proportion entre les diverses parties de l'ouvrage. Une esquisse de la vie du Trissino et l'analyse de son poëme de l'Italie délivrée des Goths en forment l'article principal. M. Ginguené a glissé plus rapidement sur quelques autres poëmes, et même sur l'Avarchide de l'Alamanni. Ceux qui ont lu ou essayé de lire ces ouvrages sauront gré à M. Ginguené de la concision avec laquelle il en a parlé de tels poëmes n'ont guère en effet de plus grand mérite, que celui de provoquer naturellement quelques réflexions utiles sur l'abus et l'inconvenance d'une imitation directe et servile des anciens. A la suite de ces préliminaires, le nom du Tasse se présente; et ce nom réveille et rafraîchit subitement l'attention qui commençait à se fatiguer sur des ouvrages dépourvus de toute invention et de tout agrément. Si le Tasse n'est pas le plus grand poëte de l'Italie, ou, pour mieux dire, celui dont le talent répond le mieux au goût national des Italiens, il est incontestablement celui de tous leurs poëtes le plus généralement connu et le mieux goûté hors de l'Italie, et sur-tout en France. Ce que M. Ginguené avait à dire de lui forme donc la portion de son ouvrage, sinon la plus importante par ellemême, du moins la plus délicate et la plus difficile, comme devant rencontrer le plus grand nombre de juges éclairés ou prétendant l'être. Il suffira d'en donner un aperçu exact, pour montrer qu'elle n'est en rien inférieure à aucune des autres parties les plus distinguées. de tout l'ouvrage. Ce grand article occupe environ les deux tiers du cinquième volume : il est composé des chapitres XIV, XV, XVI et de la presque-totalité du XVIIe. Ces quatre chapitres formeraient à eux seuls un volume d'une éten-. due ordinaire : mais il faut considérer qu'il n'y est pas seulement question de la Jérusalem Délivrée; l'historien y passe en revue tous les ouvrages du Tasse qui appar-tiennent au genre épique, tels que le Rinaldo, la Jéru-‹ salem reconquise, et même les Sept Journées, quoique: ce dernier poëme ne doive point être rangé parmi les épopées, comme M. Ginguené le dit, avec raison, contre l'opinion du Crescimbeni. La vie du Tasse remplit le chapitre XIV. On sait combien cette vie fut agitée, malheureuse et féconde en incidens romanesques. Aussi parmi les poëtes italiens n'y en a-t-il que deux dont l'histoire personnelle présente autant d'intérêt que celle du Tasse; je veux dire. Dante et Pétrarque. Encore faut-il remarquer que la vie du premier ne saurait être complétement éclaircie, faute de matériaux suffisans; et que celle de Pétrarque a été, en quelque façon, trop constamment fortunée, pour. être aussi piquante et aussi touchante que celle du Tasse. Il est donc bien naturel qu'il existe un grand nombre de notices biographiques sur ce grand poëte; mais la très-grande majorité de ces notices, outre le défaut d'être incomplètes, ont le défaut plus, grand de n'être pas suffisamment exactes. L'abbé Serrassi, en don nant une vie du Tasse, semblait ne devoir rien Malgré la persuasion où je suis qu'il est impossible d'extraire et de présenter isolément aucun passage de cet excellent morceau de biographie, sans le dépouiller d'une grande partie de son effet, je ne puis m'empêcher d'en citer un que je choisirai de préférence parmi ceux dont le mérite résulte beaucoup plus des idées et du sentiment de l'historien que de l'intérêt même des événemens. Voici, par exemple, comment M. Ginguené décrit et explique l'état pénible où se trouvait le Tasse en discutant les diverses critiques, et les opinions souvent contradictoires des amis qu'il avait consultés sur sa Jérusalem Délivrée, au moment de la publier : Avant de le publier (son poëme) il voulut le sou» mettre au jugement de ses amis les plus éclairés et les » plus intimes. Il en fit passer une copie à Scipion de » Gonzague qui était alors à Rome, en le priant de le » revoir avec le plus grand soin, et de le faire examiner >> par tout ce qu'il pourrait réunir d'hommes d'un goût » sûr et exercé. Scipion suivit les intentions du Tasse » avec le zèle de l'amitié. Il fut secondé par de savans littérateurs qui mirent à cet examen toute leur appli»cation et tous leurs soins. Mais qu'en résulta-t-il ? >> Presque tous furent d'avis différens sur le sujet, le » plan, les épisodes, le style. Ce qui paraissait défaut >> aux uns était beauté pour les autres. Le Tasse, avec » une patience et une docilité infatigables, recevait tous » les conseils, les suivait, ou donnait, dans des lettres >> raisonnées, ses motifs pour ne les pas suivre. Outre >> ceux qu'il recevait de Rome, il en demandait encore >> à ses amis de Ferrare: il en alla même demander à » Padoue, et revint avec de nouveaux sujets d'incerti>>tudes, de corrections et de travaux. >> Le mouvement que cette sorte d'occupation donne » à l'esprit est tout différent de celui qu'il éprouve dans » le feu de la composition. En composant, la préoccu>>pation est profonde, constante, et s'exerce long-tems » sur le même objet : en corrigeant, elle se porte rapi» dement sur de petits détails, sur des objets indépen» dans les uns des autres, qui ébranlent presqu'à la fois » l'imagination, et appellent souvent l'attention en sens » contraire. Il résulte du premier travail un état con »templatif, et, pour ainsi dire, extatique, dans lequel » tout entier aux objets qu'il invente et aux sentimens » qu'il exprime, le poëte est étranger et presqu'inacces»sible à tout ce qui est extérieur; il résulte du second » une espèce d'émotion febrile, qui ouvre facilement |