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grandes pensées lui sont naturelles, au lieu qu'en admi: rant les beaux traits de Saurin on s'aperçoit qu'il lui a fallu des efforts pour les trouver.

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Blanche et Guiscard succède à Spartacus. Le Mariage par vengeance, épisode du Gilblas, a fourni à Saurin le sujet de cette tragédie, qui est pleine d'intérêt; mais les évènemens s'y succèdent avec beaucoup trop de rapidité, ce qui multiplie les invraisemblances et rend la pièce plus romanesque qu'il ne convient à une tragédie.

M. Fayolle prétend que Blanche blesse toutes les convenances en recevant, le jour même de son mariage, un billet de son amant. Je ferai observer que c'est ici une faute de Blanche et non une faute de Saurin, car les auteurs dramatiques doivent faire commettre des fautes aux personnages qu'ils mettent en scène, parce que rien n'est plus froid qu'un héros ou qu'une héroïne parfaite. Comme la faute de Blanche amène des situations pleines d'intérêt, cette faute blâmable aux yeux de la morale devient une beauté en poésie. D'ailleurs on excuse Blanche quand on sait combien elle aime et comment elle a été trompée, et l'on pleure sa mort sans songer à blâmer sa conduite.

Les Mœurs du tems, comédie en un acte, se fait distinguer par un dialogue franc et naturel, par beaucoup de vérité dans les caractères, et par une foule de mots heureux. On a cité souvent celui de la comtesse qui causant à sa toilette avec une suivante qui lui dit que sa rivale est charmante, répond: Charmante! Donnez-moi d'autre rouge: celui-là est pâle comme la mort.

Cette petite comédie est écrite avec beaucoup de vivacité, on n'y trouve aucune trace de cette sensiblerie et de ce marivaudage qui caractérisent les trois quarts des comédies qui parurent à la même époque.

Beverley fut joué huit ans après les Moeurs du tems. Le Joueur Anglais, d'Edouard Moore, a beaucoup servi à Saurin pour composer son drame. Regnard, qui n'eut jamais d'intentions morales, n'a peint que ce que la passion du jeu a de ridicule. Il ne voulait que faire rice et il a très-bien réussi. Saurin a tenté de peindre les fu

nestes effets de cette passion dangereuse; je ne sais s'il a corrigé beaucoup de joueurs, mais il s'était proposé un but utile et il l'a atteint. L'action de son drame est bien développée, les scènes en sont filées avec beaucoup d'art, et le style se fait remarquer par une grande vérité et une grande force. On ne trouve point de recherche, point de phrases à effet, de fausse chaleur et de déclamation dans le dialogue qui est constamment pathétique et affecte l'ame. On plaint le malheureux Beverley dont de faux amis ont perverti les bonnes qualités. On pleure sur son sort, sur celui de sa famille, dont il fait le malheur, et l'on frémit, en le plaignant encore, lorsqu'on le voit prêt à poignarder son enfant. Sa tendresse pour sa femme, ses remords, ses fureurs et son désespoir, font une impression si profonde sur les spectateurs et les lecteurs, qu'ils ne s'aperçoivent pas des défauts de convenances dont fourmille le drame de Saurin.

Un des premiers, et le plus grave peut-être, est la résignation de Mme Beverley, qui ne fait pas un scul reproche à son mari que ses déréglemens ont réduit à la misère.

On a remarqué aussi que lorsqu'elle n'avait plus de meubles, elle possédait encore des dianans, comme si l'on n'était pas dans l'usage de se défaire du superfiu avant que de toucher au nécessaire.

Peut-être même doit-on reprocher au poëte d'avoir donné trop d'étendue aux scènes d'amour entre Henriette et Leuson? Cet amour, si intéressant parce qu'il est vrai, forme presque une double action, tandis qu'il suffisait de l'indiquer.

Les poésies diverses de Saurin, à l'exception d'une demi-douzaine de pièces, ne s'élèvent pas au-dessus du médiocre. L'Epître sur la Vérité, l'Epître sur les Malheurs attachés à la vieillesse, et quelques autres, pouvaient seules entrer dans une édition choisie; aussi l'éditeur s'est-il empressé de les recueillir.

La notice sur Saurin est digne de l'ingénieux biographe de Gentil-Bernard, de Gresset, de Démoustier, etc. c'est l'ouvrage d'un littérateur habile qui sait apprécier

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les ouvrages qu'il examine. Le seul reproché qu'on puisse faire à cette notice, c'est qu'elle est trop counte. On aimerait à y trouver plus de détails sur la vie privée de Saurin. hul sau

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L'ABBAYE DE SAINT-OSWITHE, par l'auteur d'Ethelwina, 'traduit de l'anglais; par Madame..... Deux vol. in-12.

On doit aux Anglais cette espèce de roman qui a pour objet d'effrayer l'imagination en lui présentant des tableaux terribles, tels que le spectacle des plus grands crimes employés par des scélérats pour persécuter l'in nocence. On dirait que ce peuple, qui a besoin des plus fortes émotions pour échapper à la funeste influence du spleen, ne peut les trouver qu'au milieu des récits d'assassinats, accompagnés de circonstances qui en augmentent l'atrocité. Le théâtre de Shakespear est rempli de situations capables de donner des spasmes à nos petits-maîtres, mais qui peuvent à peine émouvoir des spectateurs anglais. La plupart des romanciers de cette nation ont encore encheri sur les dramaturges, et ont même usé de moyens surnaturels, tels que des apparitions de diables, de revenans et de fantômes pour amuser les lecteurs en les effrayant. Le chef-d'oeuvre de ce genre est sans contredit le Moine, par M. Lewis; roman où le diable, le juif-errant, la none sanglante et les spectres les plus épouvantables remplissent les principaux rôles, et emploient toute espèce de ressorts pour faire d'un moine vertueux, le plus affreux des scélérats. Mme Radcliff, en marchant sur les traces de M. Lewis, a plus imité ses conceptions tragiques que ses moyens surnaturels. Les souterrains, les vieux châteaux et les couwens sont les lieux où elle établit ses scènes ; mais l'on ne peut se dissimuler que ses romans, auxquels il faut cependant reprocher trop de bavardage, se font lire avec intérêt. Le plus célèbre de tous, celui qui est intitulé. Les Mystères d'Udolphe, a été traduit en français par une dame à qui nous sommes redevables de plusieurs bons ouvrages; et l'un des membres les plus distingués de l'Académie française a également traduit d'une ma

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nière supérieure l'Italien, autre roman de Mme Radcliff. C'est un bonheur pour cette dame d'avoir eu un traducteur capable de faire la réputation de l'ouvrage qu'il

a traduit.

Me Radcliffa, dans sa patrie, une foule d'imitateurs et d'imitatrices. Tel est l'auteur du roman que j'annonce aujourd'hui; mais avant d'en donner une idée, je crois qu'il est bon d'avertir que, si Mme Radcliff, douée d'un talent très-rare, a fait école, ses disciples ne sont que de bien tristes écoliers. On en jugera par une analyse incomplète de l'Abbaye de Saint-Oswithe. Je dis incomplète, car ce roman est si embrouillé, qu'il faudrait plus d'une lecture pour saisir tous les détails de l'action.

Le baron d'Edmonville eut deux fils, issus de deux mariages différens. L'aîné, nommé Alfred, avait d'excellentes qualités; mais le cadet, qui s'appelait Rudolph, était un franc scélérat. Sans m'arrêter à faire connaître l'histoire des deux frères depuis leur enfance, je dirai seulement que Rudolph parvint, par ses intrigues et ses crimes, à dépouiller Alfred de tous ses biens, et qu'il lui enleva même la belle Mathilde son épouse, qui l'avait rendu père de Rosaline, l'héroïne du roman. Alfred aurait pu réclamer ses biens et même sa femme devant les tribunaux; mais outre qu'un procès n'est pas un épisode digne de figurer dans un roman, c'eût été le moyen de débrouiller bien vite l'intrigue; car la justice en envoyant le ravisseur aux galères aurait délivré son honnête frère de ses persécutions, et le roman eût été bien vîte fini, ce qui n'était pas le compte du romancier. Aussi a-t-il feint que Rudolph avait exigé d'Alfred, en lui mettant le poignard sur la gorge, le serment de ne jamais faire valoir ses droits. Alfred, épouvanté par ces gestes peu fraternels, prêta ce serment et le tint fidèlement. Les mauvais plaisans diront peut-être que la crainte de ravoir sa femme l'empêcha de revendiquer sa fortune, et que perdre ainsi c'était gagner; mais Alfred avait des idées plus nobles. Ne voulant pas trahir son serment, il se contenta de rédiger un Mémoire, à l'aide duquel sa fille pût un jour réclamer les biens de son père; mais Rosaline, avant de les obtenir, avait bien d'autres traverses à essuyer. Mathilde sa mère, enlevée, comme on sait, par

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Rudolph, mit au jour une fille, dont le ravisseur est le père. Alfred meurt, et Mathilde est empoisonnée par une rivale jalouse que le père de Rosaline avait dédaignée.

Rosaline, après avoir éprouvé malheurs sur malheurs, après avoir vu son amant percé d'un coup d'épée au cœur, et entendu son long et dernier gémissement, tombe entre les mains d'Agnès qui avait ôté la vie à Mathilde par jalousie, et de la comtesse d'Olhin, fille de cette même Mathilde et de Rudolph. Ces deux furies l'enferment pendant quelque tems dans un souterrain, et forment ensuite le dessein de l'assassiner; mais un fantôme paraît tout-à-coup au moment où elle allait être égorgée. Cette apparition lui sauve la vie. Agnès meurt et Rosaline sort de son cachot. A peine est-elle dehors qu'elle est prise par des brigands que des soldats prennent à leur tour; elle est conduite devant Marguerite, reine d'Angleterre, qui se trouvait par hasard dans ces lieux. Rosaline plaide elle-même sa cause devant la reine qui lui rend justice; alors son amant qui avait été percé d'un coup dans le cœur, et dont elle avait entendu le long et dernier gémissement, paraît comme par miracle, et ils sont unis.si

Telle est l'esquisse de ce roman, où il y a je ne sais combien de scélérats, d'assassinats, et même de fratricides, mais peu ou point d'intérêt. On le doit à l'auteur &Ethelwina, roman à-peu-près inconnu, et qui n'a

même obtenu cette espèce de succès qu'obtiennent toujours les nouveautés. Je crains bien quel Abbaye de SaintOswithe n'ait le même sort, en France du moins, où l'on lit encore les romans médiocres, mais où l'on ne lit pas les mauvais.

Le traducteur de ce misérable ouvrage est une femme; je la plains bien sincèrement de n'avoir pas fait un meilleur choix, d'autant que son style facile et élégant ne manque pas de correction, quoiqu'on y rencontre quelques-unes de ces taches dont nos meilleurs écriVains ne sont pas exempts. Je l'invite donc au nom des talens qu'elle annonce à composer elle-même, ou à mieux choisir les ouvrages qu'elle veut traduire. J. B. B. ROQUEFORT.

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